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Chroniques
Nos médecins, notre fierté
Par Nizar Bahloul
18/03/2024 | 15:59
7 min
Nos médecins, notre fierté

 

Il s’appelait Mohamed Hajji, il était psychiatre à Bizerte où il exerçait depuis une bonne trentaine d’années. Dr Hajji est décédé jeudi 14 mars 2024 en prison après une détention préventive d’une semaine dans les sales et glauques geôles du régime tunisien. « Deux morts pour rien », a commenté Sofiène Ben Hamida dans sa chronique hebdomadaire. Deux morts de trop.

En prison pour des raisons liées à l’exercice de sa profession, Dr Hajji est décédé « des suites d’une bronchopathie, ayant compliqué son insuffisance respiratoire chronique, problème médical qu’il avait, pourtant tant de fois, surmonté par le passé », selon son confrère, Mounir Jerbi. Le même précise que son avocat avait, pourtant, bien présenté aux autorités concernées, un rapport détaillé sur la gravité de son état de santé, demandant sa mise en liberté pour soins, rien n’y fit, sa détention fut reconduite.

La mort de Dr Hajji pose, une nouvelle fois, le gros problème de la facilité avec laquelle certains procureurs et certains juges d’instruction envoient des gens en prison pour une détention préventive. Partout dans le monde, on considère la détention comme l’exception et la liberté comme la règle, mais cette règle basique de la justice est ignorée par certains de nos magistrats. Partout dans le monde, on considère que le prévenu est innocent jusqu’à sa condamnation. Cela s’appelle la présomption d’innocence, mais cette règle basique de la justice est ignorée par certains de nos magistrats. Partout dans le monde, on accorde à certains corps de métier (avocats, magistrats, journalistes, inspecteurs d’impôts, ministres, médecins…) une certaine immunité judiciaire quand il s’agit d’erreurs ordinaires et accidentelles (pléonasme) liées à l’exercice de la profession, mais ceci est ignoré par certains de nos magistrats.

 

Tout cela, on le sait déjà et on a déjà crié au scandale des dizaines de fois au lendemain d’incarcérations abusives de ce que l’on appelle « forces vives de la nation ».

Le régime putschiste de Kaïs Saïed continue à agir en toute impunité considérant le pays comme une ferme privée sans se soucier des conséquences dramatiques de ses décisions.

Sous ce régime, la justice n’est plus un pouvoir ou une autorité, elle est juste une fonction à son service. Il ne veut pas de justice indépendante qui fonctionne selon les standards internationaux, il veut une justice aux ordres, une justice sévère, une justice inhumaine, une justice qui ne connait pas la présomption d’innocence, une justice qui ne connait pas la clémence, une justice qui n’accorde pas le droit à l’erreur.

Tout cela, on le sait déjà et on a déjà crié au scandale des dizaines de fois au lendemain d’incarcérations abusives de ce que l’on appelle « forces vives de la nation ».

Où étaient les médecins quand on criait, hier, au scandale suite aux incarcérations abusives de politiciens, de journalistes, de ministres, de magistrats et de dizaines d’innocents ?

Ils étaient terrés dans leurs cabinets et leurs cliniques ne se souciant guère de ce qui se passe dans le pays. « Ça n’arrive qu’aux autres », disaient-ils. Eh ben non, ça n’arrive pas qu’aux autres !

J’ouvre une parenthèse pour cette histoire (que vous connaissez certainement) racontée par le pasteur protestant Martin Niemöller, déporté en 1937 dans divers camps de concentration : « Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai pas protesté, je n’étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai pas protesté, je n’étais pas catholique. Puis ils sont venus me chercher. Et il ne restait personne pour protester. »

 

C’est une suite logique, un jour ou l’autre, la machine répressive du régime putschiste allait les frapper. Ce jour est arrivé. Les médecins, comme d’autres corps de métier avant eux, sont dans la ligne de mire du régime. Bien avant l’arrestation et le décès de feu Dr Hajji, il y a eu des arrestations d’autres médecins et de pharmaciens et, toujours, en rapport avec l’exercice de leur profession. Business News a tiré la sonnette d’alarme à plusieurs reprises, la dernière fois le 7 février dernier, soit plus d’un mois avant le drame de Dr Hajji.

Qu’ont fait les ordres professionnels face à la répression qui les touche ? Pas grand-chose.

Malgré tous les abus dont ils font l’objet depuis quelques mois, ils n’ont pas prévu de véritable mobilisation nationale, comme l’auraient fait les avocats ou les journalistes. Ils prévoient le port de brassard rouge dans les cabinets, une conférence de presse ce mercredi et une demande d’audience urgente à la ministre de la Justice. Non, ce n’est pas une blague, ils demandent bien une audience à leur geôlière. Sous d’autres cieux, pour se faire entendre, on aurait vu des manifestations dans la rue dans les quatre coins du pays, une grève générale illimitée et une présence massive dans l’ensemble des médias. Eux, ils demandent une audience entre quatre murs à celle qui a jeté leurs confrères en prison. À propos du décès de Dr Hajji, elle leur dira sans aucun doute (comme l’a dit un magistrat) « son heure est venue, c’est la volonté de Dieu ».

 

La mort de Dr Hajji est grave, c’est un fait. La responsabilité des magistrats qui l’ont incarcéré est évidente, on ne va pas se cacher derrière la volonté hypothétique d’un dieu aussi hypothétique. La répression des médecins par le régime putschiste est affligeante, tout comme la facilité extraordinaire avec laquelle les magistrats envoient les gens en prison.

Tout cela est vrai, tout cela est très grave mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus dramatique.

Le plus gros danger qui frappe le pays, toutes corporations confondues, c’est le désintérêt et l’égoïsme qui frappe les individus appartenant à ces corporations.

Face à la machine répressive du régime, ils agissent en solo et cherchent ailleurs une herbe plus verte (et elle est plus verte en effet). Tout comme les ingénieurs, nos médecins sont en train d’émigrer vers l’Europe et les pays du Golfe, voire le Canada. Ils cherchent des pays où ils sont considérés à leur juste valeur. Des pays où les citoyens ne les considèrent pas comme voleurs, où le fisc ne les considère pas comme fraudeurs et où l’État ne les considère pas comme criminels bons à jeter en prison. À ce jour, d’après les chiffres donnés par la corporation, 900 médecins quittent la Tunisie chaque année. En termes de moyens mobilisés par l’État, ces médecins sont ceux dont la formation a coûté le plus cher. De l’avis de tous les spécialistes, et du commun des mortels, nos médecins font partie des meilleurs au monde. De par sa position et la qualité de formation de son corps médical, notre pays aurait pu devenir (et peut encore) un pôle de tourisme médical, que ce soit en gériatrie, en chirurgie esthétique, en implants de cheveux ou en médecine dentaire. Il n’y a pas à dire, je ne risque pas d’être contredit si je dis que nos médecins sont une fierté nationale.

L’Europe vieillissante a du mal à absorber ses malades. Un simple rendez-vous chez un dentiste prend des semaines. Un rendez-vous chez un ophtalmo prend des mois. Que fait l’Europe pour affronter cette crise ? Elle débauche dans les pays pauvres et ouvre grandes ses portes devant les candidats cherchant une herbe plus verte.

 

Et c’est là le plus gros danger, encore plus grave que la mort dramatique d’un médecin. Au lieu d’encourager nos médecins à rester dans le pays et à attirer les malades européens, libyens et algériens, le régime putschiste les pousse à l’exil à coups de contrôles fiscaux zélés, poursuites judiciaires aberrantes et arrestations abusives.

Après les magistrats, les politiciens et les journalistes, Kaïs Saïed s’en prend aux médecins et les considère comme des pestiférés. Il scie la branche sur laquelle il est assis. Il casse une des dernières corporations qui font honneur au pays. La mort de Dr Hajji est aujourd’hui dramatique, mais celles à venir à cause de l’exil des médecins, le seront encore davantage. Tout cela devant le silence, pour ne pas dire lâcheté, des ordres professionnels. 

Par Nizar Bahloul
18/03/2024 | 15:59
7 min
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Commentaires
Adil
Amertume
a posté le 19-03-2024 à 19:21
Bravo Monsieur, vous avez absolument tout dit. Après le Dr Jilani Dabboussi assassiné par refus de soins par d'autres horribles politiciens, voici Dr Hajji assassiné aussi par refus de soins par de nouveaux plus horribles politiciens.Ce sont eux les vrais assassins car ils ont fait de la justice une simple main exécutante de leur volonté, de leur haine implacable de tout ce qui ne ressemble pas à leur ignorance, à leur petitesse, à l'étroitesse de leur esprit. Il faudra étudier un jour les ressorts profonds de l'amertume des tortionnaires et de cette haine qui se mue en volonté de vengeance contre tout ce qu'on n'a pas pu être soi-même
Hamza Nouira
Et bien....
a posté le 19-03-2024 à 14:40
Nizar, s'ils étaient notre fierté ils n'irait pas s'exiler à l'étranger alors que leurs études sont payer par l'état et donc par les concitoyens Tunisiens.
Le but est de les former pour soigner leur peuple.
Aucune excuse pour ceux qui s'exilent avec des excuses totalement bidons.
Il faut une loi pour les protéger en Tunisie.
Il faut aussi une loi pour les obliger à soigner en Tunisie et non pas ailleurs sous certaines conditions de temps. Ou alors la possibilité de partir avec le remboursement de leurs études de médecine payer par leur peuple. Ensuite qu'ils aillent où ils veulent.

Il faut aussi un équilibre. Il ne sont pas tous blanc les médecins.

Learsin
melange d'ingratitude de rancune et d'ignorance
a posté le à 18:20
La 1ère raison qui pousse les médecins tunisiens a s'exiler ces ce melange d'ingratitude de rancune et d'ignorance que Mr Nouira là fait preuve. Pour commencer, on voit bien comment on réagit face au décès d'un doctor, même pas des condoléances alors qu'on accuse les médecins à tort et à travers de fautes médicales si le décès et d'un des nôtres. Secondo les excuses bidons, c'est ce mythe d'études payées par le peuple, pourquoi donc la faculté de médecine a la plus chere tarifs d'inscription, pourquoi on retrouve nos familles ruinées a la fin de nos études ce qui nous pousse a couper court notre spécialité, pourquoi la thèse de doctorat en médecine et la seule thèse de doctorat non bourssée, pourquoi on doit payer tout, de la photocopie au tablier au plat de la garde à l'hôpital au matériel. Et puis je vous demande Mr Nouira vous, vos études sont payés par quel peuple ? Et si vous n'avez pas fourni d'effort pour etre incorporer dans l'université publique, cela vous fait quite avec le peuple donc?-Donc soyons tous illettrés pour etre bon citoyen- le médecin est le seul à payer sa patrie ses études Mr, et oui la médecine c'est 5 ans d'études et de Stages tout le reste ce sont "des stages" -sans Formation, c juste du travail forcé et avec meme responsabilité pénale- pénibles de plus de 72 h / Semaine pas de weekend pas de Eid pas de d'excuse bidons comme vous dites pour ne pas travailler jour et nuit. révolution, COVID quand tout les autres corps de l'état - vos bien-aimés- ont cessé de travailler les médecins assuraient leurs gardes internes pour rien du tout(doivent payer le repas et le lit en plus) résidant pour 1dtn l'heure de garde de nuit avec au moins 10 patients / h, payant 7 dtn pour etre soigné, insulter tt le personnel et avoir toute commodité dans nos "CHU" que selon vous nous utilisons pour notre formation, qui utilise qui là? Donnez moi un seul citoyen qui travaille 8 ans dans ces conditions avec ce salaire ridicule pour que les autorités le laisse vivre sa vie en tranquillité, il n'y a ni maître ni ingénieur ni personne !
Be zen
Nizar Bahloul
a posté le 19-03-2024 à 08:55
;)
Ahmed
Oui , vous avez raison
a posté le 19-03-2024 à 08:34
Feu Hajji sera t il le bouazizi de KS?
Ben dali
Commentaire
a posté le 19-03-2024 à 00:42
C'est tout à fait vrai, nos confrères au conseil ne font que nous enfoncer, leurs intérêts sont ailleurs
DHEJ
La liberté est la règle, la prison est l'exception
a posté le 18-03-2024 à 20:08
Il fallait écrire!


Toutefois, notre ROBOCOP a hérité de ces prédécesseurs un appareil judiciaire fou...

pour qui la prison est la règle et la liberté est l'exception!

Paix à l'âme de Dr. HAJJI!
Abidi
Nos médias sont notre honte
a posté le 18-03-2024 à 18:08
Que Dieu ait l'âme du défunt,certe mais il n'a pas été mis en détention sur un coup de tête,il y avait de quoi et puis des centaines de citoyens sont morts dans les prisons,chez eux, dans les hôpitaux et cliniques et suites à des fautes médicales,ce que je veux dire Mr c'est que la mort ne demande pas d'autorisation et frappe dans tous les lieux y compris dans son lit, donc Mr pour attiser et cultiver la division nos médias sont passés maîtres et pour preuve vous et vos semble qui n'ont jamais écrit quelques choses de positif
Lambda
Vous ne direz pas ça si on jette l'un des votres en prison
a posté le à 20:15
Vous savez ce qu'est la présomption d'innocence ? Imaginez que ce médecin soit votre père ou votre frère ? Vois avez une idée sur le nombre de personnes innocentes jetées en prison en préventive puis innocentées par les tribunaux ? Ce que vous dites monsieur ou madame est honteux. C'est vous la honte, ce ne sont pas les médias qui sont là pour ouvrir les yeux des moutons comme vous
Tunisien
Allah yonsour dinak ya Si Abidi
a posté le à 20:12
C'est ce que j'essaie d'expliquer à un juge qui m'accuse de meurtre. J'ai beau lui expliquer que je n'était que l'instrument d'Allah, mais il ne voulait rien comprendre. '?tes vous avocat? Si oui, je vous engage tout de suite, il est rare de trouver quelqu'un qui ose faire porter le chapeau à Allah. Allez sahha chribtik, quoique avec ton commentaire, je crois que tu viens d'annuler ton jeune. Régale toi avec les journalistes de l'élite comme dzirri et jirad.
Citoyenne
La fierté ? Un sentiment que le régime veut éradiquer justement
a posté le 18-03-2024 à 17:26
La fierté c quoi ce terme? Il existe des le dictionnaire des dirigeants actuels?

Le plus tragique dans cette histoire est :
1) la mort d'un psychiatre en prison
2) l'exil des médecins par milliers
3) la décision prise par le conseil de l'ordre, notamment le fait de demander audience à la Jaffel.

Ils l'ont déjà écouté parler, ils ont une idée sur son sa rhétorique, son coefficient humain, sa gestion du ministère, ses rapports aux juges, magistrats...si oui, le plus tragi-comique dans cette histoire est la méthode d'action de la corporation des médecins, ils feraient de continuer à dormir
Chelbi
Surtout
a posté le 18-03-2024 à 16:21
le fait qu'il est en détention préventive confirme qu'il n'est pas officiellement coupable et qu'il peut être innocenté. La, le crime sera double: incarcération abusive, en plus incarcération qui a conduit à la mort. Qui payera pour ces crimes?
Lecteur
Le bon côté d'une dictature
a posté le à 19:08
"Qui payera pour ces crimes?"

Ce qui est bien dans une dictature est qu'il n'y a qu'un seul coupable devant la justice des hommes et devant la justice de Dieu, aussi hypothétique soit-il.