L’Isie a bousillé le processus électoral
Par Sofiene Ben Hamida
Conformément à la Constitution, le chef de l’Etat par intérim Mohamed Ennaceur ne dépassera pas les 90 jours. Le nouveau président de la république, Kaïs Saïed, prendra ses fonctions dans 72 heures. Le tribunal administratif statue déjà sur les recours relatifs aux élections législatives pour nous donner dans quelques jours la composition définitive du nouveau parlement. On peut dire donc que le processus électoral touche à sa fin. Mais on doit remarquer aussi, que si ce processus n’a pas connu de graves problèmes, il n’a pas été exempt de tout soupçon par la faute de l’Isie, qui a manqué à son rôle, failli à sa mission et a été le maillon faible du processus électoral 2019 en Tunisie.
Selon l’article 126 de la constitution tunisienne, l’Instance supérieure indépendante pour les élections est une instance constitutionnelle qui « est chargée de la gestion des élections et des référendums, de leur organisation dans leurs différentes phases. L’instance garantit la régularité, l’intégrité et la transparence du processus électoral et proclame les résultats ». En termes clairs, l’Isie n’est pas un simple agent technique mais un acteur primordial du processus électoral qui ne peut en aucun cas se dérober du volet extrêmement politique de sa mission. Malheureusement pour l’Isie dans sa composition actuelle, elle a montré qu’elle a des difficultés à se hisser au niveau de ses responsabilités historiques et s’est cachée derrière sa mission logistique, à fournir une sorte de service minimum, pour cacher son incapacité.
Dans sa chronique datée du 7 octobre dernier, notre collègue Nizar Bahloul avait déjà alerté que « Tant que Naziha n’est pas là, les élections seront biaisées et non démocratiques ». Seulement, l’autodérision ne peut être efficace qu’avec des gens intègres et des esprits fins. Qu’aurait dû faire l’Isie alors ? Assumer pleinement ses responsabilités et décider sur la base de ses obligations constitutionnelles de garantir la régularité, l’intégrité et la transparence du processus électoral. Au lieu de se murer dans la logique du service minimum et se dire que « tant qu’il n’y a pas un texte clair, je ne prends pas de décision », il fallait au contraire prendre des décisions, même en l’absence de textes clairs, pour préserver la régularité, l’intégrité et la transparence du processus électoral. Ceux qui ne sont pas satisfaits des décisions de l’Isie pourront toujours faire un recours auprès du tribunal administratif.
Concrètement donc, au niveau de l’élection présidentielle, l’Isie aurait pu, si elle avait voulu jouer pleinement son rôle constitutionnel, suspendre les candidatures de Slim Riahi pour délit de fuite, Hatem Boulabiar pour suspicion de falsification des signatures de parrainage de sa candidature, Abid Briki, Hamma Hammami, Lotfi Mraihi et Mohsen Marzouk pour ouverture d’informations judiciaires contre eux pour fraude et falsification de signatures de parrainage, Abir Moussi et Seifeddine Makhlouf pour évasion fiscale, et bien entendu Nabil Karoui à cause de son affaire en justice en cours concernant des délits d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent. On aurait eu donc au premier tour, 17 candidats en lice et non 26 candidats. Au second tour, la configuration aurait été toute autre avec des conséquences totalement différentes puisque Kaïs Saïd ne serait plus face à Nabil Karoui mais à un autre candidat. Vu de cet angle, on peut affirmer donc que par des décisions malheureusement prises au début du processus de l’élection présidentielle, l’Isie a lourdement influencé au final, les résultats de cette élection présidentielle.
Au niveau des élections législatives, l’Isie nous a mis un peu de poudre aux yeux en s’attaquant aux candidats les plus faibles pour aménager les gros poissons. Elle a invalidé les résultats de Aich Tounsi dans la circonscription de France 2 ainsi que les résultats du parti Errahma à Ben Arous. Si l’Isie avait réellement voulu assumer ses responsabilités historiques et constitutionnelles, se basant sur le bon sens, les observations de ses propres observateurs, des observateurs de la société civile, ainsi que sur les rapports de son partenaire, la Haica, qui est elle aussi une instance constitutionnelle indépendante, elle aurait dû invalider les résultats de toutes les listes de Aich Tounsi, Qalb Tounes, Ennahdha et Errahma pour publicité politique. Cela concerne certes 94 sièges sur les 217 sièges de l’ARP. Mais c’est à ce prix que l’Isie aurait pu et dû garantir la régularité, l’intégrité et la transparence du processus électoral. Dans sa composition actuelle, c’est peut-être trop demander à l’Isie.
Dans ma chronique datée du premier septembre dernier et intitulée « L’Isie risque de bousiller le processus électoral », j’avais conclu que « si le processus électoral arrive à son terme sans trop de problèmes, ça ne sera pas grâce à l’Isie ». Je maintiens ma position.