Le gouvernement doit se garder des promesses démagogiques et dangereuses
« 2020 sera l’année pour soutenir les produits tunisiens ». Le propos du Chef du gouvernement, Youssef Chahed, tenu lors du démarrage des travaux de la première édition des journées nationales « Consommons tunisien pour notre bien » est sujet à de multiples interprétations. La première, non point la plus importante d’ailleurs, est que cette annonce fleure trop la promesse électorale même si le Chef du gouvernement n’a pas déclaré officiellement s’engager dans la prochaine bataille électorale, se suffisant parfois à le signifier ou le suggérer au détour d’une déclaration ou d’une inauguration.
La seconde, plus importante, c’est ce que distille le propos : l’aveu d’échec du gouvernement en la matière dès lors qu’il promet d’y remédier s’il demeure encore au pouvoir. Autrement dit, le gouvernement a conscience de n’avoir rien fait ou si peu pour plaider la cause du produit tunisien dans le choix de consommation du tunisien. Aurait-il aussi conscience d’avoir activement contribué à cet échec ?
Après chaque initiative pouvant effectivement soutenir le produit local sur son propre marché, le gouvernement a vite rétropédalé faisant déjà douter de sa crédibilité à tenir une telle promesse. Toutes les mesures prises par le gouvernement pour freiner les importations n’ont été qu’un feu de paille. Exemple ? Après avoir décidé en 2018 de fermer les vannes des crédits d’importation sur une liste de produits, il les a rouverts pour 2019. Pour quelles raisons ? Il ne s’agit pas d’aller loin dans la réflexion pour en comprendre la cause.
Et ce n’est pas tout. Puisque, entre temps, on assiste à une véritable explosion des enseignes internationales. Le produit local éprouve de plus en plus de difficulté à marquer sa présence sur le marché face aux assauts des grandes surfaces et des centres commerciaux qui n’arborent en grande majorité que des enseignes étrangères. Le produit local ne trouve pratiquement plus de place pour s’exposer et se vendre. Voila le plus épouvantable des drames. Même si on produit, les espaces de vente se sont réduits.
Afin d’en freiner l’ampleur du phénomène, le gouvernement a certes envisagé des mesures fiscales comme d’alourdir la fiscalité des franchises étrangères. Mais il a vite cédé sous la pression des lobbies tunisiens des enseignes internationales qui n’ont même pas daigner accepter la proposition-compromis de ne pas alourdir la fiscalité des franchises étrangères, pour peu que 30% du total de leurs ventes concernent des produits de la marque fabriqués localement.
Par ailleurs, comment Youssef Chahed peut promettre que 2020 sera l’année pour soutenir les produits tunisiens alors que, depuis quelques temps son gouvernement prête une oreille complaisante aux sociétés de commerce international prises en défaut par l’administration fiscale parce que leur activité réside essentiellement sinon uniquement dans le courtage et rien en opérations d’import-export et qui profitent d’avantages fiscaux indus dans la mesure où elles n’obéissent pas aux conditions qui en donnent droits (50% du total de leurs exportations doit concerner des produits fabriqués localement).
Curieusement, depuis quelques temps, le Chef du gouvernement multiplie malheureusement les propositions hasardeuses sinon carrément effrayantes comme celle qui a été faite lors du dialogue national sur l’énergie et les mines et qui serait en passe d’être mise en œuvre dès lors qu’elle fut adoptée en Conseil ministériel restreint, le 8 juin 2019. Il s’agit de consacrer « une partie des bénéfices du phosphate au gouvernorat de Gafsa dans le cadre de la loi sur la responsabilité sociétale, tout en chargeant une commission d’étudier cette question », indique d’ailleurs le communiqué issue du CMR.
Sans crier gare, le gouvernement ne serait-il pas en train de faire le lit à une partition en règle du pays. La CPG qui verserait 30% de ses bénéfices annuels à la région de Gafsa ouvrirait la porte à des revendications qui morcelleraient inéluctablement le territoire. En effet, pourquoi dans ces conditions, le Groupe chimique Tunisien ne ferait de même pour la région de Gabes. Que 30% des revenus de l’Etap provenant du gisement gazier de Nawara n’irait pas à Tataouine ; que 30% des recettes du tourisme de Djerba, de Sousse ou Monastir n’irait pas à ces régions respectives. Pourquoi la SNCPA (Société nationale de cellulose et de papier alfa) ne fournirait pas 30% de ses revenus à la population de Kasserine. Pourquoi ne donnerait-on pas aux habitants de Béjà la même part des revenus provenant des ressources hydrauliques de la région et ainsi de suite.
Pour l’heure, les personnalités contactés pour faire partie de la Commission chargée d’étudier la question ont catégoriquement décliné l’offre. Fort heureusement.
Cependant, cela n’empêche pas de penser que la prochaine échéance électorale fera l’objet de toutes les promesses, pas simplement les plus démagogiques mais aussi les plus dangereuses pour l’avenir du pays.
Il y a des lignes réellement rouges que les candidats aux prochaines élections doivent se garder de franchir. Car, ils seront comptables d’un désastre si par malheur elles les franchissent.