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SUR LE FIL
Le contre-espoir tunisien
Par Karim Guellaty
24/07/2021 | 13:41
9 min
Le contre-espoir tunisien

Il y a des semaines où balayer l’actualité sollicite une énergie incommensurable, tellement les nouvelles sont mauvaises. Puis soudain, en prenant distance et hauteur, apparait au milieu de ce fouillis de désordre humain, une lueur d’espoir inattendue qui éclaircit le tableau d’un monde à l’apparence perdu.

 

Nous passerons donc sur les tragiques 4,5 millions de morts du Covid dans le monde, monde qui fait face à une nouvelle vague de contamination par le variant Indien ou Delta. Jeudi, la France enregistrait 21.909 nouveaux cas, renvoyant le pays à la situation du 5 mai dernier. En Allemagne, Angela Merkel parle « d’une croissance exponentielle » de ce nouveau variant, d’une « dynamique inquiétante ». La banque Centrale Européenne, par la voix de sa présidente Christine Lagarde, évoque quant à elle « une reprise de l’économie de la zone euro en bonne voie […] mais la pandémie continue de jeter une ombre, d’autant plus que le variant Delta constitue une source croissante d’incertitude ».

 

Et s’il restait une once d’espoir de jours meilleurs à court terme, c’est Jean-François Delfaissy, le Président du Conseil Scientifique français, qui vient l’anéantir en nous déclarant, tout de go, ce vendredi que « nous aurons probablement un autre variant qui arrivera dans le courant de l’hiver car le SARS-CoV-2 a des capacités de mutation hors norme ». Et même s’il affirme que « nous gagnerons contre le Covid 19 » - ne nous leurrons pas - le « retour à la normale c’est peut-être [seulement] en 2022, 2023 ».

En somme, nous n’en sommes qu’à la moitié du chemin. Beaucoup de sommes pour sommer de se faire vacciner, là où dans d’autres contrées, des personnes meurent de ne pas pouvoir le faire. Ou quand la liberté individuelle des sceptiques ici se confronte là-bas au droit collectif du vouloir vivre. 

Le tout sur fond d’unique certitude scientifique pour le moment, qui est que le vaccin sauve des vies.

Le tout sur fond de l’indécence de ceux qui tergiversent parce qu’ils ont le choix, pendant que ceux qui ne l’ont pas meurent. #problemederiches

 

Nous passerons rapidement sur les feux qui brulent l’ouest des États-Unis, et qui ont déjà supprimé plus de 1.500 km2 de forêts, un territoire grand comme Los Angeles, deuxième plus grande ville américaine. Et pendant que les mégots des uns contribuent à consumer les poumons de la planète, c’est l’absence de respirateurs ailleurs qui consument la vie des autres. Quand ici, c’est un cadre de verdure qui part en fumée, ce n’est rien d’autre que la vie là-bas qui disparait. Quand il faudra plus de 2.000 pompiers et quelque cinq mois de lutte acharnée pour éteindre, au mieux en octobre prochain, un incendie de forêt ici, il aurait suffi de quelques anticipations politiques, 20 ou 30 décideurs tout au plus, pour  qu’aujourd’hui un peuple ne meure pas étouffé. Quand ici l’air devient irrespirable, alors que là-bas, il n’y plus d’air à respirer. #problemedecompetence

 

 

Nous n’évoquerons pas les intempéries qui noient la province du Henan en Chine en faisant plus de 51 morts, ni celles qui ont frappé tout aussi durement la Belgique et l’Allemagne, avec un bilan provisoire de 200 morts dont 169 dans la seule Allemagne. Ou quand la force des éléments naturels ici tue des vies humaines, c’est la faiblesse de la nature humaine ailleurs qui laisse mourir des êtres humains. Quand on est désarmé ici contre la nature, là-bas, c’est la nature de certains qui est désarmante. #problemedeconscience

 

Enfin, nous passerons sur l’Afghanistan tombée entre les mains des Talibans qui annoncent contrôler désormais 90% des frontières du pays, et 85% de son territoire. Depuis le retrait des troupes américaines, et de celles de l’Otan, toutes deux présentes depuis presque vingt ans, ce ne sont pas moins de 10.000 hommes qui manquent en appui à l’armée régulière afghane. Il n’en fallait pas plus pour que les Talibans lancent une offensive massive et prennent ainsi possession de quasiment tout le pays. Alors que c’est le retrait du grand nombre qui ne devait pas y être qui fait perdre tout espoir à une nation ici, c’est l’absence du petit nombre qui doit y être qui annihile tout espoir ailleurs. #problemepolitique

 

 

Et dans tout ce florilège d’inepties, de contradictions, et d’indécences, c’est de la Tunisie que vient l’espoir. Cette Tunisie confrontée à un quotidien des plus noirs, cette Tunisie traversée par des balbutiements politiques assassins, cette Tunisie-là, avec hauteur et distance, et grâce à son peuple, honore ses rendez-vous avec l’Histoire.

 

Et son Histoire c’est ce peuple qui prit son destin en main, une nouvelle fois, par une vague populaire appelant aux libertés et à la dignité en 2011. Ce même peuple a qui en imposant un débat sur la nécessité d’un sixième califat islamiste au début de sa révolution, réfléchit aujourd’hui au moyen d’optimiser ses institutions pour une gouvernance enfin efficiente.

 

Oui la Tunisie souffre de sa gouvernance, et son peuple en pâtit jusque dans sa chair. Mais ce peuple n’a jamais abdiqué.

 

Les analystes déchantaient au lendemain de son premier scrutin démocratique, en 2011, lorsque 1,5 million d’électeurs tunisiens, soit 37% d’entre eux donnèrent leurs voix à un parti islamiste, Ennahdha. Aux élections législatives de 2014, ils ne seront plus que 947.034, soit 27,79%. Et en 2019, ça sera moins d’un cinquième des électeurs, 19,63% précisément, 561.132 exactement, qui mettront un bulletin islamiste dans l’urne. Certains continuent de qualifier la Tunisie de pays islamiste, quand son peuple émet clairement par les urnes son rejet massif d’une gouvernance religieuse. Plusieurs parlent d’un échec démocratique, alors que ce sont les 80% d’élus non islamistes qui échouent à faire triompher ce qui est pourtant une majorité.

 

Alors que la rupture est quasi-totale entre une classe politique défaillante et un peuple mobilisé, c’est la société civile, dans sa globalité qui pallie et a pallié les carences politiques. La gestion catastrophique de la crise sanitaire liée au Covid 19 a amené cette société civile à une extraordinaire mobilisation nationale et internationale en allant chercher elle-même vaccins, matériels et dons. Cette même société civile qui a su alerter pays partenaires et institutions internationales afin de solliciter ce formidable élan de solidarité internationale auquel nous assistons, et en premier lieu duquel on trouve la France par la mobilisation personnelle de son président Emmanuel Macron, de son conseiller Patrick Durel et de son ambassadeur André Parant. Qu’ils en soient, ici, eux et tous les autres, remerciés.

 

Ce peuple a toujours répondu présent, surtout lorsque ses dirigeants sont absents. Oui de façon individuelle, il demeure des incivilités, oui certains groupes favorisent leurs intérêts de groupe au détriment de l’intérêt national. Oui les comportements individualistes des uns nuisent à tous. Et oui la rue n’est pas toujours exsangue de reproches. Mais n’est-ce pas cette même rue qui en 2013, siffla la fin d’une récréation politique islamiste meurtrière qui assassinat nos défunts Mohamed Brahmi et Chokri Belaid ? Et n’est-ce pas ce peuple, si prompt à n’observer ni gestes barrières, ni distanciation sociale, qui bouta les islamistes du pouvoir par la rue en 2013, et par les urnes en 2014 ? N’est-ce toujours pas ce peuple qui fit de la Tunisie le premier et le seul pays musulman, où les islamistes rendirent les armes du pouvoir sans effusion de sang ni confiscation de la démocratie ?

 

La trajectoire du pays depuis sa révolution de 2011 demeure dans le sens de l’Histoire plus que millénaire du pays, alors même que ses soubresauts politiques - il faut le reconnaitre - hypothèquent le quotidien de tout un peuple. En Tunisie, ce n’est pas le peuple qui est défaillant, ce sont ses gouvernants. Et face à ces défaillances, le peuple sait se mobiliser dans les grandes causes.

 

 

Rappelons, pour l’Histoire, que cette si jeune démocratie, a perdu son premier président en exercice, feu Béji Caied Essebsi. Beaucoup pariaient alors sur la fin de la démocratie. Comment des institutions si jeunes, comment une nation si divisée allait-elle pouvoir passer entre les mailles d’une succession politique tendue, là où tous les exemples contemporains étayent la thèse d’une occasion pour la confiscation du pouvoir ?

 

En Tunisie, nous avons assisté à des obsèques nationales dignes de ces grandes civilisations auxquelles nous appartenons, à une élection dans les soixante jours constitutionnels. Le tout se soldant par une passation de pouvoir démocratique qui ferait pâlir de jalousie le peuple américain, son Capitole, et ses instituions, qui ont compté leurs morts après l’annonce de la victoire de Joe Biden et la défaite de Donald Trump.

 

Toujours en Tunisie, et encore en 2011, alors que l’Europe se partageait au compte-goutte les migrants syriens, ce sont des caravanes entières de la société civile tunisienne qui se rendaient à la frontière libyenne pour offrir couvertures, eaux, médicaments et nourritures à ce qui sera une vague migratoire sans précédent de plus d’un million de personnes venants par la Libye. Face aux quotas des uns, c’est l’humanisme qui a triomphé en Tunisie.

 

Oui il reste tant à faire en Tunisie, oui le quotidien sombre depuis de trop nombreuses années fait poser au pays un genou à terre. Oui une gouvernance archaïque et une petite corruption qui se généralise amplifie le recours à l’informel et à la contrebande, et oui ce peuple est en rupture avec sa classe dirigeante. Mais en aucun cas avec son pays, et en aucun cas avec son Histoire. Ce n’est pas le peuple qui est défaillant, ce sont ceux qui le dirigent.

 

Les jours prochains seront meilleurs, car de par son histoire, la Tunisie n’a toujours été que meilleure. Il y a plus de deux mille ans, certains ont voulu détruire Carthage. Quelques années plus tard, le pays rayonnait de nouveau.

 

L’espoir vient de la Tunisie, car ce pays en a toujours donné. Et même si cet espoir est aujourd’hui assombri par un manque cruel de perspectives apportées par ceux qui dirigent, il y a fort à parier que le salut viendra par le peuple, par la société civile, une nouvelle fois, qui montrera la voie aux nations.

 

Ce pays a pris son destin en main depuis toujours. En franchissant les Alpes à dos d’éléphants ou en accédant à la démocratie, alors que le monde fermait les yeux sur les dérives autoritaires et confiscatoires du pays il n’y a pas si longtemps, ou courbait l’échine, il y a un peu plus longtemps, devant un empereur romain.  Astérix n’est qu’une fiction.

 

Et aujourd’hui, comme un symbole prophétique, c’est sa société civile qui est allée chercher, chacun par son petit pas, l’air qui manque pour respirer, le matériel qui fait défaut pour panser, les vaccins qu’il faut pour vivre.

 

Oui l’espoir vient de la Tunisie, car en Tunisie, l’espoir n’est plus que la seule condition pour survivre à un quotidien confisqué par ses dirigeants. Un sursaut viendra. Initié par le peuple.

 

C’est la fin de la semaine, c’est la fin de ce trip. Vous pouvez éteindre vos smartphones.

Par Karim Guellaty
24/07/2021 | 13:41
9 min
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Commentaires
Jean
Jugement quelque peu erroné
a posté le 25-07-2021 à 15:00
Ce portrait de la Tunisie est vraiment idyllique, vous oubliez sûrement que la révolution du jasmin a été faite par une poignée de nantis, qu'elle a entraîné une immigration massive de la jeunesse tunisienne vers l'Europe, que le chômage a augmenté de 200%, que ce pays qui a frôlé le A- en matière économique avant, vient d'être noté B- en 2021. Que le peuple, même si il fait preuve d'une résilience incroyable, dont nous européens sommes incapable, il meurt de faim et n'a jamais été si pauvre. Que cette pauvreté s'est tournée vers la religion et qu'aujourd'hui les frères musulmans n'ont jamais été plus présents. Le tourisme, principale ressource du pays, s'effondre aujourd'hui avec la crise sanitaire, et toute la jeunesse qui était la force de la Tunisie, a déserté le pays.
La connaissance se perd et plus personne ne parle le français qui était la première langue étudiée.
La population refuse de se faire vacciner et l'épidémie bat son plein aujourd'hui. Des gens qui vivaient chichement avant 2011 sont en train de mourir de faim. Des mendiants sont apparus alors qu'ils n'existaient pas. Des gens vivent sans eau courante potable et sans électricité. Leur Graal est de pouvoir venir en France. Votre étude porte sûrement sur la capitale ou le grand Tunis mais allez dans le sud dans les villages au contact du peuple et vous verrez si l'espoir se lit dans leurs yeux.
Waterloo
leçon de Turquie pour franalphabètes ariérés ....
a posté le 25-07-2021 à 12:50
1. ..."Certains continuent de qualifier la Tunisie de pays islamiste,"
qui sont ces "certains" ?
je ne vois que cet abruti islamophobe Zammmourrrr qui voit des "islamistes" partout . la France mal barrée.
le problème est le sous développement, pas l'islam.
et tant que vous suivez la France, sa langue, et son culte du diplome, vous ne sortirez jamais de l'auberge.

2. Leçon de Turquie:
ce pays était classé 77 ème. arrive l'"islamiste" Erdogan. il va hisser ce pays au rang de G20, qui exporte vers 176 pays. son économie est proche de la Russie ...
Erdogan a réussi, sans renier sa religion ni sa langue.

GROW UP !!!
Top Chef
Soupe aux oignons et aux lardons
a posté le 25-07-2021 à 09:00
Astérix n'est qu'une fiction mais le quotidien est confisqué par ses dirigeants.
Ok.
Kol
Ce que j'avais besoin de lire
a posté le 24-07-2021 à 23:46
Ca m'a mis la larme à l'?il mais j'avais besoin de lire un truc comme ça pour me sentir un peu mieux ces jours-ci. L'espoir fait vivre et survivre. Min fomek il rabi.
J'espère qu'on y arrivera'?'
Lecteur
On va survivre
a posté le 24-07-2021 à 16:46
J'ai réellement apprécié la lecture. On a peut-être besoin d'analyser les évènements actuels qui secouent la Tunisie dans une perspective historique et prendre de la hauteur pour voir loin, très loin. Cela peut calmer nos angoisses. A long terme la Tunisie va survivre et probablement très bien réussir à se débarrasser d'une culture Arabo-musulmane "archaïque" qui bloque tout (absolument tout). Cependant, cette perspective n'est pas productive/efficace/concurrentielle dans un monde où il faut courir deux fois plus vite pour ne pas rester à la même place. Le deuxième problème: " '? long terme tout le monde est mort". La question urgente : qu'est ce qu'on doit faire à court terme? Dégager tout, transformer tout et et rebâtir sur des bases beaucoup plus solides? Ou patienter et attendre que l'eau chauffe petit à petit et mourir tranquillement sans bouger comme des grenouilles dans une marmite sur un feu doux? Voilà nos deux 2 options.
mansour
Nous sommes le peuple, nous sommes «Q» et contre la cabale qui vise le volonté du peuple
a posté le 24-07-2021 à 16:42
Nous sommes l'espoir : Les rubans verts, Les gilets jaunes, Génération identitaire et Z comme '?ric Zemmour, Marion Maréchal Le Pen, Trump et Madame Abir Moussi que les élites bobos de la finance mondialistes écolo collabos des islamistes et leur machine médiatique mondiale vise à contrer la volonté populaire qui s'exprime démocratiquement pour manipuler la démocratie+les institutions et installer Joe Bidon, Macron et les islamistes freres musulmans Morsi, Rached Ghannouchi et etc...
Alya
Merci pour l espoir
a posté le 24-07-2021 à 15:49
Oui , notre seule chance c est l espoir
algerien
la relativite rend credible
a posté le 24-07-2021 à 15:41
Rien que ca !
Gg
L'espoir...
a posté le 24-07-2021 à 15:29
Merci pour votre chronique, vos collègues semblent un peu assommés par la situation, et on les comprend.
En fait, je crois que le fait saillant en Tunisie, est la fidélité et la loyauté des forces armées envers la patrie. Pour les islamistes, ce mot: patrie, n'a guère de sens. Donc l'espoir vient de ce grand corps fidèle.

Deuxième source d'espoir, il y a un réel partage des ressources contre la pandémie, de par le monde entier. On ne parle plus de politique, ni d'argent, on partage. Seuls les plus aigris ne le voient pas!
Gg
Un gros détail!
a posté le 24-07-2021 à 15:12
"Jeudi, la France enregistrait 21.909 nouveaux cas, renvoyant le pays à la situation du 5 mai dernier. "
Non, la situation n'est pas du tout la même. Les cas désespérés et le nombre de décès restent stables et bas, ce qui prouve une chose: le vaccin n'empêche pas d'attraper le virus, mais il protège contre les formes de maladie grave.
La question est: si les vaccins n'existaient pas, où en serions nous?
Donc, à fond sur les vaccins.
Le vrai danger vient des non vaccinés, qui peuvent voir se développer des mutants résistant aux vaccins. Alors ce serait catastrophique!
Et d'accord avec vous sur les caprices de riches, ne pas se faire vacciner volontairement est une folie égoïste, monstrueusement égoïste.
Vous n'avez que 10% de ces irresponsables chez vous, alors profitez en, vaccinez!

"En Allemagne, Angela Merkel parle « d'une croissance exponentielle »..."
Idem
lion
Merci pour cette lueur d'espoir
a posté le 24-07-2021 à 15:10
Bien que un peu poétique cette analyse demeure véridique et surtout réalisable pour peu que l'élite se réveille et laisse son égo pour crier la fameuse "dégage"