Leila Chettaoui est désormais évincée de la commission d’enquête sur les réseaux d’embrigadement et d’envoi de jeunes dans les zones de conflit. Surprise ? Ce n’en est pas une. Tous ceux qui suivent un tant soit peu ce qui se passe sur la scène politique tunisienne s’y attendaient. Ce n’était qu’une question de temps avant que la députée, engagée et déterminée à lever le voile sur cette sombre période post-révolution, ne se retrouve sur le banc de touche.
Officiellement, le limogeage de la désormais ex-présidente de la commission intervient pour répondre à des règles strictement procédurales, puisque l’adhésion de l’élue à Nidaa Tounes, puis à la commission de législation générale de l’Assemblée, a été gelée. Les présidents des commissions, devant être désignés proportionnellement au poids du parti qu’ils représentent. Chettaoui écartée de Nidaa, ne pouvait plus être maintenue à la tête de cette commission, à la mission ô combien sensible. C’est le chef du bloc parlementaire de Nidaa Tounes, Sofiene Toubel qui a adressé une demande écrite au bureau du parlement afin de la démettre de ses fonctions.
Nouveau coup dur donc pour Leila Chettaoui, mais aussi une éviction qui est tombée comme un véritable coup de massue pour ceux qui espéraient que la vérité soit révélée au grand jour. Ne vous y méprenez pas, la députée était sur un siège éjectable. L’affaire des enregistrements fuités de Nidaa, dont elle a été accusée, n’a fait que préparer le terrain.
Seulement, les preuves retenues contre Leila Chettaoui étaient pour le moins minces, pour ne pas dire inexistantes. En dépit de ses innombrables démentis et de la solidarité affichée à son égard par des personnalités du parti ou qui en sont proches, rien n’y fit. Elle était la coupable idéale…
C’est que la présidence de cette commission n’était pas « garantie ». Les desseins de Chettaoui de dénoncer ceux qui sont derrière l’embrigadement de milliers de jeunes tunisiens, de démasquer les réseaux d’enrôlement, de mettre à nu les bailleurs de fonds de cette macabre entreprise, n’ont pas plu à tout le monde. Sa détermination à mener jusqu’au bout sa mission, sans céder aux pressions et aux connivences politiques, a dérangé la quiétude de plus d’un. Les ennemis d’hier, amis du moment de Nidaa, n’étaient pas spécialement emballés par les travaux de la commission d’enquête. Il fallait au plus vite faire en sorte de noyer le poisson. Il fallait coûte que coûte enterrer une bonne fois le dossier nauséabond. Il fallait pour cela se débarrasser de Leila Chettaoui.
Pour cause, les investigations ont commencé à porter leurs fruits et des éclaircissements édifiants quant au déroulement des événements sous le « règne » de la Troïka. Récemment, la députée a fait de nouvelles révélations pour le moins intéressantes. L’opinion publique en a été informée, au grand dam des concernés. Leila Chettaoui affirmait, début mai, qu’elle détenait de nouvelles preuves et qu’elle allait les soumettre à la justice. Il fallait l’en empêcher ! On apprenait, entre autre, que le mufti de l’organisation terroriste Daech a circulé librement en Tunisie en 2012, sans être inquiété. Il a même pu prodiguer « une formation » à de jeunes tunisiens dans une mosquée pendant deux semaines. Suite à cela, ces jeunes ont pu transiter vers la Libye où ils ont été formés au combat. Encouragés à revenir en Tunisie pour mener la soi-disant guerre sainte, pour certains, d’autres ont rejoint la Syrie, afin de constituer une sorte d’« extrême droite de Daech ». Outre ces précieuses preuves, il s’avère que l’enquête menée par la députée a fait ressortir plusieurs noms. L’un d’eux est spécialement récurrent : celui du Libyen Abdelhakim Belhaj, ancien membre d’Al-Qaida, soupçonné d’entretenir des liens avec Ennahdha. Un pur hasard ? Permettez-moi d’en douter.
Leila Chettaoui, à la présidence de la commission d’enquête, était un obstacle, la personne gênante à écarter, la personne qui risquait de dévoiler plus qu’il n’en fallait. Avec le concours d’un Nidaa, qui s’autodétruit en lâchant ses dirigeants historiques, le but est atteint, l’étau s’est desserré.