L’Association des magistrats tunisiens (AMT), a dénoncé, dans un communiqué publié mardi 16 avril 2024, l’influence exercée par le ministère de la Justice sur le système judiciaire. Une influence établie en étendant son contrôle sur ce dernier, exploitant le vide institutionnel qu’il a installé en gardant des postes vacants dans la composition du Conseil provisoire de la magistrature judiciaire.
L’AMT a expliqué, dans ce sens, que deux membres du conseil ont été mutés lors du dernier mouvement judiciaire 2023/2024 et que deux autres ont pris leur retraite sans que d’autres membres soient nommés, ce qui l'a empêché de se réunir pendant plus de 6 mois faute de quorum et a conduit à sa paralysie complète. Cela, précise le communiqué, a ouvert la voie au ministère de la Justice, qui utilise le mécanisme des notes de service de manière arbitraire et intensive en dehors de tout cadre légal, dans le but d'apporter des changements fondamentaux et continus dans la composition des tribunaux, leurs fonctionnaires, les magistrats du parquet, les juges d'instruction et les circuits judiciaires au cours de l'année judiciaire dans un grand nombre de tribunaux, ne tenant pas compte de l’intérêt des justiciables.
L’Association condamne fermement « l'approche autoritaire suivie par le ministère de la Justice et sa monopolisation de la gestion du pouvoir judiciaire et son contrôle sur les parcours professionnels des juges judiciaires et sa gestion de manière arbitraire et vindicative, en dehors de toutes garanties d'évaluation objective et indépendante, de la performance judiciaire et d'une concurrence loyale et transparente pour les responsabilités judiciaires après avoir délibérément créé l'absence du Conseil de la magistrature judiciaire et gelé son activité ».
L’organisation a par ailleurs souligné que la politique empruntée par le ministère de la Justice n'a rien à voir avec une quelconque approche de réforme visant à améliorer les conditions des tribunaux et à améliorer les performances de l'appareil judiciaire. Elle affirme que son objectif est plutôt de propager un climat de peur, de terreur et d'intimidation dans la communauté judiciaire dans le but de renforcer davantage son emprise sur le pouvoir judiciaire et de le contrôler au détriment des droits des justiciables, des citoyens et de l'intérêt suprême de la nation.
L’AMT a ainsi appelé à l’ouverture d’enquêtes sur les circonstances de nombreuses décisions de révocations et de suspensions de travail, qui ont suscité de nombreuses interrogations dans la communauté judiciaire et dans l'opinion publique, notamment en ce qui concerne le transfert du procureur de la République près le tribunal de première instance de Tunis pourtant nommé par la ministre de la Justice elle-même il y a quelques mois. Elle appelle également le ministère de la Justice à fournir les informations nécessaires sur tout ce qui s'est produit dans le système judiciaire au cours de la période récente.
L’Association a appelé le ministère de la Justice à cesser de s’approprier le rôle des institutions dans la gestion du pouvoir judiciaire et dans l’encadrement des parcours professionnels des juges. Elle a souligné la nécessité que l'autorité politique révise ses choix concernant l'autorité judiciaire, choix qui ont prouvé leur échec et exacerbé la crise de l'appareil judiciaire.
L’AMT considère que l'une des répercussions de cette crise du système judiciaire est l'escalade des atteintes aux droits et libertés, notamment la liberté d'expression et des médias à travers le recours arbitraire du décret 54.
Elle appelle la société civile tunisienne et toutes ses composantes à prendre conscience de la gravité de la situation judiciaire en Tunisie et à œuvrer à protéger les juges tunisiens des mesures arbitraires sans précédent qui les touchent au quotidien et qui menacent leur rôle dans le cadre de l'indépendance, de l'intégrité et de l'objectivité et trouver les mécanismes nécessaires pour limiter l'empiètement du pouvoir exécutif et son expansion au sein du pouvoir judiciaire.
L’AMT a réitéré l'appel à tous les juges à adhérer davantage à leur indépendance et à leur impartialité dans l'accomplissement de leur mission et à ne se soumettre à aucune pression qui leur serait imposée, quelle qu'en soit la nature ou l'origine.
M.B.Z