Success Story - Abdelhalim Messaoudi : La Culture, c'est l'éducation, puis l'éducation et encore l'éducation !
Producteur et animateur de l’émission culturelle, « La République de la Culture », diffusée sur la chaîne nationale tous les lundis à 22h, Abdelhalim Messaoudi étonne par son indépendance d’esprit et sa production critique. A la fois écrivain, professeur et journaliste, cet avant-gardiste a réussi à donner une autre allure au service public culturel tunisien dans un paysage médiatique décérébré.
Accessible et généreux, Abdelhalim Messaoudi est un passionné du savoir ! Ses références historiques, cinématographiques et littéraires fusent de part et d’autre donnant à l’entretien une scénographie théâtrale hors du commun. C’est avec vivacité et dans un langage châtié qu’il a évoqué sa jeunesse, son parcours multiple et l’émission « La République de la Culture » qu’il présente sur la chaîne publique tunisienne.
Le village de Jerissa ou la géographie de l’enfance de Abdelhalim Messaoudi
Issu d’une famille de culture traditionnelle, Abdelhalim Messaoudi est né dans la ville minière de Jerissa, dans le gouvernorat du Kef. Son père est un cheikh de la mosquée Zitouna et le milieu dans lequel il a évolué a fortement influencé ses pensées de gauche et sa conception de la vie. A ce sujet, il a établi une comparaison entre l’environnement régnant dans sa ville natale et le décor prolétaire planté dans le livre Germinal, d’Emile Zola. C’est avec mélancolie, qu’il a évoqué les moments de cinéma inoubliables qu’il a vécus dans la salle de projection de son enfance et les Western Spaghetti de Sergio Léone qui y étaient diffusés. « Le climat semi-aride de Jerissa se collait parfaitement à l’idée que l’on se faisait du Farwest. Jerissa est une ville imbibée d’histoire et de mythologie quotidienne » a-t-il déclaré à propos de sa ville natale.
L’enfance ou « éveil bouddhique » de Abdelhalim Messaoudi occupe par ailleurs une place fondamentale dans sa vie au quotidien. Pour lui, le passage à l’âge adulte s’apparente philosophiquement à la fin du paradis.
Le parcours historique d’un homme de culture
Titulaire d’un Baccalauréat littéraire obtenu en 1985 au lycée de Jerissa, Abdelhalim Messaoudi s’inscrit au Campus de Tunis pour y débuter des études de droit. La Tunisie était alors dans un contexte historique révolutionnaire et tous les étudiants avaient fait une année blanche. C’est durant cette période, qu’il rencontre pour la première fois le leader de gauche Chokri Belaïd et l’actuel secrétaire général du parti Machroûu Tounes, Mohsen Marzouk.
« Je me rappelle de Zine El Abidine Ben Ali qui faisait des descentes à l’université en costume militaire. Il insultait les étudiants qui lui jetaient en retour des cailloux. Nous étions en 1985/1986 et ces années resteront à jamais gravées dans ma mémoire. D’ailleurs, les résultats du baccalauréat étaient tellement faibles que Habib Bourguiba avait décidé de faire repasser les épreuves à tous les élèves. C’est de cette manière que le baccalauréat de 1986 a été renommé Bac Bourguiba » a mentionné Abdelhalim Messaoudi.
Après cet épisode mouvementé, il décide de faire une réorientation et s’inscrit à la Faculté de la Manouba pour mener des études littéraires. Un tournant dans sa vie d’adulte qui marquera sa carrière. « Ce sont les pionniers tunisiens de la littérature qui m’ont enseigné. Je me souviens de la grandeur du professeur Mohamed Abdelsalem et de ses cours de poésie préislamique. Du professeur Taoufik Baccar et de ses cours de critique littéraire ainsi que de Abdelkader Mhiri, recteur de l’université et ancien ministre qui enseignait la philosophie de la langue ».
En parallèle, Abdelhalim Messaoudi se plonge davantage dans le monde du journalisme dans lequel il a baigné à travers son frère, Abdeljalil Messaoudi, journaliste à La Presse. « J’étais à la fois étudiant et journaliste. Le journalisme que j’ai exercé durant 13 ans m’a ponctuellement éloigné de mes études puis j’y suis revenu plus tard pour faire ma Licence, mon DEA et ma thèse de doctorat sur « la relation dialectique entre l’esthétique et le politique dans la théâtre tunisien » a mentionné l’homme de Lettres.
Abdelhalim Messaoudi, le professeur
D’abord professeur à l’université des Beaux-Arts de Sousse où il a enseigné des matières telles que la scénographie, l’Histoire de l’art et la sémiologie, Abdelhalim Messaoudi a par la suite dispensé des cours de littérature à la Faculté de la Manouba où il exerce toujours. Il a évoqué « la décadence » scolaire et universitaire en Tunisie qui a, selon lui, débuté à l’époque de Zine El Abidine Ben Ali. « Toute une génération d’étudiants médiocres a vu le jour, ils ont réussi on ne sait comment et c’est à partir de là que la destruction de l’université tunisienne a débuté » a-t-il dénoncé.
Abdelhalim Messaoudi et la Télévision : une rencontre fortuite
L’expérience débute au début de la révolution de 2011, lorsque la chaîne privée Nessma TV décide de choisir Abdelhalim Messaoudi pour présenter une émission culturelle portant sur des faits religieux, « Maghribouna fil Tahrir Wal Tanwir ». L’expérience a duré pendant 5 ans et a pris fin spontanément car Abdelhalim Messaoudi avait décidé de se concentrer sur l’écriture de livres. Cependant, l’appel de la télévision refait surface et Abdelhalim Messaoudi est appelé à produire et présenter l’émission culturelle diffusée sur la chaîne nationale « Jomhouriyette el Thakafa ».
Calquée sur l’exemple de l’émission française « Ce soir ou jamais ! » qui était présentée par Frédéric Taddeï sur France 2, « Jomhouriette el Thakafa » porte sur des thématiques sociales d’actualité décortiquées par des penseurs, artistes, influenceurs de l’opinion publique et militants au sein de la société civile. La production d’un jugement critique sur des évènements qui ont lieu au sein de l’espace public est l’objectif de l’émission. Des sujets d’intérêt général sont abordés sans détours avec le noble objectif de revitaliser le débat sociétal et de présenter de nouvelles œuvres littéraires. On y mentionne les dérives de la société tunisienne et nos attitudes inconscientes en donnant matière à réflexion sur les questions de citoyenneté, de libertés, de croyances, de mentalités, d’échec des politiques éducatives, de la relation entre l’Islam et la démocratie ainsi que d’autres sujets utiles à la sociologie tunisienne.
Les qualités intrinsèques de Abdelhalim Messaoudi et des invités qu’il convie donne une forte valeur ajoutée à l’émission qui s’apparente à un îlot de savoir dans un océan de médiocrité médiatique.
La déchéance de la culture en Tunisie
« L’Etat Tunisien qui porte le nouveau costume de la seconde République n’est pas porteur d’un projet culturel ni sociétal. Ce qui se fait actuellement est le fait d’individus » a déclaré Abdelhalim Messaoudi. Il a ajouté qu’en Tunisie nous ne nous sommes pas encore mis d’accord sur le pacte social à mettre en place. Il a illustré ses propos en prenant l’exemple de la professeure, Faouzia Souissi, accusée d’apostasie. Pour lui, la culture restera encore lettre morte « Tant que les élèves n’auront pas de sorties obligatoires dans les musées de la République. Pour moi, la Culture, c’est l’éducation, puis l’éducation et encore l’éducation ! » a-t-il martelé. Il a pris l’exemple d’un enfant né en 2011 et qui, 7 ans après, ne dispose pas d’un programme culturel national à la hauteur, et a interrogé « quand cet enfant aura 14 ans comment devra-t-on faire pour empêcher qu’il ne bascule dans la culture de la consommation ou dans la culture de la noirceur ? ».
Abdelhalim Messaoudi a également évoqué l’école en tant qu’ascenseur social, aujourd’hui en panne. « De nos jours, si tu as assez d’argent tu es roi car la culture qui prédomine est celle de la mafia. Que vaut alors un écrivain, un journaliste, un militant politique, un danseur ou un penseur face à un mafieux fortuné qui vend des bananes …? » a dénoncé Abdelhalim Messaoudi. Toujours dans le sens d’une déchéance de notre culture, le penseur a ajouté « Non seulement nous n’avançons pas mais en plus nous bafouons nos propres acquis ! Je ne jette pas la pierre au ministère des Affaires culturelles, j’évoque ici la culture dans son essence et sa profondeur. Je parle ici de l’homo Tunisianus et de son avenir par la voie de l’éducation. Si je deviens ministre de la Culture, ce sera l’école le matin et le théâtre le soir ! » a-t-il ajouté.
Abdelhalim Messaoudi, l’écrivain
Ses 4 livres, Draps et linceuls paru en 2014 ; Bazart, Essais dans la chose publique publié en 2015 ; Bourguiba et le Théâtre paru en 2016 et La République des cons paru en 2017, suscitent l’implication personnelle et permettent aux lecteurs de se situer dans leur temps et leur monde en sensibilisant aux problèmes de société. En pointure de la culture en Tunisie, Abdelhalim Messaoudi fera paraitre deux autres livres en janvier et décembre 2018 qui porteront sur le théâtre tunisien moderne. Son ambition est de pouvoir rédiger un roman qu’il a déjà écrit dans sa tête.