Youssef Chahed en Allemagne : la Tunisie sous pression
La visite en Allemagne du chef du gouvernement, Youssef Chahed, vient de s’achever après deux jours d’intenses activités et de tractations avec les principaux dirigeants allemands. Cette visite intervient en plein milieu d'une crise silencieuse entre les deux pays portant notamment sur l'expulsion d'immigrants clandestins venus des pays d'Afrique du Nord, y compris la Tunisie.
Quelques jours avant le début de la visite allemande de Youssef Chahed, Angela Merkel s’exprime dans une vidéo postée en ligne sur sa volonté de faire en sorte que les Tunisiens n’ayant pas obtenu leur droit d’asile soient « expulsés au plus vite ». Un fait rare étant donné que la chancelière allemande n’a pas l’habitude de consacrer ses vidéos hebdomadaires à ses visites diplomatiques prévues. A quelques mois des élections législatives en Allemagne, Angela Merkel a tenu à rassurer ceux qui doutaient de sa politique migratoire mais aussi l’ensemble des Allemands encore sous le choc de l’attentat de Berlin de décembre 2016.
Cet attentat dans lequel le Tunisien Anis Amri demeure le principal suspect a suscité une crise silencieuse entre les deux pays. Crise qui a, dans cette visite, fait de l’ombre au reste des questions marquant les relations de coopération bilatérale dans les domaines économique et social.
Ainsi, on ne peut établir un bilan de cette visite sans évoquer les retombées de la question du retour des réfugiés en situation irrégulière surtout qu’elle était en tête des points soulevés par la Chancelière allemande, Angela Merkel lors de son entretien avec le chef du gouvernement tunisien.
Angela Merkel a tenu, ainsi à mettre l’accent, face à son interlocuteur tunisien, sur la nécessité d’accélérer le processus des expulsions de demandeurs d'asile déboutés en Allemagne, une affaire fort délicate, plus précisément après l'attentat de Berlin commis par un migrant tunisien radicalisé.
Lors du point de presse commun, la Chancelière allemande a indiqué en substance : «L'an dernier, selon mes informations, 116 ressortissants tunisiens ont quitté l'Allemagne après avoir été déboutés de leur demande d'asile. Ce n'est pas encore assez rapide et nous discutons de la manière permettant d’améliorer ce processus et le réaliser sans difficultés ».
Or, avant même son entretien avec Angela Merkel, le chef du gouvernement tunisien Youssef Chahed avait rejeté en bloc les demandes de Berlin qui reproche, à son tour, à Tunis de freiner ces expulsions qui se chiffreraient à entre 1000 et 1500, sachant qu’il s’agit, en grande partie de personnes liées à la mouvance salafiste.
Mais l’Allemagne estime, surtout, que la Tunisie est suspectée d'avoir bloqué, au cours de l’année 2016, le rapatriement d'Anis Amri, l'homme qui avait tué 12 personnes le 19 décembre dernier en attaquant au « camion-bélier » pour le compte du mouvement terroriste Daech, un marché de Noël à Berlin.
Ce à quoi, Youssef Chahed réplique en toute assurance : « Les autorités tunisiennes n'ont commis aucune erreur », a-t-il affirmé dans une interview au quotidien populaire Bild, semblant même rejeter la faute sur l'Allemagne. Youssef Chahed a insisté sur le fait que : « les autorités tunisiennes ont fait ce qu’il fallait. Nous étions toujours en étroite collaboration avec l'Allemagne ». « Nous attendons des autorités allemandes des preuves limpides que la personne [suspectée] est vraiment tunisienne. Les migrants clandestins utilisent de faux papiers et ralentissent la procédure », a-t-il dit en substance.
Mais, il y a un an déjà, l'Allemagne avait déjà sévèrement critiqué la lenteur des expulsions après que la police eut établi que l'essentiel des auteurs identifiés des centaines d'agressions sexuelles commises la nuit du Nouvel An à Cologne étaient originaires d'Afrique du Nord et en situation irrégulière.
Toujours selon Bild, le chef du gouvernement tunisien a dit "non" à Angela Merkel sur son idée de créer des camps en Tunisie pour y accueillir les migrants sauvés au cours de leur traversée de la Méditerranée depuis la Libye et empêcher ainsi leur arrivée en Europe. Une question que les deux dirigeants affirment, pourtant, ne pas avoir traitée.
L'attitude ferme de l'Allemagne sur cette question s'explique par la campagne électorale qui bat son plein aujourd'hui, avec pour thématiques principales, justement, ces questions ayant trait au terrorisme, à l’immigration et aux réfugiés en provenance des zones de tension. En effet, le parti populiste anti-immigration AFD profite de la situation pour s'ancrer dans le paysage politique, accusant Mme Merkel d'avoir mis le pays en danger.
Mais le sujet des expulsions est aussi très sensible en Tunisie fortement par le fléau du chômage des jeunes, sans oublier que plusieurs familles vivent de l'argent des proches installés et travaillant dans les pays européens.
A remarquer, également, que selon certains analystes, le retour pourrait s'avérer catastrophique pour notre pays qui a réussi, malgré la crise économique et des attentats à répétition, à constituer un modèle de réussite dans les divers pays ayant connu des révolutions en 2011.
Donc, outre cet aspect qui s’est imposé lors de cette visite, la Chancelière a rassuré la Tunisie quant à sa volonté de soutenir la Tunisie par « un large partenariat qui permette aux gens de ne plus se retrouver dans l’obligation de quitter leur pays par n’importe quel moyen pour rallier l’Europe ».
Elle a ainsi promis l'aide allemande en matière de formation professionnelle, de sécurité intérieure et d'investissements en Tunisie qui constitue un pont entre l’Europe et l’Afrique alors que Youssef Chahed réaffirmait la détermination du gouvernement d’union nationale à encourager les investissements étrangers en Tunisie tout en mettant l’accent sur l’importance des relations de coopération entre la Tunisie et la République fédérale d'Allemagne.
Pour ce, Youssef Chahed a évoqué les défis économiques et sécuritaires auxquels est confrontée la Tunisie, mais il a fait part, aussi, de la reprise de la production de phosphate et de la relance des secteurs du tourisme et de l'agriculture, formant l’espoir de voir l’économie nationale connaître une nouvelle dynamique grâce aux projets de développement entrepris dans les régions intérieures du pays. Le chef du gouvernement a également réitéré l’engagement de la Tunisie à concrétiser les objectifs de la révolution tunisienne, en l’occurrence l'emploi, la liberté et la dignité nationale.
En tout état de cause, la première visite officielle du chef du gouvernement, Youssef Chahed en Allemagne a été marquée par de multiples enjeux d’ordre politique, économique et sécuritaire. En revanche, le point du retour des immigrés et autres réfugiés déboutés a été un point de friction que les deux parties espèrent dépasser pour céder la place à un partenariat fructueux dont la Tunisie a fortement besoin en cette étape transitoire, surtout au niveau économique.
Sarra Hlaoui