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Chroniques
L’avenir du système bancaire tunisien en question
19/06/2014 | 16:01
5 min
Par Mourad El Hattab*

Suite à sa réunion du 28 Mai 2014, le Conseil d’Administration de La Banque Centrale de Tunisie (BCT) a examiné les dernières évolutions monétaires et il a enregistré la poursuite de l’accroissement des besoins des établissements de crédit en liquidité. On y a souligné la hausse du rythme de progression de l’encours des dépôts durant les quatre premiers mois de l’année contre une quasi-stagnation de l’évolution des concours à l’économie. Ceci illustre l’éventualité d’accroissement, pour les banques, des risques de liquidité et à un degré moindre, de l’intérêt durant les prochains mois.

Les pressions en termes de liquidités qui n’ont cessé d’engendrer des surenchères entre les banques pour la mobilisation des ressources notamment de la catégorie stable, ont été à l’origine d’une intervention de la BCT pour ajuster le fonctionnement du marché monétaire avec une enveloppe de 5300 millions de dinars en moyenne quotidienne, jusqu’au 27 du mois de mai écoulé. Le taux d’intérêt moyen sur le marché a accusé un léger repli pour s’établir à 4,70%.

Cette situation trouve son origine dans la progression de l’encours des dépôts durant les quatre premiers mois de l’année en cours à une cadence faible de 2,6% en raison, particulièrement, de la relance de l’évolution de l’encours des comptes à terme communément dénommés comptes bloqués de 3,7%, alors que les concours à l’économie constitués des crédits à la clientèle et des portefeuilles des participations bancaires ont enregistré un rythme d’évolution qui n’a pas dépassé à son tour 2,6%.

De ce fait, il est attendu, au cas où la situation ne connaisse pas un réel redressement que le système bancaire tunisien subisse un choc de resserrement de crédits à la consommation et une élévation du taux d’intérêt sur le marché interbancaire ce qui se traduira par des charges financières plus lourdes pour les entreprises.

Aperçu sur les principaux indicateurs d’activité des banques

La réalisation par les banques locales d’un chiffre d’affaires de 3930 millions de dinars au 31 décembre 2013 est en inadéquation avec les niveaux des produits nets bancaires, des marges d'intermédiation et des marges sur commissions enregistrés.
Au niveau de la zone du Maghreb Arabe et du Moyen Orient, le secteur bancaire occupe le dernier classement en termes d’efficacité et d’efficience économiques et managériales.

L’analyse des paramètres d’activité du secteur montre aussi que le volume réduit des capitaux propres, des provisions, des réserves et des fonds pour risques bancaires généraux par rapport au total des actifs plombés par les créances douteuses influe, négativement, aussi bien la rentabilité des actifs que celle des fonds propres.
A titre indicatif et aux termes de l’exercice écoulé, le rendement des emplois pour les établissements de crédit privés est de l’ordre de 1%, hors banques mixtes, banques appartenant au groupe libyen, banques étrangères on-shore et banques dites islamiques.

D’autres questions se posent quant à la solidité des assises financières du secteur bancaire tunisien au vu d’un taux de couverture des dépôts par les crédits qui est en dessous de la norme. Il en est de même pour les taux de productivité bancaire en régression durant les trois dernières années.

Côté résultat net d’exploitation, le secteur n’a dégagé, au cours de la période d’analyse, que 365 millions de dinars sur un volume d’affaires total de 62497 millions de dinars soit un taux inédit de 0,6%.

Il est clair, en scrutant les indicateurs d’activité du système bancaire local, que bien qu’il demeure la principale source de financement de l’économie, il est confronté à des défis considérables au niveau des normes de gestion des risques et de la capitalisation de certaines banques jugées en deçà du niveau exigé par les règles prudentielles.

Cartographie générale des risques et perspectives de réformes

Eu égard aux répercussions de la crise financière et économique provoquée par le chaos illustré par l’impossibilité ou l’absence de volonté de maîtriser l’instabilité et le terrorisme devenus des phénomènes endémiques et les perspectives de croissance pour 2014 prévus à un niveau modeste (2,6%), les perspectives de croissance de l’économie nationale pourraient, éventuellement, être marquée par un fléchissement dépassant les prévisions tracées.

Par effet de contagion systémique et au vu des pressions inflationnistes et des déficits liés aux équilibres budgétaires et à la balance des paiements, le système bancaire national ne sera pas à l’abri de la morosité et du déclin.
Les difficultés qui pourraient être rencontrées par les banques où des secteurs économiques clés qui souffrent d’un fléchissement de l’investissement et de la demande, seraient le recouvrement des créances et le renchérissement des coûts des ressources.

Face à ce constat, la réforme du secteur bancaire est impérative. Plus précisément, il y a un besoin urgent de renforcer les fonds propres des banques et de soutenir le développement des bonnes pratiques financières via des instruments d’investissement en capital à même d’encourager l’octroi de crédits à moyen et long termes à travers des outils de partage de risque et de mécanismes de garantie appropriés.

Néanmoins, la restructuration du système bancaire ne doit pas être abordée uniquement sous l’angle réducteur de la capitalisation des banques ou du choix de la taille optimale de concentration bancaire, mais plutôt dans une perspective d’inclusion bancaire, d’optimisation des concours à l’économie, et de levée des obstacles majeurs à l’accès des entreprises aux sources de financement.

Cette démarche s’inscrit nécessairement dans une complémentarité des rôles dévoués au marché financier qui demeure faiblement doté d’outils de mobilisation de l’épargne, d’intermédiation des risques et d’offre de moyens de paiement.

Une vision stratégique de la réforme du système bancaire comme projet prioritaire pour la nation doit écarter les ambitions floues appelant à des restructurations dont les finalités sont contre les intérêts de l’économie nationale à l’instar de la privatisation voire même la liquidation pure et simple de certains établissements de crédits. Les acteurs économiques nationaux sont déjà conscients de ces manœuvres et s’y opposeront certainement.

Soutenir la croissance des secteurs public et privé, donner une impulsion à la création de la richesse et des emplois, développer une économie solide et diversifiée sont le but ultime de n’importe quel décideur même provisoire à travers un cadrage des axes prioritaires des réformes à entreprendre.

*Spécialiste en gestion des risques financiers
19/06/2014 | 16:01
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