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Chroniques
Pourrait-on éviter le désastre de la suppression de la compensation ?
03/04/2014 | 15:59
5 min
Par Mourad El Hattab

La suppression de la compensation, un désastre en route ?
Plusieurs officiels essayent d’expliquer que le déficit actuel de l’Etat voire même la possibilité de sa faillite revient au gouffre des dépenses des subventions. Pourtant, il s’agit là d’une machination économique flagrante. L’épineux problème se justifie par les choix politiques et la gouvernance anarchique de la Troïka quant aux finances publiques. C’est dans ce sens qu’il faut chercher des alternatives pour éviter une catastrophe sociale dont nul ne peut prévoir les conséquences.

Sans rentrer dans le labyrinthe des chiffres souvent tronqués et jetés hors contexte, les arguments avancés pour adopter une solution justifiée auprès d’une opinion publique désorientée et bien formatée pour l’accepter, tournent autour de la rationalisation des dépenses publiques, l’exigence d’une équité sociale et le sauvetage de la sécurité alimentaire et énergétique.

En apparence, la démarche est adaptée pour éviter un chaos galvanisant 15% du Budget et en faisant profiter les classes défavorisées des subventions. Nous sommes là en pleine qualification du système, pêle-mêle, comme socialement creux et économiquement insoutenable.

Il est grand temps, selon l’optique actuelle du management public, de considérer la suppression accélérée de la Caisse Générale de Compensation (CGC) comme priorité absolue, et ce, en dehors du discernement du parcours de la politique économique qui l’a échafaudée pendant des dizaines d’années, pour échapper à une crise conçue et orchestrée par les deux gouvernements sortants.

La CGC, un parcours de politique économique
La CGC a été créée en 1970 dans l’objectif de stabiliser les prix des produits de base via leur subvention pour atténuer l’effet d'augmentation des coûts de production et sauvegarder le pouvoir d’achat. Elle subventionne des produits élémentaires à savoir, les dérivés céréaliers, l'huile de graine, le papier scolaire, le lait, le sucre et le concentré de tomates ainsi que les hydrocarbures. Deux tiers des subventions concernent les énergies.

L’expérience de l’administration tunisienne, qualifiée d’équilibrée par plusieurs experts, a montré, systématiquement, qu’à chaque fois où l’Etat a procédé à la régulation du prix à la production d’un produit agricole, on comblait son déficit. C’était le cas de l’aviculture, de l’huile d’olive, de la culture céréalière … Du reste, tous les produits agricoles dont les prix n’ont pas été fixés, étaient déficitaires en production et ne couvraient pas les besoins.

Le système connaît, au niveau de certains cycles des marchés mondiaux quelques chocs. Notons, à ce niveau, les flambées des prix internationaux de certains produits qui ont plus que triplé en 2008 mais qui ont baissé de 23,7 % en 2009. Quant aux prix mondiaux des céréales, ils sont stables depuis 2010.

Par ailleurs, la gestion désordonnée du système durant les deux dernières années, l’accentuation du déficit commercial, la chute vertigineuse du Dinar, l’explosion des dépenses de fonctionnement du gouvernement et le ralentissement de la croissance de l’économie nationale ont diminué les marges de manœuvres pour contrer les aléas des marchés mondiaux et protéger, ainsi, le pouvoir d’achat des Tunisiens des effets des augmentations des facteurs de production. La facture d’importation des produits énergétiques et alimentaires a doublé pendant la période de 2012/2013.

Proposition d’alternatives de réforme
Sur ce plan, une question se pose quant aux études évoquant les coupes coriaces dans les budgets de ménages, ces dernières années, les condamnant à la dégradation du pouvoir d’achat, à la montée de la débrouille pour survivre et à l’explosion de la pauvreté avec des chiffres avancés en nette discordance.

Il est difficile, aussi, de comprendre plusieurs éléments indéfinis tels que le panier, la stratification sociale, la classification régionale, l’étendue de l’économie souterraine et ses tenants : des notions flous, jamais bordées. Très peu d’analyses, socio-économiques rigoureuses, ont été élaborées pour permettre le ciblage des secteurs, des couches et des territoires affaiblis et précarisés.
Que d’indicateurs basés sur un chiffrage comptable ridicule et des évaluations des dépenses de compensation qui escamotent le coût social en termes d’impacts différentiés.

Bref, la première étape de réforme doit toucher le mode de fonctionnement de la CGC en la dotant d’une structure de veille surveillant les variations des prix au niveau mondial ainsi que le rythme de la consommation des produits subventionnés, pour qu’elle demeure l'un des mécanismes de la cohésion sociale ce qui nécessite le soutien du gouvernement de ses actions pour qu'elle puisse s'acquitter de ses missions.

La CGC doit consacrer, au niveau de ses objectifs, les principes de bonne gouvernance et de transparence notamment à travers la réduction significative du délai de traitement des dossiers des subventions, l’exploitation des nouvelles technologies de l’information et de la communication pour faire valoriser ses activités en terme d’interactivité, l’utilisation des produits financiers de couverture des risques de cotation et de change lors de la gestion des marchés, la publication de rapports récurrents relatifs aux statistiques des subventions et le renforcement de son système d'audit interne.
La maîtrise de la hausse du coût de la compensation, l’évitement de l'accumulation des arriérés et le recours minimum au prêt pour financer ce système avec des impacts négatifs sur les équilibres macroéconomiques doivent constituer les piliers de la deuxième étape de la réforme du système tunisien de compensation.
Dans ce cadre, le gouvernement pourrait opter pour le système de compensation partielle afin de garantir la poursuite du soutien du pouvoir d'achat des citoyens, à travers la prise en charge par des fonds spéciaux du Trésor d'une partie des cours des produits compensés qui connaissent une certaine hausse, tout en maîtrisant le budget alloué, à cette fin, par la stabilisation de la charge de compensation dans la limite des crédits ouverts.
La soumission des propositions émanant de toute partie prenante et la coordination avec tous les intervenants de la société civile sont les garants du consensus et de l’adhésion à des choix généraux et réussis.
Par contre, adhérer inconsciemment à des recettes concoctées, de manière stéréotypée, par des réseaux d’influence au niveau de certaines institutions financières internationales visant, en déconnexion totale du contexte local, une stratégie rapide d’ajustement remplaçant le système des subventions généralisées et principalement dans les secteurs de l’énergie par un soi-disant système de protection sociale ciblé, ne peut mener qu’à des désastres et à l’instauration d’un système renouvelé de la Troïka pour n’engendrer que de nouvelles calamités de tout genre.

 
*Spécialiste en gestion des risques financiers
03/04/2014 | 15:59
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