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Le casse-tête économique qui attend Youssef Chahed
11/08/2016 | 19:59
6 min
Le casse-tête économique qui attend Youssef Chahed

 

Depuis la révolution, la situation économique de la Tunisie n’a pas cessé de se détériorer, chaque fois qu’on croit toucher le fond, les choses empirent davantage. Le terrorisme en général et les attentats du Bardo, Sousse et de Tunis en particulier n’ont pas arrangé les choses, privant la Tunisie de la manne du tourisme qui contribuait à hauteur de 7% du PIB. Ainsi, le nouveau gouvernement devra relever un ensemble de défis économiques. Focus sur les problématiques les plus importantes.

 

Depuis sa nomination en tant que chef du gouvernement le 3 août dernier, Youssef Chahed multiplie les rencontres et les consultations pour la formation de son nouveau gouvernement d’union nationale afin d’avoir le maximum de soutien. Dès sa prise de fonction, cette nouvelle formation devra relever plusieurs défis notamment économiques, d’où l’importance d’avoir la bonne personne au bon endroit. Ce sera probablement la dure tâche qui sera confiée à Marouane El Abassi, pressenti pour occuper un grand ministère chargé de l’Economie et des Finances. D’ailleurs, il a été reçu le 4 août courant par Youssef Chahed à Dar Dhiafa, ce qui tend à accréditer cette thèse.

M. El Abassi est économiste principal au sein de la Banque mondiale. Il est docteur en économie de l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne et enseignant dans plusieurs universités prestigieuses, de Tokyo à New York. Il est titulaire d’un mastère en économie mathématique et d’un mastère en agroéconomie. Il est conseiller économique auprès du ministre du Commerce, du Tourisme et de l’Artisanat. Il a aussi été chargé de piloter les projets de développement des exportations financés par la Banque mondiale.

 

Ainsi, le premier défi du gouvernement de Youssef Chahed sera la reprise de la croissance économique à des taux permettant la création de valeur et d’emploi. Les taux de croissance réalisés sont en deçà des aspirations du pays, sachant qu’un point de croissance représente la création de 100.000 emplois. Dans un rapport de la Banque mondiale publié en avril 2016, l’institution note que «les tensions sociales qui ont marqué la première moitié de 2015, ainsi que les effets combinés de trois attentats terroristes dramatiques, ont été les principaux moteurs de la performance économique de la Tunisie en 2015. La croissance du PIB n’a atteint que 0,8% grâce à de bons résultats dans la production agricole (+9,2%), en particulier la production d’olives, tandis que la plupart des autres secteurs de l’économie ont reculé ou stagné. Les grèves conjuguées aux troubles sociaux dans les régions minières (phosphate) et le déclin durable de la production pétrolière et gazière ont entraîné un net repli dans les industries chimiques (-5,3%) et le raffinage du pétrole (-18,2%) et un recul global des industries non manufacturières (-4,1%)». Bien que la Tunisie ait fini l’année avec une inflation maitrisée à un taux moyen annuel de 4,9%, pour sa part, le taux de chômage reste élevé à 15,4%.

La BM estime que les perspectives économiques immédiates dépendent de l’impact persistant des atteintes à la sécurité et des tensions sociales qui ont marqué une grande partie de 2015 et le début de 2016. «Dans un scénario favorable, la croissance économique devrait repartir à moyen terme. La croissance du PIB devrait se redresser légèrement à 1,8% en 2016, avec la reprise de la production de phosphate… Dans un scénario qui combinerait la poursuite des réformes structurelles, le renforcement de la sécurité et l’amélioration de la situation régionale (notamment un début de normalisation en Libye), une plus grande stabilité sociale, et une augmentation modérée de la demande extérieure, la croissance économique devrait s’accélérer à 2,5% en 2017 et à 3% en 2018».

 

Le deuxième défi important et qui aura un impact direct sur la croissance comme l’explique la Banque mondiale, ce sont les réformes structurelles. En effet, la Tunisie s’est engagée depuis la révolution dans la mise en place de plusieurs réformes. Si certaines ont déjà vu le jour comme la réforme bancaire, certaines tardent notamment le Code de l’investissement, la réforme fiscale et douanière ou la réforme de la fonction publique. Les réformes aussi devraient s’étendre aux entreprises publiques et à la manière de les gérer. En effet, le déficit des entreprises publiques tunisiennes a atteint au cours des trois dernières années 3 milliards de dinars, à cause des difficultés qu’elles subissent et qui sont liées essentiellement à une mauvaise gouvernance.

Autre point important, le gouvernement ne pourra pas évoluer sans une stratégie claire et la mise en place d’un plan quinquennal déterminant les objectifs à atteindre.

 

Autre problème, la Tunisie peine à trouver son équilibre budgétaire depuis la révolution. En effet, le déficit budgétaire a atteint 6,8% en 2013 alors que les standards internationaux sont de 3%. Donc, le gouvernement aura comme tâche de préserver les équilibres économiques ou plutôt de les ramener. Les dépenses publiques sont restées dominées par les dépenses de fonctionnement, avec un nombre de fonctionnaires ayant passé de 404.000 en 2010 à 630.000 en 2015 et une masse salariale ayant évolué en 4 ans de 6,5 à 13 milliards de dinars et qui représente actuellement 45% du budget de l’Etat, soit près de 14% du PIB. Les dépenses d’investissement ont continué d’être comprimées, indiquant une exécution lente des investissements.

La Banque mondiale estime dans son rapport que «les pressions budgétaires devraient continuer à croître, avec une augmentation des dépenses courantes exacerbée par la hausse annoncée des salaires à compter de 2016 et de nouveaux recrutements dans les forces de sécurité et de défense».

 

Comme indiqué dans la Loi de finances 2016, la Tunisie va payer un principal de 3.280 millions de dinars (MD) et un service de la dette de 1.850 MD, soit au total 5.130 MD contre 4.700 MD en 2015. Le stock de la dette va donc évoluer de 46.051 MD à 50.353 MD entre 2015 et 2016. Pour sa part, l’endettement du pays passera de 52,7% à 53,4%, pour cette même période (contre 40% en 2010). La BM estime que le service de la dette devrait atteindre 4% du PIB par an sur la période 2016-2018.

La dette de la Tunisie a presque doublé en 7 ans évoluant de 26 milliards de dinars en 2010 à 50 milliards de dinars en 2016, soit une hausse de plus de 92%.

Or, pendant cette période, le dinar tunisien s’est fortement déprécié par rapport aux devises les plus utilisées par le pays pour ses transactions et ses prêts (-29,71% par rapport à l’euro entre août 2010 et août 2016 et -52,48% par rapport au dollar pour cette même période). En plus, la croissance et l’investissement ont diminué après que la croissance ait été presque nulle, pendant des années. D’où ce recours intensif à l’endettement : un endettement dirigé vers la clôture du budget et la consommation et pour financer l’Etat, son budget, les salaires des fonctionnaires et surtout leurs augmentations. Le pays s’est donc lourdement endetté et le pic des remboursements est prévu pour 2017.

Ceci a poussé les experts économiques du pays à tirer la sonnette d’alarme et à dénoncer ce qui se passe. Pour eux, si la Tunisie continue sur cette lancée, elle ne pourra plus assurer le paiement de ses dettes, alors que le pays n’a jamais raté une échéance.

 

Dès son accession au pouvoir, le gouvernement de Youssef Chahed aura à s’atteler aux défis économiques, défis importants et qui mesureront à la fin de son mandat l’étendue de sa réussite car relever les défis économiques signifiera le redressement de la situation du pays et sa sortie de crise. Toutefois, les tensions politiques et la pression exercée par le syndicat vont rendre difficiles, voire impossibles, les coupes budgétaires et les réformes douloureuses dont la Tunisie a pourtant besoin.

 

Imen NOUIRA

11/08/2016 | 19:59
6 min
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Commentaires (25)

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observator
| 12-08-2016 18:08
Ce n'est pas vrai.
Et la fonction démographique n'est pas exponentielle.
Le taux de fécondité en Tunisie est inférieur à deux ( environ 1.5).

Donc à ce rythme c'est un vieillissement démographique que nous connaissons.
Une autre preuve : des écoles primaires sont entrain de fermer, bientôt des collèges et les lycées.
Au contraire nous avons interet à mener une politique plus nataliste.
Si nous voulons exister en tant que nation. C'est une question de bon sens.

Au conditions actuelles, nous serons jamais 28 millions en 2050.
Un pays qui n'enfante pas c'est un pays qui meurt.

Zohra
| 12-08-2016 16:40
What a wonderful world
Quel monde merveilleux, espérant qu'il le soit pour notre Tunisie chérie,

Merci Jamel sublime, j'adore Louis Armstrong

Amicalement

Dr. Jamel Tazarki
| 12-08-2016 16:33
Ce que vous prenez/donnez comme référence "l'expérience de gestion des entreprises saisies du clan Ben Ali par l'état" est un très mauvais contre-exemple. Je vous rappelle que les entreprises saisies du clan Ben Ali étaient condamnées à la faillite après la révolution du Jasmin, pour la simple raison que ces entreprises étaient dirigées par une mafia qui contrôlait tous les pouvoirs pour son propre compte' Les entreprises saisies du clan Ben Ali étaient incapables de s'autofinancer (financer leurs activités ainsi que leurs investissements à l'aide de leurs propres moyens financiers), et j'espère que vous savez pourquoi (La mafia, comme partout ailleurs, oblige la clientèle d'acheter sa production et se procure les matières premières gratuitement, ce qui n'est plus possible après la Révolution de Jasmin)


J'ai proposé ci-dessous que l'Etat doit intervenir comme entrepreneur [seulement] dans des domaines où personne n'ose prendre le risque. Je donne un exemple, mais il y'a tant d'autres: la protection de nos frontières est un véritable défi pour notre pays. Pour relever ce défi, nous devront s'employer à améliorer nos moyens de contrôle et de surveillance de nos frontières. Je conseille de créer une société tunisienne de conception et de fabrication de petits avions de chasse: un gouvernail de direction, un fuselage, deux ailerons, deux ailes, un petit moteur, une hélice et un peu de mathématiques' Un menuisier, un forgeron, un électricien, un mécanicien et un mathématicien pourraient les fabriquer. Il faut être bricoleur et comprendre les principes de vol d'un avion et de la force élévatrice (ascensionnelle). La supériorité numérique est très importante lorsqu'on construit ces petits jouets, ces avions d'un temps passé. Au début, on utilisera même un système de câbles.


Justification, "alles kaputt, alles am Boden" (ce qui signifie: "tout est cassé, tout est 'cloué' au sol"):

1) Réalité russe :
Dans son livre la Perestroïka, Michail Gorbatschow disait que la Russie a su construire des fusées, des avions et envoyer des cosmonautes dans l'espace mais ne savait pas fabriquer de machine à laver.

2) Réalité allemande (Alles kaputt, alles am Boden):
Le journal allemand Spiegel a sorti le 25 août 2014 un article extrêmement inquiétant sur l'état de la Luftwaffe:

http://augengeradeaus.net/2014/08/bundeswehr-ausruestung-alles-kaputt-alles-am-boden/comment-page-4/

- Sur les 109 Eurofighter de la Luftwaffe, seulement 8 sont en état de voler.
- sur les 67 hélicos CH-53 seulement 7 peuvent décoller
- Sur les33 hélicos du type NH90, seulement 5 sont en état de vol.
- Et sur les 56 Transall, seulement 21 sont en état de vol.

Oui, les Allemands avaient et ont encore des problèmes afin de réparer leurs Eurofighter et leurs hélicos

===> Réalité tunisienne:
1) De la réalité russe nous pouvons conclure qu'il est apparemment beaucoup plus facile de construire des avions que des machines à laver ou des voitures. Et nous devons construire plutôt des avions que des machines à laver ou des voitures.

2) De la réalité allemande nous pouvons conclure que si les Allemands étaient incapables de réparer leurs propres avions militaires, comment pourraient le faire sinon les techniciens tunisiens!

Conclusion: on risque de sacrifier des Millions et des Milliards de dollars pour un matériel militaire que l'on ne saura pas utiliser et réparer. Puis, je doute qu'il y'aurait des entrepreneurs tunisiens qui seraient prêts à investir dans la production des avions dont j'ai parlés ci-dessus ===> d'où la nécessité de l'Etat entrepreneur'

Puis il y'a une infinité d'autres domaines où l'entrepreneur tunisien n'ose pas et ne veut pas y investir'

Très Cordialement

Jamel Tazarki

La guerre et la paix de Léon Tolstoï:
1ère partie: https://www.youtube.com/watch?v=fcOg7UdgZnc&list=PLT9cjgq326Z6KXBaosVrmN0BsBljLCN3-

2ème partie:
https://www.youtube.com/watch?v=Ic-HJorWzjM&list=PLT9cjgq326Z6KXBaosVrmN0BsBljLCN3-&index=12

3ème partie:
https://www.youtube.com/watch?v=0OtiSzj1g5Y&list=PLT9cjgq326Z6KXBaosVrmN0BsBljLCN3-&index=20

Pourquoi lire la guerre et la paix de Léon Tolstoï ?
https://www.youtube.com/watch?v=ladmun3icQQ


Dr. Jamel Tazarki
| 12-08-2016 16:08
Merci pour votre Feedback, je suis très touché d'autant de gentillesse à mon égard et de sensibilité.

Très cordialement

Jamel

Louis Armstrong: What a wonderful world:
https://www.youtube.com/watch?v=bkTLIO2zanM

Lario
| 12-08-2016 15:59
Tout programme ou projet de quelle nature qu'il soit doit étre soumis à la question quintuple : -quoi?-pourquoi?-comment?- où ?et quand ? .Actuellement, Ce qui est le plus urgent et le plus pertinent,( et je ne sais pas s'il est tard ou non), c'est à Mr chahed en tant que chef de gouvernement d'inviter tous les indépendants experts tunisiens et ceux de nos meilleurs pays freres et amis qui ont connu des périodes plus ou moins proches à notre mutation et transition démocratique, à débattre et à analyser objectivement et sans aucun parti pris tous les marasmes et les fléaux de chaque secteur que notre chére TUNISIE est en train de subir,et ce durant une période bien déterminée , et de lui soumettre leurs rapports de synthése et leurs propositions bien claires , bien détaillé ess avec des agendas prévisonnels bien établis, et il n'a qu'à trousser les manches avec son équipe choisie par lui-méme,et foncer avec courage, abnégation, et conviction et de prendre compte que les citoyens moyens qui sont devenus de la catégorie des démunis ne peuvent plus supporter davantage .

G&G
| 12-08-2016 15:46
La seule et unique solution c'est d'appliquer à la lettre le constat de l'étude suivante et sans commentaire. C'est un génie-mathématique qui le dit.

http://www.businessnews.com.tn/le-paradoxe-de-la-retraite-anticipee-obligatoire-dans-le-secteur-public,526,63858,3

Je défie toute personne capable de le contredire.

G&G
rcdiste et fier.

Larbi
| 12-08-2016 10:03
Je crois sincèrement, que remettre l'état au coeur de la matrice de création de richesses est coûteux et dangereux.
Nous ne sommes pas la Chine, et l'expérience de gestion des entreprises saisies du clan Ben Ali par l'état, est édifiante à ce sujet.

Zohra
| 12-08-2016 08:24
Bonjour Khouya Jamel,

J'ai lu avec un très grand intérêt votre analyse, une très belle perspective économique et sociale Machallah.

Depuis, la révolution on attendait et on espérait des gens compétents tel que vous mais en vain, il y a que des rafistolages et de colmatage de brèches dans tous les domaines malheureusement.

Espérant que ce premier ministre, va s'entourer des gens compétents et très courageux (et non pas des gens qui courent après le pouvoir) pour entreprendre des mesures et des réformes pour sauver le pays, et qu'on les laisse surtout travailler et qu'on leur le temps nécessaire pour réaliser leur travaux.

Je suis en admiration, bonne continuation

Bien cordialement




Dr. Jamel Tazarki
| 11-08-2016 23:04
Merci Madame Imen NOUIRA d'avoir publié tous mes commentaires, Je vous propose de regarder ce film très émotionnel en tant que remerciements:

Far from the Madding Crowd:
https://www.youtube.com/watch?v=-k34f7A4tX8#t=90.067291

Très cordialement

Jamel Tazarki

Dr. Jamel Tazarki
| 11-08-2016 22:54
Les PME de 1 à 9 salariés ne manquent pas en Tunisie et leur pourcentage par rapport au nombre d'habitants est même supérieur en Tunisie qu'en Allemagne. Ce qui manque en Tunisie, ce sont les PME dont le nombre de salariés dépasse les 80 salariés qui seraient capables de rationaliser la production, d'augmenter la productivité tout en diminuant le prix de revient. Ainsi je me demande, pourquoi le gouvernement tunisien ne s'engagerait pas à effectuer un volume de 10% de la commande publique auprès des petits PME afin de leur permettre de s'agrandir. La commande publique est un formidable levier afin de motiver nos petites entreprises à s'agrandir. L'achat public représente plus que 8 milliards de dinars par an pour l'État et ses différentes institutions. Ainsi le Pacte national pour la création de l'emploi serait de mobiliser l'achat public afin d'accompagner le développement des petits PME. Pourquoi, effectuer les commandes publiques auprès de nos milliardaires entrepreneurs et ignorer toutes ces petites PME pleines d'énergie et qui voudraient produire plus et s'agrandir, si seulement elles avaient les moyens. Oui, je propose de mettre en place un partenariat couvrant l'achat public des produits, services ou travaux auprès des petites PME sans qu'il soit nécessaire de procéder à une mise en concurrence.


Je résume: Les PME de 1 à 9 salariés ne manquent pas en Tunisie et ça ne fait aucun sens d'en rajouter. Ce qu'il faut faire est plutôt de permettre à nos petites entreprises de s'agrandir, de créer de l'emploi, de devenir plus compétitives à l'échelle internationale.

Jamel Tazarki