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La Tunisie est-elle vraiment en faillite ?
14/10/2013 | 1
min
La Tunisie est-elle vraiment en faillite ?
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Par Dr Moez JOUDI*

Sans prêcher dans le marasme et loin d’être un adepte du pessimisme de Lorenzo (Lorenzaccio de Musset, 1834), il faut reconnaître aujourd’hui que la situation économique de la Tunisie est très difficile et nous pousse à multiplier les avertissements quant aux conséquences et aux répercussions sur les équilibres vitaux de notre pays !


Croissance molle (2,5 – 2,7 %, 3 % au plus en 2013) tirée par la consommation et non par l’investissement, hausse de l’inflation (6 – 7 % affichée par l’INS mais en réalité elle se situe au dessus de 10 %), baisse des réserves en devises (103 jours en septembre 2013, alimenté surtout par des emprunts extérieurs), taux de chômage encore élevé (16 – 17 % en septembre 2013 « compressé » par des embauches massives et contreproductives dans la fonction publique !), mais surtout une accumulation des déficits qui commence à ébranler sérieusement l’économie nationale et à entraîner des fissures qu’il serait laborieux de colmater à court – moyen terme. Ainsi, notre déficit budgétaire atteindra les 10 % fin 2013 alors qu’il était prévu à 5 ,95 % (loi de finance 2013 validée par l’ANC), la balance commerciale accuse de même un déficit conséquent de l’ordre de 8 milliards de dinars au mois de septembre 2013 et qui pourrait atteindre les 13 – 14 milliards de dinars vers la fin 2013, ce qui affectera la balance des paiements et ce qui alimentera l’« inflation importée », engendrée, d’une part, par une hausse de nos importations et d’autre part par la dépréciation relative du dinar tunisien (estimé à 2,5 par rapport à l’euro au premier semestre 2014). Toutes ces tendances et bien d’autres retardent la relance aujourd’hui et altèrent la confiance des opérateurs économiques nationaux et internationaux. Outre la crise politique qui tarde à se résoudre et qui complique encore la situation en accentuant l’ambigüité et le manque de visibilité.
Au niveau international, la crédibilité de la Tunisie est sérieusement touchée. Les baisses successives de la notation souveraine annoncées par Standard and Poor’s, Moody’s, Fitch Rating et même par l’agence japonaise R&I, réputée pourtant pour sa prudence, viennent d’ailleurs confirmer cette tendance, et au-delà des tenants et des aboutissants, elles affecteront certainement l’image du pays et la reprise de la confiance au niveau des financements et des investissements.
Dans ce contexte, le gouvernement de transition de M. Ali Laârayedh qui, normalement, ne peut être insensible à cette décadence, surtout que les attentes au niveau de la population sont énormes d’un point de vue économique et social, persiste dans sa politique de la négation, du déni et de la fuite en avant ! En même temps, la réussite du processus de transition démocratique passe par une nécessaire stabilité économique et sociale.

A partir de ces constats, faut-il pour autant considérer la Tunisie comme étant un pays qui encourt un risque de faillite ?

Tout d’abord, malgré les cas de la Grèce, de l’Islande au déclenchement de la crise des subprimes et de l’Argentine en 2002, l’expression "faire faillite" est impropre et impertinente pour le cas d’un État. En effet, si on se réfère à la définition de base ou à l’origine de l’expression, elle renvoie plutôt à « la situation dans laquelle se trouve un agent économique qui ne peut plus faire face à ses engagements, conduisant à une procédure judiciaire. Il s'agit de céder les actifs - les ressources dont il dispose - pour rembourser les passifs - ce qu'il doit payer -, du moins dans la mesure du possible. Le but est de réallouer le capital d'un agent économique à un autre et de rembourser les créanciers » (Timbeau, 2011)1 .

Ainsi, « contrairement à un ménage ou à une entreprise, un Etat placé dans l’incapacité ultime de payer ses dettes... ne les paie plus, sans disparaître pour autant du registre du commerce ou de la surface de la Terre, c’est-à-dire sans être contraint à la liquidation de son patrimoine pour rembourser ses créanciers » (Cordonnier, 2010)2 .
Il s’ensuit que la procédure de mise en faillite d’un Etat n’est pas possible en raison, notamment, des principes de souveraineté des Etats, de la spécificité de certains actifs détenus qui ne peuvent être repris ainsi que pour la nature même de l’activité économique et des fonctions régaliennes propres à l’Etat.

En effet, « la liquidation d'un pays et la reprise de son activité par un repreneur » (Timbeau, 2011), ne peuvent être organisées et s’avèrent des opérations inconcevables.

Cependant, un Etat pourrait rencontrer des problèmes de disponibilités conjugués à des phénomènes de credit-crunch (resserrement des crédits) et une baisse des réserves en devises qu’on n’arrive plus à alimenter à partir de ressources durables (IDE, tourisme, exportation). Il s’ensuit des risques de défaut ou de cessation de paiement pouvant ébranler la crédibilité d’un pays et ternir sa réputation. Autrement dit, « les Etats pourraient être incapables de rembourser leurs créanciers lorsque leurs dettes sont devenues trop lourdes. Et lorsqu’elles sont remboursées, elles le sont souvent en « monnaie de singe », c’est-à-dire avec une monnaie dévaluée du fait de l’inflation » (Reinhart et Rogoff cités par De Vauplane dans Alternatives Economiques, novembre 2011). Le recours abusif à la planche à billets n’est plus alors écarté, surtout dans les Etats gérés par des gouvernements en manque de légitimité, de compétence et d’éthique !

Et c’est bien le risque actuel dans lequel se situe la Tunisie ! Avec un taux d’endettement qui dépasse aujourd’hui les 46% et qui augmente en inadéquation avec le niveau de création de richesse, outre l’utilisation abusive de ces crédits dans le financement des dépenses publiques (environ 10 milliards de dinars de salaires, aggravés par les sureffectifs et l’inefficience de l’administration), avec des réserves en devises en baisse continue, des cumuls des déficits publics et extérieurs, et une restriction des crédits ainsi que leur ré-enrichissement, la Tunisie risque à court-moyen terme un défaut de remboursement et à long terme, une inaccessibilité aux crédits et aux financements extérieurs.
Afin d’éviter le gouffre, l’actuel gouvernement semble choisir pour 2014 la solution de facilité en voulant se racheter sur le dos du citoyen, notamment la classe moyenne qui constituait l’un des points forts de l’économie tunisienne, et qui subira encore une fois les affres de l’augmentation des impôts et de la détérioration du pouvoir d’achat.
Certes, techniquement, un Etat ne peut pas faire faillite, mais des situations de défaut de paiement peuvent le conduire à de graves conséquences au niveau de ses finances publiques et de sa relance économique.

La Tunisie est au bord du gouffre, ça urge, nous n’avons plus beaucoup de marges de manœuvre, il faut agir urgemment et efficacement pour retrouver une paix sociale et assurer une croissance soutenue, il en va même de la fiabilité et de la réussite de ce processus de transition démocratique.

 

1« Un Etat peut-il vraiment faire faillite ? », Xavier Timbeau, Le Nouvel Observateur, 21 – 06 – 2011.

2« Un pays peut-il faire faillite ? », Laurent Cordonnier, Le Monde Diplomatique, mars 2010.

* Président de l’Association Tunisienne de Gouvernance (ATG), Administrateur de sociétés

14/10/2013 | 1
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