alexametrics
mercredi 01 mai 2024
Heure de Tunis : 11:32
A la Une
Tunisie - Un syndicat «islamiste» et des cellules d'écoute pour étrangler l'UGTT
03/03/2012 | 1
min
Tunisie - Un syndicat «islamiste» et des cellules d'écoute pour étrangler l'UGTT
{legende_image}

Abdelfattah Mourou l’avait affirmé lors d’un entretien qu’il avait eu avec le prédicateur Wajdi Ghenim : pour les islamistes, la fin justifie les moyens, et tous les moyens sont bons pour «islamiser» la société, y compris se montrer sous un visage modéré afin de s’infiltrer et parvenir à son but, avait-il laissé entendre. Le problème de ces mêmes islamistes, et toujours selon Abdelfattah Mourou, est que cette infiltration est encore inachevée. Les islamistes aujourd’hui ont trois défis à relever, dans des secteurs qui leur sont hostiles et qu’ils doivent nécessairement contrôler, afin d’entreprendre, dans les bonnes conditions, cette «islamisation» tendancielle de la population ; islamisation (non pas dans le sens «musulman», car la grande majorité de la population l’est, mais dans le sens «islamiste») qui leur permettra de garder le pouvoir pour un temps indéfini. Trois secteurs sont encore à «circoncire», celui de la Police, encore attachée à son heure de gloire dictatoriale, des médias, libérés du joug de la dictature et qui s’opposent à ce qu’une nouvelle, sous une étiquette religieuse, ne soit instaurée, et enfin celui du syndicalisme, qui est historiquement et naturellement orienté de gauche, voire d’extrême gauche, et qui s’oppose donc au libéralisme et au conservatisme du parti islamiste au pouvoir.

Pour les policiers, le sujet est épineux, et la réforme du secteur serait profitable, si tant est que cette réforme s’effectue au profit de la République et non d’un parti donné. Concernant les médias, la campagne de dénigrement est quotidienne et se poursuit, en plus des procès intentés contre la liberté d’expression et les violences perpétrées contre les journalistes, justifiées voire niées par Ali Laârayedh qui préfèrera parler d’alcool et de mauvaises mœurs. Et enfin, pour le syndicalisme, les islamistes emploient toutes les méthodes possibles pour étouffer le monstre UGTT, la Centrale syndicale, qui, d’un claquement de doigt, pourrait paralyser le pays entier. La création d’un syndicat «islamiste», après cette campagne d’affaiblissement, est également en gestation.

La première étape de cette mainmise sur le secteur syndical, et celle que ne cessent de subir également les journalistes, aura été la politique de dénigrement. Accuser certaines parties d’extrême gauche, ainsi que des syndicalistes, de vouloir à tout prix instaurer le chaos dans le pays, à des fins politiques, pour affaiblir le gouvernement Jebali et, théorie du complot oblige, préparer une contre-révolution. Ainsi, tous les sit-in, grèves ou manifestations ne sont pas dus à des revendications sociales des travailleurs ou chômeurs, dont les conditions de vie ne cessent de se détériorer, et qui n’ont pas encore vu les objectifs de la révolution se réaliser. Ces objectifs étant, il faut le rappeler, le travail et la dignité, en plus de la liberté (même si certains auraient souhaité voir dans ce soulèvement populaire un problème d’identité, de francophonie ou d’application de la chariâa).

Cette campagne de dénigrement a pris, récemment, une tournure autrement plus vicieuse. En plus de l’incendie et de la détérioration de plusieurs locaux de l’UGTT, d’autres se sont vus ensevelis par des quantités importantes d’ordures ménagères. L’UGTT accuse Ennahdha. Ennahdha répond : le parti fait des campagnes d’assainissement de la ville en aidant au ramassage des ordures, mais nos militants ne sont pas derrière cet acte. Autrement dit, Ennahdha avait parfaitement les moyens de le faire mais ne l’avouera évidemment pas. L’UGTT ne laissera pas passer cet affront et organisera plusieurs mouvements de protestation à travers le pays. Les attaques contre l’UGTT ne seront pas passées inaperçues y compris à l’étranger et, avec les bavures policières qui se sont produites lors de la manifestation de Tunis, la terrible centrale syndicale s’attire la sympathie des médias et de la société civile. L’UTICA elle-même, indignée par les accusations qui ont été portées contre elle, stipulant sa complicité dans ces mouvements de protestation, apportera son soutien à l’UGTT. Une situation inédite où le patronat et le syndicat se retrouvent unis contre un ennemi commun.

Les islamistes font alors officiellement marche arrière et jouent l’apaisement. A présent, les dirigeants d’Ennahdha se veulent rassurants. Ils appellent ainsi à cesser les provocations contre l’UGTT, à soutenir la Centrale syndicale, qu’ils disent respecter et considérer comme un acteur incontournable dans la défense des droits sociaux des travailleurs. Ce discours officiel passe pourtant presque inaperçu auprès de ses sympathisants, étant plus dirigé vers les médias et l’opposition pour se montrer sous un visage plus modéré. La deuxième étape, celle privilégiée par Abdelfattah Mourou, qui juge que la duplicité est préférable à la confrontation frontale, est en marche. Le contrôle syndical doit se faire par étapes et, si possible, dans l’ombre.

Un fait à relever et qui n’a pas fait grand bruit participe à cette stratégie d’encerclement et d’étranglement de l’UGTT. Ce fait concerne la réapparition des «cellules professionnelles». Dans un communiqué publié il y a quelques jours et repris par le quotidien Le Temps, l’UGTT met en garde contre la mise en place de «cellules d’écoute», qui seraient une «nouvelle version des cellules professionnelles mises en place par Mohamed Sayah (NDLR : Le père des milices spéciales, du temps de Bourguiba) pour faire double emploi avec les syndicats et porter ainsi atteinte à la combativité et à l’autonomie de la centrale syndicale». Cette mise en garde fait suite à une circulaire du Chef du gouvernement, Hamadi Jebali, datant du 14 février dernier, préconisant «la mise en place de cellules d’écoute ayant pour mission l’examen des préoccupations professionnelles et des problèmes sociaux des salariés». Laquelle circulaire a été adressée aux ministres, secrétaires d’Etat et PDG des entreprises publiques. Hassine Abassi, secrétaire général de l’UGTT, menace donc de saisir les organisations internationales, si la circulaire en question n’est pas retirée, estimant que ces cellules d’écoute sont «une grave atteinte au droit syndical», propos toujours rapportés par Le Temps, car leur mission «telle que définie par la circulaire du chef du gouvernement est identique à celle des syndicats professionnels». Le même type de cellules, du temps de Bourguiba, servait à un contrôle des employés par le parti au pouvoir et à l’affaiblissement du travail syndical.

Enfin, la troisième méthode, cumulée aux deux précédentes, consiste en la création d’un syndicat capable de contrer l’UGTT en tant qu’interlocuteur avec les dirigeants d’entreprise et l’Etat (pour les institutions publiques). Le syndicat idéal et qui poserait le moins de problèmes à des islamistes au pouvoir est, logiquement, un syndicat composés de leurs sympathisants. Si officiellement les dirigeants d’Ennahdha montrent patte blanche et souhaitent se réconcilier avec l’Union, dans les coulisses, les islamistes pressent leurs sympathisants de quitter l’UGTT. La campagne de dénigrement ayant porté ses fruits auprès de ces mêmes sympathisants, les démissions sont nombreuses, dans les régions notamment. La stratégie n’est pas tant de répondre aux aspirations des travailleurs, mais de créer, après ces démissions de masse, un nouveau syndicat, selon plusieurs sources concordantes. Un nouveau syndicat à même d’affaiblir et de réduire ces mêmes revendications, les islamistes affichant clairement leur orientation économique libérale. Un syndicat également qui permettrait d’affaiblir la force de frappe de l’UGTT et d’être sous le contrôle du pouvoir en place.

«La démocratie n’est qu’un moyen pour combattre nos ennemis et arriver à nos fins, pour l’instauration d’un Etat islamique», avait avoué, à Business News, un militant de la jeunesse d’Ennahdha lors d’une conférence. Abdelfattah Mourou tiendra à peu près le même discours à Wajdi Ghenim, après sa campagne de séduction à l’égard des médias, révélant son double-discours. Aujourd’hui, le syndicalisme est dans la ligne de mire des islamistes pour qui, à la lumière de ces déclarations et de ces agissements, la fin justifie les moyens… tous les moyens.

Monia Ben Hamadi
03/03/2012 | 1
min
Suivez-nous