
La crise entre Paris et Alger pourrait aboutir à la remise en cause de l'accord qui régit l'immigration algérienne en France depuis 1968. Entre intérêts communs et restrictions, elle est le fruit de l'histoire tourmentée entre les deux pays.
Quelle est la place de l'immigration algérienne en France ?
Les Algériens occupent la tête des nationalités étrangères présentes en France. Selon le ministère français de l'Intérieur, on comptait 649.991 Algériens sur le territoire en 2024 (+ 0,5 % par rapport à 2023), représentant 16 % des étrangers. Un peu plus de 40 % ont un titre de séjour pour motif familial.
Les Algériens occupent la deuxième place des nationalités ayant obtenu le plus grand nombre de premiers titres de séjour (derrière le Maroc), représentant 9 % des primo-arrivants. Ainsi, 29.100 Algériens ont obtenu un titre de séjour pour la première fois en 2024, un chiffre toutefois en baisse de 9 % par rapport à 2023, selon la même source.
Ils sont également la première nationalité interpellée en France en situation irrégulière avec 33.754 (+6 % par rapport à 2023) interpellations.
Parmi les 2.999 éloignements de ressortissants algériens (+17 % par rapport à 2023), 72,9 % sont des retours forcés.
Comment s'est déroulée cette immigration ?
Les accords d'Évian de 1962, qui mettent fin à la guerre d'Algérie, vont maintenir la liberté de circulation et d'installation des Algériens, qui seront considérés comme des étrangers « différents des autres avec plus de droits », explique Emmanuel Blanchard, historien et sociologue.
Plusieurs raisons à cela : « ils ont été Français pendant près d'un siècle, les besoins dans l'industrie sont importants puisqu'on est au cœur des Trente Glorieuses mais surtout, les négociateurs français cherchaient à défendre les droits des Français en Algérie », explique l'auteur de « Histoire de l'immigration algérienne en France ».
« Les accords sont pensés dans une réciprocité qui espérait le maintien d'une forte communauté française en Algérie », rappelle M. Blanchard.
« L'émigration depuis l'Algérie indépendante sera alimentée par les difficultés économiques, l'autoritarisme politique et la décennie noire (guerre civile) », poursuit-il.
Que prévoit l'accord de 1968 et comment a-t-il évolué ?
L'accord de 1968 que le gouvernement menace de « dénoncer » écarte les Algériens du droit commun en matière d'immigration. Révisé à trois reprises (1985, 1994 et 2001), il facilite l'entrée des Algériens en leur délivrant des « certificats de résidence », mais il restreint aussi leurs droits par rapport à 1962.
À partir de 1968, des quotas de travailleurs admis sur le territoire français seront instaurés. En septembre 1973, le président Houari Boumédiène, qui invoque le racisme anti-algérien en France, prend l'initiative de suspendre l'émigration de travail.
L'année 1986 marque également un tournant en restreignant pour la première fois la circulation des Algériens en France : ces derniers doivent désormais obtenir un visa pour venir en France pendant un court séjour (moins de trois mois). L'Algérie répliquera en instaurant la même mesure envers les Français souhaitant entrer sur son territoire.
Aujourd'hui, en pleine crise entre Paris et Alger, le gouvernement français brandit la menace d'une restriction des visas de travail ou la fin des « visas diplomatiques ».
« L'État français a toujours voulu limiter les arrivées des Algériens, même à l'époque où ils étaient Français, mais il ne le pouvait pas vraiment car il fallait défendre la colonisation : si on (disait) que l'Algérie c'(était) la France, on ne (pouvait) pas dire que les Algériens ne (pouvaient) pas venir en France métropolitaine », souligne M. Blanchard.
Depuis 1962, « il y a une pensée très restrictive dans une grande partie de la droite et de l'extrême droite française, qui considère qu'une fois l'Algérie devenue indépendante, les Algériens n'ont plus rien à faire en France. Mais c'est oublier que même si cela s'est fait dans les violences de la colonisation, ces deux sociétés sont profondément intriquées », insiste l'historien.
© Agence France-Presse






