Par Marouen Achouri
Durant tout le week-end, un teasing digne de la mi-temps du Superbowl a fait frissonner le microcosme médiatico-politique tunisien. Quel serait l’enjeu et le résultat de la réunion des signataires de l’Accord de Carthage ? Sonnera-t-elle le glas du gouvernement Youssef Chahed ? Et puis tout le monde y est allé de son pronostic plus ou moins farfelu allant d’une intronisation surprise de Wided Bouchamaoui à une prise de pouvoir par Lotfi Brahem, le ténébreux ministre de l’Intérieur.
C’était parier sur un sens de la responsabilité et sur une certaine créativité dont nos dirigeants sont malheureusement dépourvus. Au final, ceux qui restent des signataires de l’Accord de Carthage ont convenu, lors de cette réunion, de créer une commission qui va « déterminer les priorités de la période à venir ». Avouez que c’est quand même cocasse comme intitulé. On se réunit parce qu’on est en crise, parce que tous les indicateurs sont au rouge, parce que l’on est tous insatisfaits du rendement gouvernemental et qu’il faut absolument faire quelque chose, et puis on convient de constituer une commission pour vérifier qu’on est en crise, que tous les indicateurs sont au rouge et qu’il faut faire quelque chose !
En fait, la vérité est ailleurs sur la planète politique. Il faut que Youssef Chahed et son gouvernement partent. Mais sur quelle base ? Celle du simple bilan ne tiendrait pas la route car on a eu le « bonheur » en Tunisie de voir pire. Autre chose, Youssef Chahed, parachuté chef du gouvernement en vertu de l’Accord de Carthage, n’a pas eu le loisir de choisir librement son équipe, et il n’a eu ce choix à aucun moment d’ailleurs, inutile de rappeler l’épisode Hatem Ferjani qui montre à lui seul que Chahed n’est pas souverain dans ses choix. Par conséquent, on ne peut pas imposer une équipe au chef du gouvernement et ensuite lui reprocher son inefficacité. Attention, il ne s’agit pas ici d’un scrupule d’ordre moral, mais la formule a déjà été utilisée et éprouvée avec Habib Essid. Déjà, à l’époque, la pilule avait eu du mal à passer et il a fallu recourir à l’ARP pour faire virer ce fonctionnaire têtu.
La seule solution viable pour virer Youssef Chahed sans trop de dégâts est celle des urnes. Il ne faut surtout pas oublier que le jeune chef du gouvernement tient sa légitimité de celle du président de la République, qui reste le chef du pacte de Carthage, d’où, d’ailleurs, le petit rappel du président lors de son discours d’ouverture. Donc, la seule légitimité supérieure, en théorie, à celle du président de la République est celle donnée par le peuple à travers des élections. Et miracle du calendrier, on aura des élections dans deux mois ! N’est-ce pas magnifique ?
Donc, Youssef Chahed ne pourra pas être viré avant les élections municipales de mai, au grand dam des Go Jo. Une fois les résultats des élections connus, et quels qu’ils soient d’ailleurs, on dira que le peuple s’est exprimé librement et que la composition de l’exécutif doit être revue en fonction du souhait exprimé par le peuple tunisien…la blague !
Maintenant, l’enjeu est de gagner du temps jusqu’en mai. Et quel meilleur moyen pour cela que de créer une commission ! Une technique qui a fait ses preuves à plusieurs stations de l’Histoire du pays. Même si la commission en question est théoriquement obligée de rendre sa copie dans les deux semaines à venir, il est fort à parier que les tractations et les négociations qui suivront cette étape prendront un certain temps et on sera déjà aux élections.
L’éviction en douceur de Youssef Chahed aura plusieurs bienfaits. Le premier est que le président ne perdra pas la face par rapport à la mise à la porte de son poulain. Les Go Jo on s’en fout, mais faut pas toucher au reste de bajboujiens et de bajboujiennes. Le deuxième est que Youssef Chahed ne pourra pas se présenter en 2019 en ayant des responsabilités dans l’exécutif. Il ne pourra pas mettre la veste du « sortant » avant d’entrer en lice aux élections. Le troisième, et certainement pas le dernier des avantages, est celui d’introniser un gouvernement prétendument neutre, docile et obéissant, avec tous les bienfaits qui peuvent en découler. Elle est pas belle la vie ?
Evidemment, il y aura toujours des empêcheurs de tourner en rond qui s’inquiéteront de l’instabilité politique du pays, des effets néfastes de tout cela sur la crédibilité de la Tunisie à l’étranger, sur le train des réformes, sur la situation économique, la confiance des investisseurs etc. Mais on trouvera vite la parade pour leur faire fermer le clapet. Ça ira de BCE nous a « sauvés » en 2014 du péril islamo-marzoukien à « de toutes façons vous n’avez jamais participé à rien et vous êtes irresponsables ». Rien de très innovant donc, en attendant la sauce qui nous sera servie en 2019…
Commentaires (6)
CommenterJe dis mieux...
Démarche classique
Voilà pourquoi Bouchamaoui à démissionné.
Réagissez chers compatriotes à cette haute trahison. Vite.
Et Ghanouchi est concerné et peut-être bien Larayadh.
Mais tout à été préconisé dans la plus parfaite discrétion, dépassant les plans mafieux classiques.