Et si Khemaïes Chammari avait été président de l'IVD ?
Par Marouen Achouri
Il serait tout simplement ridicule d’être opposé à une forme, quelle qu’elle soit, de justice transitionnelle en Tunisie. Les blessures du passé, à défaut de disparaitre, doivent être soignées par un processus honnête basé sur le rétablissement des vérités et le dédommagement, au moins moral, des victimes de l’ancien régime.
C’est dans cet esprit qu’avait émergé l’idée d’une instance qui s’attellerait à cette tâche difficile, compliquée mais ô combien essentielle dans tout processus transitoire. Cette instance aurait permis de casser la division entre « suppôts de l’ancien régime » et « révolutionnaires ». Elle aurait permis de panser cette blessure entre bourguibistes et youssefistes, entre destouriens et gauchistes et islamistes. Elle aurait surtout permis d’aider, par des enquêtes objectives, à aider à l’écriture de l’Histoire moderne de la Tunisie. In fine, cette instance aurait permis de préparer le terrain à un nouveau départ pour tout un peuple qui serait réconcilié avec son Histoire. C’est pour toutes ces raisons que nous avions tous applaudi (ou presque) le fait qu’une telle instance existe.
Malheureusement, il s’est avéré utopique de penser qu’une telle instance ne serait pas l’enjeu de batailles politiques intenses. La première de ces batailles, et probablement la plus déterminante, a été celle de la présidence de ladite instance. Il y avait deux prétendants, l’un soutenu par les progressistes et l’autre par les islamistes, Khemaïes Chammari et Sihem Ben Sedrine. Profitant de leur majorité à l’assemblée et de l’éparpillement criminel des progressistes, les islamistes ont réussi à offrir la présidence de l’Instance vérité et dignité à Sihem Ben Sedrine.
C’est alors que l’ensemble des médias sérieux et des observateurs avérés de la scène politique tunisienne ont tiré le signal d’alarme. Tous nourrissaient des inquiétudes sincères quant à l’influence qu’exercerait un tel personnage sur le bon déroulement de la justice transitionnelle. La moindre des précautions eut été de ne pas placer à la tête d’une telle instance une personne pétrie de vindicte et de haine. C’est loin d’être une simple impression puisque les témoignages se suivent et se ressemblent, allant de ses anciens compagnons de lutte jusqu’à ses employés de la radio Kalima, sans parler de ses déclarations publiques sur des conteneurs remplis de fausses barbes qui auraient servi à discréditer les islamistes. Donc, elle était loin d’être la personne idoine pour une telle responsabilité.
C’est là que Khemaïes Chammari aurait été un bien meilleur choix indépendamment de toute influence politicienne. Il s’agit d’un militant sincère qui s’est lui-même débarrassé des fantômes du passé et qui est réconcilié avec lui-même. Il s’agit d’un militant qui possède la grandeur nécessaire pour aller au-delà de sa petite personne et de ses petits intérêts. Il s’agit surtout de quelqu’un qui ne cherche pas, à travers cette instance, à voir du pays et à s’assurer un avenir.
Cette nuance est restée indéchiffrable pour les soutiens et les fans de Sihem Ben Sedrine. Ils ont interprété toutes ces critiques comme les premières tentatives d’entrave du processus de la justice transitionnelle. Eux qui mettent en garde contre la personnification, ne se rendent pas compte que c’est Sihem Ben Sedrine qui l’a instaurée quand elle refuse de se remettre en question et quand elle met toutes les critiques dans le même sac pour les déverser sur le processus. Critiquer Sihem Ben Sedrine revient à occulter les vérités, quand on dit qu’elle n’est pas apte à présider une telle instance c’est qu’on a peur de voir ses méfaits exposés.
Quatre ans plus tard, la situation est telle qu’on l’avait craint. Le processus de la justice transitionnelle est trébuchant, la présidente de l’IVD ignore superbement toute forme d’autorité, y compris judiciaire, et a commis d’autres méfaits qu’il serait inutile d’exposer. La question que l’on peut aujourd’hui se poser est la suivante : Et si Khemaïes Chammari avait été président de l’IVD ? La justice transitionnelle serait-elle dans cet état ? Aurait-il fait virer au moins trois membres de l’instance ? Aurait-il adopté cette attitude de défiance et d’arrogance ?
Nous ne le saurons probablement jamais. Ce qui est sûr par contre, c’est que l’IVD aurait pu être une formidable occasion pour rassembler le peuple tunisien autour de cette volonté de savoir, de comprendre, et de passer à autre chose. Une opportunité pour nous réconcilier avec notre passé, au lieu de cela on se fâche avec notre présent.