Cet immobilisme qui nous tuera !
Par marouen Achouri
Quitte à casser cet élan d’optimisme surfait que l’on essaye d’imposer aux Tunisiens, il faut se le dire, la situation actuelle de la Tunisie est inquiétante. Tout système démocratique est basé sur trois pouvoirs qui sont censés s’équilibrer : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Un examen de ces trois pouvoirs aujourd’hui montre l’étendue du chantier. On savait qu’il y aurait beaucoup de travail et que ce serait difficile, ce qu’on ne savait pas c’est qu’on ne donnerait même pas un coup de pelle !
A tout seigneur, tout honneur, commençons par le pouvoir exécutif. Un pouvoir que l’on a choisi bicéphale avec les conséquences qu’on connait. Actuellement, le sort du gouvernement sera décidé au palais de Carthage sans même qu’il ne puisse défendre son point de vue. En excellent tacticien qu’il est, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, joue sa partie pour neutraliser tout le monde et considère le gouvernement comme une monnaie d’échange dans ses négociations. Etant affaibli par le président et son fameux accord de Carthage, ne bénéficiant d’aucun réel soutien politique au niveau des partis, battu en brèche par les organisations nationales telles que l’UGTT et l’Utica, le gouvernement reste suspendu. Malgré des gesticulations du type « conférence nationale sur les réformes majeures », on sait tous que la marge de manœuvre du gouvernement est étroite pour ne pas dire inexistante devant le flou qui entoure son avenir proche. Par conséquent, le pouvoir exécutif est paralysé entre un gouvernement à l’avenir incertain et une présidence sans envergure et sans grandes prérogatives. Dans ces conditions, ce ne sera certainement pas cette doublette qui va apporter des changements profonds au pays, parce qu’ils n’en ont tout simplement pas les moyens.
Pour le pouvoir législatif, il suffit de voir la situation de l’ARP. Il y aurait de quoi écrire des pages et des pages sur le laxisme et l’inefficacité de l’Assemblée mais deux faits suffisent à l’illustrer. Le premier est le fait que l’on soit aujourd’hui encore sans code des collectivités locales à 11 jours de l’échéance électorale. Après avoir parcouru les plateaux médiatiques pour vanter les mérites de la démocratie locale, nos élus sont incapables de se mettre au travail pour voter ce texte si important. Le rapport élaboré par l’association Al Bawsala concernant le vote du code des collectivités locales est tout simplement affligeant pour l’ARP et pour l’ensemble des élus. Le nombre d’heures de retard sur les séances plénières, le nombre d’articles rejetés pour absence de quorum…c’est une honte !
Le deuxième fait est le douloureux rappel des débats entre élus à l’occasion du vote sur l’IVD ou lors des questions au gouvernement. C’est pour dire que même si on peut excuser leur inefficacité dans le travail, on pourrait au moins se consoler avec le niveau des débats et l’exemplarité des élus, mais il n’en est rien. Entre propos orduriers, cris et basses accusations, entre l’absence physique des élus et la totale ignorance des dossiers, ce ne sera certainement pas la forme qui sauvera les meubles. Donc, hormis certains élus consciencieux, l’ARP n’est et ne sera pas un vecteur de progrès pour la Tunisie.
Si l’on devait choisir un domaine où l’urgence des réformes est la plus cruciale et dont l’impact rejaillit réellement sur tout le pays, ce serait la justice. Le pouvoir judiciaire en Tunisie souffre d’un nombre incalculable de problèmes qui vont du matériel au philosophique. On avait placé beaucoup d’espoirs dans le conseil supérieur de la magistrature, né dans la douleur. Pourtant, tous ces espoirs ont été déçus car le CSM n’a jamais pu exercer pleinement ses prérogatives puisqu’il s’est trouvé empêtré dans des problèmes parallèles sur le quorum à adopter ou sur le local qui lui serait attribué sans parler de son budget. Ce blocage du CSM a un impact direct sur un autre rouage essentiel du bon fonctionnement de la justice : la cour constitutionnelle. En effet, le CSM doit nommer quatre des membres de cette institution qui n’a toujours pas vu le jour. Sans cour constitutionnelle, il sera très difficile d’assurer la conformité des lois existantes ou futures avec l’esprit de la constitution, ce qui approfondira l’idée selon laquelle la constitution n’est qu’un joli texte, rien de plus.
Devant cette paralysie manifeste des trois pouvoirs en Tunisie, il est difficile d’être optimiste. C’est pour cela que les plus radicaux appellent, de moins en moins discrètement, à un renversement du pouvoir par l’Armée. Pas mieux en face, où aucune réelle solution n’est proposée à part la critique et les revendications. Dans tout cela, le peuple tunisien vaque de plus en plus difficilement à ses occupations à cause de la cherté de la vie, l’inflation galopante et le flou qui enveloppe son avenir. « Où va-t-on comme ça ? » est devenue une question insistante que tout le monde se pose. Personne n’a de réponse à cette interrogation mais ce qui est sûr c’est que si l’on ne fait rien, si l’on cède à l’immobilisme, on n’en saura plus rien.