Allons quand même voter…
Par Marouen Achouri
On ne nous aura quand même rien épargné. Notre classe politique ne nous aura pas ménagés en faisant preuve d’amateurisme, d’incompétence voire même d’impolitesse à certaines occasions. De quoi dégouter l’opinion publique de la politique, et il est vrai qu’ils y sont arrivés dans une large proportion. Aujourd’hui, le Tunisien est tellement empêtré dans ses soucis quotidiens et tellement déçu par la ribambelle de menteurs qu’il a vu passer qu’il ne croit plus à ce système. Contrairement à ce que disent ces mêmes politiciens, le Tunisien ne s’est pas subitement, sans raison visible, désintéressé de la chose publique, non. Le Tunisien refuse tout ce système pourri et inefficace fait de petits arrangements ponctuels et qui n’en a que faire de l’intérêt du pays.
En 2014, nous sommes allés voter aux législatives et à la présidentielle pensant entrer dans une nouvelle phase de construction du pays. Nous nous disions que le provisoire a assez duré et qu’on passerait aux réformes, à la vraie construction d’une démocratie, que tout irait mieux, en somme. Ces espoirs ont été rapidement déçus puisque notre classe politique a rapidement cédé aux jeux de pouvoir, aux petits arrangements et aux micmacs de bas étage. Pire encore, le chômage reste aussi élevé, les prix augmentent, le dinar dévisse et l’inflation monte !
Une autre échéance se présente à nous le 6 mai 2018. Les élections municipales arrivent ce dimanche et il n’est pas facile de trouver des raisons d’y prendre part. Comme disent les abstentionnistes, voter ne changera rien. Ça peut être vrai, mais ne pas voter ne changera rien du tout non plus.
Ne croyez pas les politiciens qui évoquent le septième chapitre de la constitution, les discours grandiloquents sur la démocratie locale, la décision populaire et l’extraordinaire avancée de la démocratie tunisienne. Pour les conseils municipaux qui seront élus dans ces élections, le vrai travail commencera au mieux en 2020 puisque d’ici-là les budgets sont déjà bouclés et que la marge de manœuvre sera réduite. Donc, les mieux intentionnés de tous ces candidats ne pourront pas faire grand-chose, du moins dans un premier temps.
Mais on sait tous comment ça se passe chez nous et ce que font les responsables municipaux, ou du moins une partie d’entre eux, pour ne pas généraliser. Délivrer des permis de construire, les permis pour des kiosques à journaux ou autres, les ajouts d’étages, les routes à refaire ou pas, les services municipaux… tout ça a un prix. Les localités sont l’un des principaux fiefs de la corruption en Tunisie et nous le savons tous. S’il fallait qu’il y ait une seule raison pour aller voter en ce 6 mai, ce serait tenter, par ses propres moyens, de lutter un tant soit peu contre cette corruption banale, normale et néanmoins destructrice. S’il fallait envisager un seul avantage à ces élections, ce serait celui des assemblées entre instances municipales et citoyens où chacun pourra soulever les points qu’il souhaite et surtout, dire publiquement aux dirigeants que telle construction est illégale ou que tel décisionnaire a pris un pot-de-vin pour ne pas sanctionner l’ajout illégal d’un étage. Débarrassons-nous de toute cette littérature politicienne autour de la gouvernance locale et autres balivernes de ce genre. Les élections municipales offrent une occasion pour essayer, chacun à son niveau, de combattre la corruption, la médiocrité et la bassesse. C’est là tout notre problème en Tunisie et on ne manque pas de s’en plaindre tous les jours. Qui ne s’est jamais plaint des responsables de telle ou telle municipalité qui ferme les yeux sur les constructions illégales et qui s’en met plein les fouilles ? Qui ne s’est pas plaint de la manière avec laquelle les routes sont refaites, généralement à travers une jolie petite commission versée par le promoteur au responsable qui trafiquera les résultats pour lui attribuer le chantier ? Qui ne se souvient pas du fait que Imed Trabelsi avait voulu et obtenu d’être responsable de la municipalité de La Goulette ? Etait-ce pour servir la population ?
On sait tous comment ça se passe, on sait tous où résident la corruption et la saleté et nous avons été incapables, en tant que collectivité, qu’Etat, que justice, à combattre la corruption et à la battre en brèche. Aujourd’hui, nous avons l’occasion de nous saisir d’un outil extraordinaire de choix, de contrôle et d’action contre le fléau dont on souffre le plus, la corruption. Alors ne serait-ce que pour cela, allons voter.