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Chroniques
Le courroux présidentiel peut être terrible
Par Ikhlas Latif
05/05/2023 | 16:59
4 min
Le courroux présidentiel peut être terrible

 

Les fusibles sautent à intervalles réguliers en Tunisie. Le président se fâche, il vire les hauts responsables via de brefs communiqués sur les réseaux sociaux. Il humilie ses subordonnés les uns après les autres sans ménagement aucun. Ils sont jetés en pâture aux masses zakafounisées, qui les taillent allégrement en pièces, donnant libre cours aux plus viles frustrations les animant. Ils ont choisi de participer à la mésaventure, qu’ils assument donc, c’est bien mérité.  

La ministre de l’Industrie est la dernière de la longue liste des responsables qui ont été éjectés sans ménagement. L’après-midi, elle révélait que le programme de réformes (celui proposé au FMI) était presque fin prêt, que la levée des compensations était actée et qu’on saura bientôt la date de l’augmentation des prix des carburants. Le soir même, bim !, le président la limogeait.

 

Pas content le président. Il l’a dit depuis un moment : non au FMI, on doit compter sur nos propres moyens. Alors comment expliquer que ce même gouvernement qu’il a nommé en personne ne suive pas ses directives ? Comment justifier que des ministres se soient rendus à Washington pour participer aux réunions du printemps ? Et comment se fait-il que le gouvernement n’ait pas eu le réflexe de demander l’annulation des négociations avec le FMI ? Et comment analyser le fait que le responsable de l’institution en région Mena ait affirmé que le dossier de la Tunisie est dans sa phase finale ?

L’exécutif tunisien continue d’envoyer des signaux contradictoires qui seraient compréhensibles si nous étions dans une situation de cohabitation. Mais, il n’en est rien et on dira même que nous sommes bien loin du fonctionnement habituel d’un gouvernement.

 

Faut-il le rappeler, l’équipe de Najla Bouden a été installée dans le cadre du décret 117 qui organise les mesures exceptionnelles. Les ministres n’ont pas de véritable pouvoir, ils ne font pas de politique, ils ne prennent pas de décisions… Ils sont tenus d’exécuter des ordres et de se taire. Ils sont sous tutelle présidentielle et lui sont redevables. Aucun écart n’est toléré. La nouvelle constitution n’a pas dérogé à cette ligne. C’est donc au président d’exercer la fonction exécutive, de fixer la politique générale de l’État et de définir ses choix fondamentaux. Et c’est au gouvernement d’assurer la mise en œuvre de la politique générale de l’État « dans le respect des orientations et des choix fixés par le président de la République ». Le gouvernement est responsable de ses actes devant le président et le chef du gouvernement n’a d’autre rôle que de coordonner le travail de son équipe en disposant des rouages de l’administration.

Kaïs Saïed a été on ne peut plus clair en rédigeant sa constitution : le pouvoir, le vrai, est entre les mains du président et personne n’a le droit d’outrepasser ses prérogatives. Gare à ceux qui agissent contrairement à ses politiques, gare à quiconque pense encore agir sous l’ancienne constitution, gare à ceux qui veulent siéger sur deux sièges. Le courroux présidentiel peut être terrible pour ses subalternes, mais aussi pour le pays.

 

Comment donc analyser cette divergence entre le président et ses subordonnés. Les analystes s’en arrachent les cheveux. Les férus de complotismes primaires s’en délectent, eux. Le flou règne tellement que plusieurs théories sont échafaudées pour expliquer le quiproquo autour de la question FMI : Le président est en train de manœuvrer pour mieux négocier avec le FMI à ses conditions en jouant la pression et sur l’aspect géopolitique, et la ministre est venue lui couper l’herbe sous les pieds… Le président n’a pas intérêt à revenir sur ses discours souverainistes qui lui valent le soutien du peuple, il laisse faire en douce jouant sur deux registres, et la ministre est venue dévoiler le plan… Au sein même du gouvernement, il y a des sous-marins qui manœuvrent contre la volonté présidentielle et font ami-ami avec les parties étrangères, le président s’en est rendu compte et il a sévi… Le président ne veut pas des diktats du FMI et pense pouvoir débloquer la situation financière à l’aide de la conciliation pénale, des entreprises communautaires, de l’argent spolié, des richesses retrouvées etc. et il atermoie en attendant que ça se réalise…

On pourrait continuer à noircir des pages avec les différentes supputations, le fait est que les contradictions entre la tête de l’exécutif et son outil d’exécution se poursuivent depuis des mois. En cela, on a dépassé les sommets de l’absurde et de l’ubuesque pour atteindre le tragique, parce qu’il est ici question du devenir d’un pays.

Par Ikhlas Latif
05/05/2023 | 16:59
4 min
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Commentaires
Gg
Ils sont bien courageux, vos ministres.
a posté le 07-05-2023 à 12:06
Mme Bouden en en tête, ils travaillent, ils essaient d'avancer en dépit d'un président qui n'a de cesse de leur couper l'herbe sous les pieds, et leur ôte tout crédit.
Belle abnégation!
GZ
Ce ne serait qu'un "courroux"...
a posté le 07-05-2023 à 10:59
Oublions les régimes autocratiques.
Dans les démocraties libérales à gouvernement issu de l'expression d'un suffrage universel, scrutin honnête et transparent, le gouvernement gouverne. L'opposition s'oppose par tous les moyens légaux à sa disposition, amendements, voire obstruction parlementaire, propositions de loi alternatives, motion de censure, saisine de la Cour Constitutionnelle, manifestations, " casserolades", grèves, critiques par les médias etc...
Sa légitimité électorale, n'empêche pas le gouvernement de discuter avec l'opposition pour trouver une porte de sortie de crise en cas de blocage.
Observons ce qui se passe en France, même s'il y a beaucoup à dire, autour de la loi sur l'âge légal de départ à la retraite.
C'est le jeu des régimes démocratiques à institutions solidement ancrées sans que personne ne songe à crier au "complot contre la sûreté de l'Etat".
La dernière sortie de K.S. n'est autre qu'un avertissement contre quiconque tenté par quelque velléité de proposition alternative à ses choix.
Nous voilà fixés.
Ce ne serait qu'exaspération ou "courroux"...
GZ
@Nostalgique du III ème Reich
a posté le 07-05-2023 à 10:18
Vieux démons.
"Un seul pays, un seul président, un seul peuple, une seule voix."
C'est à peu de choses près, mutatis mutandis, la version locale de la devise du III ème Reich, "Eien volk,
Eien Reich, Ein Führer" qu'on tendait à faire accroire au peuple allemand. Marcher au pas, le petit doigt sur la couture du pantalon.
On sait comment pour l'Allemagne s'acheva la chanson.
"L'expérience est une lanterne qui n'éclaire que le passé".
Patriote
Et alors!
a posté le 06-05-2023 à 16:04
Comme simple citoyen et non un grand journaliste je sais pertinemment qu'un un regime présidentiel donne tous les pouvoirs entre les mains du président qui décide de la politique à entreprendre et ses subordonnés doivent implicitement etre sur la même ligne comme ce qui se passe exactement en France avec Macron et son gouvernement
Qur des mendonges et toujours le même chewingum de nous répéter la dictature le manque de liberté d'expression
la constitution faite par KS lui même
La démocratie on l'a vu aujourdui en Angleterre où les opposants au régime monarchie ont été arrêtés et mis gn prison
Alors arrêtez de nous prendre pour des idiots pour croire vos magouilles
The Mirror
Un seul pays, un seul président, un seul peuple, une seule voix
a posté le 06-05-2023 à 11:56
- Ennahdha qui gouvernait et qui, en même temps descendait dans la rue pour soutenir les manifestants qui refusent Ennahdha, cela, c'est FINI,
- les ministres des gouvernements formés par Ennahdha qui ne sont là que pour pomper dans les caisses de l'Etat et exécuter les caprices de Ghannouchi, ceux-là ont échappé à l'attention de l'auteur de cet article,
- la Tunisie était ingouvernable durant la décennie noire, on râlait pour cela, car il n'y avait pas de pilote dans l'avion disait-on. Maintenant qu'il y a un pilote dans l'avion, on continue de râler quand même, au moindre geste et au moindre mot du Président.

Côté remaniement ministériel, on est quand même passé de un gouvernement tous les trois mois sous la gouvernance Ghannouchi, à un gouvernement pratiquement inchangé depuis environ trois ans. Il ne faut pas être un génie pour constater ces faits réels.

Bon week-end
Fares
Bad cop, good cop
a posté le 05-05-2023 à 22:19
Ou bad president, good government. L'histoire retiendra que ce gouvernement a essayé de faire de son mieux pour sauver ce pays et qu'un président capricieux et inconscient l'a fait couler.
Zarzoumia
Consternant
a posté le 05-05-2023 à 21:20
Il ne veut pas assumer. Il veut maîtriser la communication autour de ces sujets. Pourtant, il y a quelques jours le ministre des affaires sociales a clairement indiqué que les négociations avec le FMI se poursuivaient et que les plus démunis ne seront pas impactés. Tous les ministres ne sont pas logés à la même enseigne.
On a l'habitude de dire qu'un ministre soit il se tait soit il démissionne avec KS soit il se tait soit il se fait virer. Cela explique l'immobilisme de ce pouvoir.
KS se joue de l'avenir du pays sans le moindre scrupule et dans l'opacité totale.
HEDI
Et où est la solidarité entre Ministres ?
a posté le 05-05-2023 à 21:04
Et qu'en est-il si d'autres ministres démissionnent également par solidarité avec la ministre démissionnaire ?