Apparemment, nos dirigeants qui viennent d’annuler les Journées cinématographiques de Carthage (JCC) en signe, disent-ils, de solidarité avec les Palestiniens, n’avaient jamais, au grand jamais, assisté à une seule séance ou un seul atelier de ce haut rendez-vous culturel.

En Tunisie, nous sommes pratiquement tous affectés par ce qui se passe en Palestine. Les images qui nous parviennent sont horribles et la propagande occidentale qui minimise cette horreur en faisant passer l’oppresseur pour la victime, nous horripile. Nous sommes pratiquement tous sous le choc, chacun partant de ses différentes convictions. Nous ressentons pratiquement tous de l’indignation face à l’injustice que subissent les Palestiniens depuis des années. Nous enrageons parce que nous nous sentons impuissants face à la puissance de la machine soutenant Israël. Inaudibles nous étions, inaudibles nous sommes et inaudibles nous le resterions si, en plus, nous restreignions les rares espaces d’expression et de débats internationaux libres et engagés.

La culture est aussi résistance. Elle est aussi expression d’engagement. La culture est l’un des nerfs de la guerre. Les occidentaux l’ont compris depuis des années et ont su implanter leurs points de vue et leur façon de voir le monde ou une cause à travers les supports culturels. Qui ne connaît pas les films Western où l’on nous présentait les colons blancs comme les pauvres victimes de sauvages amérindiens ? Qui n’a pas versé sa larme devant un film nous contant l’histoire de soldats français ou américains se faisant tuer par les méchants vietnamiens ? Bref. On pourrait citer une longue liste d’exemples tant que cet article serait interminable.

Ainsi, nos intelligents dirigeants ont décidé de supprimer les JCC et ont fait taire les centaines de voix qui auraient pu s’exprimer et débattre, et ont fait censurer des œuvres qui auraient pu porter un message et le faire parvenir. Du plus loin que je me souvienne, ce festival avait toujours été l’occasion de s’ouvrir sur des productions engagées. Le cinéma africain, arabe, le cinéma du monde, alternatif… Que de films et de documentaires palestiniens, iraniens, chiliens, argentins, rwandais et j’en passe, n’avaient-on découverts et fait naître une conscience sociale et politique. Que de cercles de réflexion et de débats avec des personnes du monde entier notamment occidental.

Apparemment, n’y connaissant rien à l’esprit des JCC, nos dirigeants, affligés par la situation en Palestine ont perdu la boussole et sont tombés bêtement dans la surenchère. En Europe et ailleurs dans le monde dit libre, un vent de folie s’est emparé de la classe politique et des médias. L’Institut du monde arabe se met à suspendre jusqu’à nouvel ordre un événement consacré à la Palestine prévu depuis longtemps. Une foire allemande a déprogrammé la remise d’un prix littéraire à une autrice palestinienne. Dans une bourgade en France, la police est intervenue parce qu’une enseigne lumineuse défectueuse d’un restaurant affichait « Hamas ». Sur les plateaux télévisés, on s’attaque avec véhémence à ceux qui osent s’apitoyer sur le sort des Palestiniens, même timidement. On accuse les gens d’antisémitisme à tout bout de champ. Les amalgames simplistes sont fièrement revendiqués. Les raccourcis et les attaques contre arabes et musulmans sont décomplexés. On interdit les manifestations et on applique de lourdes amendes à quiconque brandirait un drapeau palestinien. Le patron de LFI, Jean-Luc Mélenchon et ses députés sont menacés de mort en direct : « Il faut les dégommer physiquement », disait un invité de CNews sans qu’il ne soit inquiété. On arrête les gens qui condamnent le meurtre d’enfants palestiniens pour apologie du terrorisme… Bref.

En Tunisie, il semble aussi qu’un vent de folie s’installe, mais celui-ci n’est pas calculé. Cela relève de la sottise. Les amalgames bêtes et méchants entre sionistes et juifs sont de sortie. Certains compatriotes de confession juive s’inquiètent. De stupides hurluberlus à Gabès ont saccagé des marbres à la mémoire de Rebbi Yossef El Maarabi. En le faisant, ils ont détruit le patrimoine de leur pays, une partie de son Histoire. Les amalgames sont à la mode en ce moment dans la rive nord de la Méditerranée comme dans la rive sud.

Et quand on a le moyen à travers un festival reconnu internationalement de soutenir une cause, de la promouvoir, d’éveiller les consciences et de contrer les amalgames, que fait-on ? On torpille cette occasion. Une des membres du comité d’organisation a commenté l’annulation en ces termes : « Nous avons décidé la suppression des festivités, prévu un film palestinien exceptionnel de Mohamed Bakri en ouverture des JCC, un hommage au réalisateur palestinien Hany Abu Assaad… Des rencontres et des films qui auraient pu créer des occasions uniques d'expression de la solidarité envers le peuple palestinien. Mais tout ça est tombé à l'eau… Combien d'images, d'émotions, d'histoires et de transmissions perdues, c'est dommage… ». Édifiant.

Quel message notre régime voulait-il faire parvenir en annulant les JCC ? En tout état de cause, ce message est en plus d’être incompréhensible, démontre la confusion et l’amateurisme ambiant.

La Palestine aurait pu être au cœur de cette manifestation en faisant parvenir la voix de ses artistes, en donnant la parole aux gens pour réfléchir et débattre, pour célébrer cette culture si riche et foncièrement engagée. Mais, non. Nos gouvernants en ont décidé autrement.