Où placer le curseur du respect des principes ? On parle de principes de justice et d’équité, de droit et de libertés qui devraient animer les citoyens dans le meilleur des cas, ou du moins une certaine élite censée tirer son pays vers le haut.

En Tunisie, c’est la confusion à tous les niveaux. On n’évoquera pas la masse mue par une soif de vengeance et portée par une hystérie collective, encouragée en cela par un pouvoir dégoulinant de démagogie populiste. On traverse une époque de crise, de perte des repères. Ainsi, quelqu’un qui se dit anti-islamiste et anti-processus du 25-Juillet se trouvera lapidé des deux bords. Quelqu’un qui a pour seul repère et grille de lecture des principes immuables quel que soit le camp, se verra forcément ostracisé. On est en plein dans le « où vous êtes avec nous, où vous êtes contre nous ». Pas moyen de choisir une troisième ou quatrième voie, ou de ne pas choisir du tout.  

C’est dire qu’actuellement, vous serez traité de traitre pro-islamiste, s’il vous vient de dénoncer les injustices et l’irrespect des procédures et la montée en puissance d’une néo dictature et le piétinement des libertés… Vous serez traité de traitre exclusionniste pro-autoritarisme, s’il vous vient de rappeler les méfaits d’un Ghannouchi and Co qui ont, durant plus de dix ans, détruit la démocratie embryonnaire et contribué à l’avènement de ce régime.

Le courage et le bon sens, en ce moment charnière de notre histoire, est de se positionner pour défendre des principes et non des personnes. La ligne de ce postulat est incompréhensible chez certains.

Un pseudo chroniqueur fortement zakafounien (pour ceux qui ne suivent pas l’actu tunisienne, c’est un terme qui qualifie les sympathisants extrémistes du processus présientiel) a clamé que les principes, le respect des procédures et les droits de l’Homme s’annulent avec les islamistes. Soit, disons que ces gens sont porteurs d’une idéologie néfaste, que s’ils seraient encore au pouvoir ils emploieraient les mêmes mécanismes contres leurs ennemis. Mais le danger d’une telle pensée, fascisante en passant, c’est de déconstruire, affaiblir ou anéantir le principe même de justice et le poids des procédures. Cela viendrait à dire, que demain personne ne serait épargné ou protégé. Demain, ce même zakafounien pourrait être la victime de cette direction qu’il a défendue sans penser aux conséquences. Un édifice qui tombe c’est pour tout le monde sans exception et pas seulement une frange de la population.

La gauche, ennemie séculaire des islamistes, est aussi en pleine confusion. Pourtant, cette gauche tunisienne a toujours porté les valeurs et les principes censés indivisibles. L’exemple le plus concret est Al Watad qui s’entredéchire et qui organise deux congrès parallèles. Une frange a enterré ses principes et s’est jetée allégrement dans les bras de ce régime peu importe ses travers, du moment qu’il vienne à bout de ses ennemis idéologiques. Une autre frange dit timidement qu’elle restera fidèle à ses principes et ne défendra jamais les dérives du pouvoir.  

Les deux poids, deux mesures sont pourtant la norme en ces temps de perte de repères. Partialité et sens de la justice à géométrie variable prévalent. Les gens sont frappés d’une inquiétante cécité. C’est dans un cercle vicieux qu’on nous entraine, dans un cycle de haine et de « chmeta » qui ne prendra jamais fin avec pour aboutissement de l’injustice pour tous.

La centrale syndicale UGTT, qui a été historiquement de tous les combats en Tunisie, se tait. Calculs politiques, recul stratégique, appréhension après la série d’arrestations visant les syndicalistes ? L’UGTT taiseuse face aux multiples dérives, c’est tout de même honteux. On peut se positionner politiquement ou idéologiquement d’un camp ou d’un autre sans pour autant perdre de vue ses valeurs. Et ça s’attend à ce que l’initiative de dialogue soit accueillie à bras ouverts par le pouvoir. Mais le bonhomme a clairement dit que de dialogue, il n’y en aura pas !

Votre tour arrivera, comme celui des autres qui cautionnent ouvertement les injustices. Faire l’autruche, parce que ce sont aujourd’hui les ennemis qui sont visés ne vous prémunira pas à l’avenir.

Le ministre des Affaires étrangères Antonio Tajani a dit que la Tunisie ne sera pas le Danemark de sitôt. Indépendamment de l’ingérence répétée des Italiens dans les affaires tunisiennes, étrangement tues par les chantres de la souveraineté, il n’a pas tort. Lui, il parle de l’aspect économique, mais si on continue sur cette lancée on ne sera plus rien.

Sur cette « douce mélodie » de Metallica, je vous souhaite un bon week-end…