Officiellement, hier dimanche 17 décembre était la Fête de la révolution. Qui de vous a vu une fête quelque part ? Pourquoi le président de la République n’est-il pas allé à Sidi Bouzid, avant de partir à Koweït, comme il le faisait au début de son mandat et avant son élection ? Pourquoi aucun ministre n'a célébré cette fête ? N’est-ce pas le président lui-même qui a effacé la date du 14-Janvier et officialisé celle du 17-Décembre ? Le Président peut décider ce qu’il veut, in fine le peuple fait ce qu’il veut. Le Président a beau décréter les dates qu’il veut, la vérité est qu’il n’est suivi par personne, pas même son propre gouvernement et ses hurluberlus qu’on voit dans les médias et les réseaux sociaux. C’est marrant, franchement.
S’il n’y avait que cette déconfiture dans le pays, passe encore. Le souci est que l’on est en train de vivre les déconfitures les unes derrière les autres depuis la révolution du 14 janvier 2011 et particulièrement depuis le putsch du 25 juillet 2021. La dégringolade s’est accentuée, bien accentuée.
Vendredi dernier, le monde économique apprend, sidéré, la fermeture de Founa, premier supermarché en ligne en Tunisie et un véritable fleuron du commerce électronique tunisien.
Après sa phase d’investissement, Founa est passé sous le giron de Magasin Général. Plutôt que d’appliquer les méthodes modernes de gestion des commerces en ligne, Magasin Général a géré sa filiale comme s’il gérait une épicerie ou un de ses points de vente de n’importe quel quartier.
Alors que Founa proposait au début (avant son rachat) des prix fortement concurrentiels et des produits qu’on ne trouve pas forcément dans les grandes surfaces, c’est devenu par la suite une simple vitrine de Magasin Général et quelques autres enseignes.
Les actionnaires minoritaires de Magasin Général sont mécontents et leur mécontentement a été exprimé dans un article d’analyse publié dans Business News il y a quelques semaines. Cela nous a valu un florilège d’insultes et d’accusations infâmantes. Nous sommes habitués.
La faillite de Founa fait de la peine, car si son fondateur Karim Skik l’avait créée aux États-Unis ou dans un pays européen, elle aurait été capitalisée en milliards de dollars.
Il serait cependant injuste d’accabler le management de Magasin Général tout seul et de le rendre coupable de tous les maux dans ce qui arrive au groupe et ce qui est arrivé à Founa.
Il y a une conjoncture des plus défavorables et le meilleur management au monde y laisserait des plumes.
L’État, censé être la locomotive du pays, est en train de saigner les entreprises avec des mesures protectionnistes archaïques et anachroniques, et des taxes usurières. Alors que son budget est en hausse (quasiment tous les départements ministériels), l’État est en train d’obliger les industriels, les commerçants et les agriculteurs à limiter leurs marges. Certaines d’entre elles sont même en train de vendre à perte comme dans les secteurs du lait ou de l’eau minérale.
Cette rapacité l’État a une conséquence directe et automatique, les entreprises mettent la clé sous la porte. Observez dans vos propres quartiers le nombre de boulangeries fermées, depuis que Kaïs Saïed s’est occupé de la crise du pain et que son ministère du Commerce a pondu ses mesures despotiques. Observez dans vos propres quartiers le nombre de petits commerces (notamment ceux de la restauration rapide) qui ferment les uns derrière les autres.
Selon plusieurs fédérations des deux centrales patronales, Utica et Conect, ce sont des milliers d’entreprises (notamment les très petites) qui sont en train de faire faillite en cette période. Quasiment tous les secteurs sont touchés. En cuir et chaussures, le nombre d’entreprises serait passé de 480 à 200. Dans le BTP, on estime la casse entre 20% et 30%. On passe carrément à 60% dans le secteur des cafés, pâtisseries et restaurants. Dans les médias, on n’arrive plus à compter les titres qui ont fermé et ceux proches de la faillite prochaine avec des retards de versements de salaires de plusieurs mois.
Ce que toutes ces entreprises ont subi depuis 2008 est facile à rappeler. Outre la crise économique mondiale de cette année-là, il y a eu ensuite le Covid, le putsch de 2021 qui a ralenti la croissance, la guerre en Ukraine et le budget excessivement déficitaire de l’État qui a asséché les banques pour se financer ne se rendant pas compte qu’il a asséché ainsi tout le tissu économique. Avec tous ces problèmes, il y a eu la stigmatisation continue du chef de l’État à l’encontre du capital et du secteur privé. En pressant l’administration à poursuivre les spéculateurs, il a fait beaucoup de casse. Pour faire du chiffre, l’administration a dressé beaucoup de PV injustes, ce qui a poussé plusieurs à fermer ou à changer d’activité.
Last but not least, le chef de l’État stigmatise depuis quelques semaines les grands chefs d’entreprise les poussant à passer devant sa commission de conciliation. Certains d’entre eux ont été jetés en prison. D’autres sont poursuivis devant les tribunaux pour des faits risibles. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant que Kaïs Saïed fixe lui-même les montants des amendes si jamais les montants fixés par les experts s’avèrent être inférieurs à ses espérances.
Il ne faut pas être un grand expert pour deviner ce qui va arriver ensuite à cause de cette politique désastreuse que nous impose Kaïs Saïed.
Comme pour Founa et comme pour des dizaines de boulangeries et des milliers de PME, le pays enregistre des faillites de beaux projets et des pertes d’emplois par dizaines de milliers. La perte d’emplois signifie perte de croissance et donc perte de revenus pour l’État.
La stigmatisation des chefs d’entreprise, principaux investisseurs dans n’importe quel pays au monde, va pousser les uns à freiner leurs investissements et donc freiner la création d’emplois et de richesses. Et donc pertes de revenus pour l’État.
Cela est difficilement chiffrable, mais il n’est pas exclu que l’évasion fiscale se soit accentuée ces derniers temps. Manque de trésorerie, dégoût, risques de faillite, peu importent les raisons, il y a bel et bien de l’évasion fiscale au point que les députés se sont vus obligés, contre l’avis du gouvernement, de décréter une amnistie fiscale dans la Loi de finances 2024.
Outre ces cas, il y a la fuite à l’étranger de plusieurs chefs d’entreprises et de hauts cadres ne supportant plus d’être étouffés dans leur propre pays. Et tout cela revient à dire qu’il y a une perte pour l’État.
Les faits sont là, les faillites s’observent sous nos yeux, tout comme les multiples pénuries, l’inflation croissante, le chômage grimpant et tout le reste. Et bien que tout cela se passe sous nos yeux, il y a encore des gens qui crient « vive Kaïs Saïed ! ».
Le E-Commerce ne marche pas avec une classe moyenne dont le poids démographique est faible...?
Le E-Commerce ne peut avancer sans une vraie sécurité numérique...?
L'ennui est que la mise en oeuvre de ces solutions serait très douloureuse.
Kais Saied n'est que le dernier d'une longue lignée de temporisateurs.