Panama Papers et révision de la Constitution, il fallait tenir le taureau par les cornes
Deux grands dossiers ont accaparé l’attention au cours de cette semaine : l’affaire Panama Papers et la question des prérogatives présidentielles. Ces deux dossiers sont certes importants et méritent amplement d’être au centre du débat public. Seulement, la manière avec laquelle ils ont été traités a été, comme souvent, superficielle, escamotant l’essentiel pour ne retenir que les aspects volatiles et le caractère « faits divers » de ces questions. Cette légèreté de traitement de ces dossiers a été renforcée par l’engouement, presque malsain, des acteurs politiques pour le règlement de comptes, et le tir dans les pattes des uns les autres.
L’affaire Panama Papers a été accueillie avec beaucoup de questions et de suspicion dans le monde,pour diverses raisons. Mais il est évident que les informations fuitées dans le cadre de cette enquête ont été prises avec beaucoup de sérieux à tel point que le chef du gouvernement islandais a été contraint de démissionner, alors que son homologue britannique a été obligé d’avouer que ses agissements n’étaient pas moralement et politiquement corrects.
En Tunisie, on aurait pu fructifier, cette affaire pour ouvrir courageusement le dossier de la corruption, de l’argent sale et des rapports ténébreux entre l’argent et la politique. Au lieu de cela, on s’est contenté de descendre Mohsen Marzouk et d’exiger des commissions d’enquêtes, dans le seul but de le mettre en difficulté. Les feuilles du Panama sont certes importantes et pourraient mettre un frein à la carrière de Mohsen Marzouk s’il s’avère impliqué dans une opération de fraude ou même s’il s’avère avoir menti. Mais ce dernier ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt de la fraude et de la corruption qui encercle notre système politique et économique et qui asphyxie notre démocratie naissante. Les Panama Papers ne sont pas plus graves que les « bananas papers » bien de chez nous, qui font de notre pays un réel paradis pour les aventuriers et les fraudeurs de toutes sortes. Au lieu d’exiger une nouvelle commission d’enquête, il aurait fallu avant, réclamer les résultats des multiples commissions d’enquêtes précédentes qui n’ont jamais été rendus publics, encourageant ainsi les dérapages mafieux et renforçant le sentiment d’impunité chez les malfrats en col blanc.
L’autre affaire qui a retenu l’attention ces derniers jours concerne le souhait de certains députés nidaistes de doter le président de la République de prérogatives plus larges. Ce souhait nécessite l’amendement de la Constitution, sinon l’amendement de la loi sur les prérogatives du chef du gouvernement et du président de la République. Au centre de ce débat, la volonté de donner au président une plus grande liberté de désigner les hauts responsables du ministère de l’Intérieur.
Que ces députés, comme beaucoup de Tunisiens, ne soient pas satisfaits du rendement du gouvernement, qu’ils soient suspicieux à l’égard des responsables sécuritaires actuels est une chose ; qu’ils préconisent la révision de la Constitution ou l’amendement d’une loi en est une autre. Ces députés zélés se sont-ils penchés sur l’opportunité de toucher à une constitution qui peine à se faire respecter, tant les entorses ont été nombreuses et répétitives ? Avant de penser de toucher à la Constitution, il aurait fallu s’atteler à mettre au plus vite les nouvelles institutions, adopter la loi électorale et le découpage administratif du pays. Il aurait fallu accélérer le rythme de l’adoption des lois qui languissent dans les tiroirs du bureau de l’ARP ou dans les commissions parlementaires. Il aurait surtout fallu mettre courageusement sur la table la question du différend, à peine larvé, qui subsiste entre la présidence de la République et la présidence du gouvernement.
Le chef de l’opposition Hamma Hammami a estimé que la démarche de certains députés en vue de la révision de la Constitution, pour élargir les prérogatives du chef de l’Etat, est une chose scandaleuse. Ce qui l’est encore plus, c’est cette bouffonnerie ambiante qui ne cesse de travestir les représentants du peuple en simples zélateurs, moches et vulgaires.
Dans les deux cas, celui du Panama Papers et de la révision de la Constitution, la meilleure approche était de traiter le fond de ces questions. Mais au lieu de tenir le taureau par les cornes, nous avons été leurrés par la frénésie de sa queue.