Invoquer les mauvaises raisons épaissit l'opacité
L’avocat Mounir Ben Salha a été suspendu « provisoirement » du barreau pour être intervenu dans une émission télévisée. Le contenu de son intervention est fortement controversé, mais nul ne peut lui interdire son droit d’exprimer son avis qui concerne tous les Tunisiens, sans aucune exception. La liberté d’expression n’étant plus un sujet négociable dans la Tunisie postrévolutionnaire. L’histoire, celle qui sera écrite par les historiens, lui incombe, seule, de dire si les positions de Me Ben Salha et autres contre-révolutionnaires sont erronées ou pas. En attendant, chacun est libre d’exprimer ses opinions.
Pourquoi le barreau de Tunis a-t-il donc suspendu Me Ben Salha en premier temps et maquillé le tout, dans un deuxième temps, en allongeant la liste des suspendus à quelques autres avocats, très présents eux aussi, dans les médias ? L’application stricte de la loi étant visiblement un argument peu convaincant, il reste l’autre argument, inavoué, en rapport avec les élections du barreau qui auront lieu dans quelques mois. Si on ajoute à cela la jalousie que suscite ces avocats suspendus auprès d’une large frange de leurs confrères, on peut penser que ces avocats ont été suspendus pour les mauvaises raisons. Leur tort en définitive, c’est d’être brillants, d’avoir réussi à se faire une place au soleil, chacun selon une stratégie qui lui est propre, alors que beaucoup d’autres avocats sont restés les otages des couloirs des tribunaux, lugubres, mal éclairés et mal aérés.
Les mauvaises raisons. L’affaire de l’imam de Sfax Ridha Jawadi en est truffée. D’abord, il y a la position du parti Ennahdha qui mène depuis presque deux mois une véritable campagne pour sauver le soldat Jaouadi et quelques autres imams révoqués par le ministère des affaires religieuses après avoir été jugés radicaux et prêchant l’intolérance et l’extrémisme. Contre toute attente et tranchant avec un discours qui s’est voulu modéré durant les derniers mois, les dirigeants du parti islamiste se sont exprimés âprement contre la politique du ministre des affaires religieuses l’accusant de viser par ses décisions les imams modérés du pays. Connaissant les positions des imams concernés tels que Noureddine Khademi ou Ridha Jaouadi, il était clair que le parti islamiste invoquait les mauvaises raisons pour critiquer les décisions de révocation de ces imams.
Il aurait fallu attendre l’éclatement de l’affaire de financement de l’association « caritative » gérée par Ridha Jawouadi pour commencer à avoir un faisceau d’explication de cet engouement du parti islamiste pour cet imam notoirement radical. Cette association, est en fait une nébuleuse qui a collecté des millions de dinars de fonds qui ont été dépensés dans l’opacité la plus totale ce qui a amené les pouvoirs publics, sous la pression de la rue, entre autres, à ouvrir une information judiciaire et à mettre sous les verrous l’imam Jaouadi, hélas encore une fois, pour les mauvaises raisons.
En effet, on aurait compris que cet imam radical soit incarcéré pour apologie du terrorisme ou pour discours radical et extrémiste mettant en danger la paix et l’ordre public. Pour cela, il aurait fallu instruire un dossier étoffé, recevable par un juge d’instruction, ce qui n’a pas été le cas. Alors on a invoqué de mauvaises raisons et on l’a mis en détention préventive pour un délit à caractère civil qui ne mérite pas l’arrestation du présumé à ce stade préliminaire de l’enquête. Par cette maladresse politico-juridique, l’imam radical est devenu une victime.
Il aurait fallu aussi traiter le problème de fond de la gestion des associations caritatives, toutes les associations, ouvrir sérieusement le dossier de l’argent sale en politique, combattre la fraude fiscale et la contrebande. Malheureusement, continuer à invoquer les mauvaises raisons ne résoudra pas ces problèmes. Cela ne pourra qu’épaissir l’opacité.