alexametrics
samedi 27 avril 2024
Heure de Tunis : 16:03
Chroniques
Oui, il y a des complots, mais contre le citoyen tunisien
Par Marouen Achouri
24/01/2024 | 15:55
5 min
Oui, il y a des complots, mais contre le citoyen tunisien

 

Les complots contre la sûreté de l’État ont le vent en poupe ces derniers temps, même les plus farfelus d’entre eux. On nous dit que Henry Kissinger comploterait d’outre-tombe contre l’expérience tunisienne craignant certainement que l’hégémonie américaine soit menacée par l’innovation des sociétés communautaires. On nous dit également que le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, aurait emprunté un sous-marin pour venir en Tunisie comploter contre le président Kaïs Saïed. Si, de prime abord, ces histoires à dormir debout auraient tendance à nous faire rire, l’on se rend vite compte que la blague a assez duré et qu’elle n’est plus aussi drôle qu’avant. Il en va de la crédibilité de la justice et de tout un État, qui perd son temps et qui dilapide l’argent du contribuable à enquêter sur des inepties sans fondement.

 

Pourtant, des complots, il y en a à la pelle en Tunisie. Toutefois, pour les voir et s’en rendre compte, il faut se mettre du côté du citoyen et non du côté du pouvoir. Prenons un exemple tout bête : le transport. Le transport public en Tunisie est devenu une expérience humiliante pour chaque être humain ayant un minimum de respect pour lui-même. Il est devenu impossible à Tunis d’honorer un rendez-vous en comptant sur un bus ou sur un métro. Même les offres et les demandes d’emploi prennent en considération l’adresse de la société ou du candidat. Des personnes refusent un poste ou une opportunité, des sociétés refusent de recruter des candidats pourtant valables, uniquement parce qu’ils habitent loin et qu’ils ne pourront pas être assidus. Par la route ou par les rails, le transport public agonise depuis des années dans l’indifférence totale.

La solution de rechange pour les Tunisiens est celle de l’acquisition d’un véhicule privé, avec toutes les dépenses que cela engendre sur un pouvoir d’achat de plus en plus chancelant. Mais là se dresse l’autre piège mis en place par l’État tunisien : ce dernier gagne en taxes sur une voiture plus que son importateur et même son constructeur. Par conséquent, les prix des voitures en Tunisie n’obéissent à aucune logique commerciale ou économique et plafonnent à des niveaux jamais vus auparavant. Il reste bien la solution des voitures populaires mais quand on sait que l’offre ne dépasse pas les huit mille voitures pour une liste d’attente comprenant près de 150 mille soumissionnaires, il devient ridicule de l’envisager comme solution pour le transport des citoyens du pays. Il faut bien avouer que le complot est bien ficelé pour saigner à blanc le citoyen tunisien et le priver d’un service aussi essentiel que le transport.

 

Il en va de même pour l’éducation. Au niveau du secteur public les manquements sont innombrables. Aussi bien au niveau de l’infrastructure scolaire, que de la formation des enseignants sans parler de l’obsolescence des programmes. La jolie historie de la gratuité de l’éducation en Tunisie n’est plus qu’une fable au vu des prix des fournitures scolaires et de l’obligation de payer les cours particuliers des enfants, que ce soit dans un garage ou au sein de l’institution. Un joli complément de salaire pour les enseignants prélevé directement de la poche des parents. Le plus beau c’est que tout le monde se sucre sur le dos de l’élève et de ses parents. Comment expliquer sinon que les cartables des tout-petits et des plus grands pèsent autant ? Au point que de plus en plus de médecins alertent sur le danger physiologique de cette contrainte sur des corps encore en croissance.

Là encore, la solution ne viendra pas du secteur privé de l’éducation car d’abord, il faut payer. Il est évident qu’à l’échelle du pays, l’enseignement public reste largement majoritaire par rapport à l’enseignement privé. Mais là aussi, dans bien des cas, il faut prévoir les dépenses liées aux inscriptions, mais aussi des cours particuliers des fois, et le coût des activités, de la cantine et autres petits agréments. On remarquera aussi le poids du cartable reste conséquent dans l’enseignement privé. A toutes ces problématiques diverses, l’État a apporté une réponse : une consultation nationale électronique à laquelle 65% des répondants ont moins de vingt ans…

 

Pour que le complot soit correctement ourdi, il manquait la santé. Malgré la bonne volonté de milliers de cadres, de médecins et de responsables, il existe aujourd’hui en Tunisie une santé pour les pauvres et une autre pour les riches. Ici aussi, on retrouve la dichotomie public/privé. Le système de financement de la santé publique composé principalement des caisses nationales et de la Pharmacie centrale de Tunisie accuse des déficits incommensurables et ne tient plus qu’à un fil. L’infrastructure hospitalière est à bout de souffle. Le tout sans parler des problèmes récurrents d’indisponibilité de médecins dans les régions, l’engorgement des hôpitaux universitaires de la capitale et du Sahel ou encore des problématiques qui concernent le médicament en Tunisie. De l’autre côté, c’est un secteur privé de la santé plutôt prospère qui cohabite avec le secteur public. Toutefois, il souffre aussi de la fuite des médecins vers l’étranger. Seulement quarante médecins, sur un total de 250, ont passé le concours de spécialité pour aller travailler dans les régions intérieures du pays. C’est dire l’étendue de la catastrophe. Plusieurs médecins affirment également qu’à ce train, le citoyen tunisien ne trouvera plus de médecin pour le soigner dans une décennie. Il existe encore quelques gladiateurs de la santé publique dans les hôpitaux tunisiens et dans l’administration, mais ils ne tiendront pas éternellement, tant que l’État tunisien fait l’autruche et continue à se gargariser de réalisations imaginaires.

Il serait temps que l’État se mette à défaire les complots qui visent le citoyen tunisien et son bien-être. Nous n’avons évoqué ici que des domaines vitaux comme la santé, le transport et l’éducation mais il n’y a pas un seul domaine, relié directement à la vie quotidienne du Tunisien, qui ne soit pas atteint. C’est plutôt sur ce genre de problématiques que devrait se pencher cet État qui nous coûte tellement d’argent.

Par Marouen Achouri
24/01/2024 | 15:55
5 min
Suivez-nous
Commentaires
Belgacem chebbi
Triste révolution du jasmin
a posté le 25-01-2024 à 12:18
Triste réalité.. On se demande que font les conseillers politiques.. Pendant que l'Algérie et le Maroc dans une course pour faire un Hub Afrique-Europe..
Bel article en tout cas
Hannibal
Normal
a posté le 25-01-2024 à 11:23
Echa3b Yourid
DHEJ
Le citoyen est le comploteur
a posté le 25-01-2024 à 10:47
Le tunisien est créateur de problèmes.
Ckryscthall
Nausée pour nausée
a posté le 25-01-2024 à 10:02
Félicitations pour cet article qui dit ses quatre vérités à l'état des lieux dans notre pays.
Mais si l'état laisse les choses s'envenimer à ce point, ce n'est pas par nonchalance ou négligence de sa part, mais plutôt cela est fait exprès pour rendre au peuple sa monnaie.