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Chroniques
"Fallujah"... Une histoire d'amours maladroits
Par Faten Kallel
13/04/2023 | 16:05
5 min

 

Voilà que le feuilleton qui a suscité tant de remous en début de ce mois de ramadan se termine. Et on pourrait dire qu'il se termine sur une bonne note et une appréciation majoritairement positive des spectateurs.

"Fallujah" - du nom de la ville irakienne connue pour être la cité des mosquées, mais aussi pour avoir été totalement détruite lors de la guerre en Irak - est un feuilleton qui raconte l'histoire d'une bande de copains, adolescents, trois filles et deux garçons, aspirant à la liberté et à une vie sociale excitante du fait de leur âge. Des jeunes, Tunisiens, gourmands d'expériences insolites, d'aventures et de rébellion, histoire de s'affirmer. Et qui se retrouvent malmenés par la vie, qui ne leur épargne pas leurs petits égarements.

 

Une histoire a priori banale, racontée et re-racontée à maintes reprises dans toutes les cultures, les langues et les nationalités qui se déroule, en grande partie, dans un lycée public soumis au laisser-aller administratif et à la corruption de certains de ses employés. Elle met en évidence un environnement éducatif qui laisse peu de place à l'intérêt de l'élève et du corps enseignant consciencieux, et qui se contente de faire tourner un système, quitte à ce que ça soit à vide, du moment qu'il tourne. A côté, les familles, dans leur désir de donner ce qu'il ya de mieux à leurs enfants, se débrouillent comme elles peuvent. Elles tentent, de leur mieux, de se soumettre aux règles sociales strictes, dans un monde qui se libère à grande vitesse, avec ce que cela comporte de maladresses et d'erreurs. Et cela parfois a eu des conséquences désastreuses sur leur progéniture.

 

La diffusion du premier épisode a suscité une vive colère chez une grande partie des Tunisiens, jugeant le feuilleton comme étant un outil de promotion des comportements pervers et de destruction de ce qui reste de l'école publique. Allant même jusqu'a provoquer des déclarations pour le moins liberticides du ministre de l'Éducation. Le feuilleton a même fait l’objet d’un conseil ministériel dédié, qui avait pour ordre du jour la question de l'arrêt ou non de la diffusion, laissant au final au bon sens présidentiel la décision finale. Heureusement qu'à ce moment-là, le président était en congé et le feuilleton a fini par continuer d'être diffusé.

En s'arrêtant superficiellement sur les commentaires et les attaques, on se dirait que cette colère est justifiée par une certaine ferveur envers l'école publique et les valeurs sociales qu'elle porte, mais aussi envers les valeurs morales de la société tunisienne, qui se défend fièrement d'être conservatrice. Que ce soit le corps éducatif ou les parents, tous ont vu une attaque de ce modèle tunisien auquel ils tiennent, où l'école bourguibienne ouverte à tous est le pilier, et le conformisme aux comportements moraux est la norme. Mais est-ce vraiment de ça qu'il s’agit ? Les « Wled Moufida », les « Chouerreb » et compagnie, n'étaient-ce pas des feuilletons à la moralité douteuse ? Violence, vagabondage, comportements excessifs en tous genres... pourquoi ces feuilletons, qui ont fait l'objet de débats passionnés certes, n'ont pas suscité de pareille colère et de réactions violentes ?

En y regardant bien, Fallujah est différent. Là où les autres feuilletons ont mis en images des histoires au parti pris clair, mettant en scène la violence et la perversité dans leur forme la plus brute et la plus extrême, laissant peu de place à la confusion chez le spectateur. Le feuilleton de Sawssen Jemni est beaucoup plus subtil. Il installe dans le récit toute la complexité de l'être humain, avec son désir d'exister à travers ce qu'il est au plus profond de lui-même, son besoin d'aimer et d'être aimé, et en contre partie son aspiration à appartenir, à une famille, à un groupe, à une communauté, et à une société.

Et c'est là que se referme le piège sur le spectateur tunisien qui en regardant ces personnages, qui transgressent sans cesse les règles sociales établies, a du mal à les juger durement ou les condamner. Et à travers ces personnages, il se voit lui, avec ses désirs, ses expériences, ses choix soumis et ses frustrations. Et apparemment il ne le vit pas bien.

Le feuilleton à, en toute évidence, fait remonter un malaise profond, que les Tunisiens vivent tous individuellement, souvent dans le silence absolu, par peur d'être considérés marginaux et d'être rejetés. Il met en lumière une société conservatrice qui nous élève dans la culpabilité, la honte et la peur de ce que nous sommes : à savoir de simples êtres humains, dont le principal désir est d'être heureux et libres, et dont l'expérience de vie ne peut se résumer à une erreur, si erreur il y a.

 

En gros, il met devant nos yeux l'évidence, de combien nos amours sont maladroits, du fait de cette chape de plomb que sont les valeurs sociales moralisatrices, qui déforment tout ce qu'il y a d'humain en nous. Des histoires d'amours trébuchants, où des individus dans leurs différentes phases de vie essayent d'exister et de s'épanouir, et qui finissent par échouer sur le rivage des désillusions et du rejet. Parce qu'à la rébellion, le châtiment sera exemplaire.

Et ça fait mal, parce que cela remet tout un mode de fonctionnement social en question. Cela   relativise ce que nous comptions pour impardonnable, et accuse ce que nous pensions des réactions appropriées aux dépassements des limites. Cela montre également, à quel point nous malmenons l'amour en le reléguant au second plan derrière les règles de bienséance et les normes conservatrices. Alors que sans amour, un être humain se vide et une société perd son âme.

 

La réalisatrice, grâce à son talent, et sûrement aussi grâce à sa sensibilité féminine, a su capter cette complexité, elle a mis en évidence des personnages d'une justesse exceptionnelle, tiraillés entre ce qu'il ya de bon et de mauvais en eux, et qui manifestement méritent tous une seconde chance. Même la fin était juste, rien de tragique, loin de la morbidité habituelle des feuilletons tunisiens des dernières années. Heureuse pour certains, surtout les victimes, pleine de leçons pour d'autres, mais adéquate au contexte, celui de l'histoire de cinq adolescents pleins de vie et d'espoirs, et qui par la force des choses font des bêtises.

Par Faten Kallel
13/04/2023 | 16:05
5 min
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Commentaires
Alya
Bravo saousen
a posté le 14-04-2023 à 13:47
Vraiment bravo. Un petit chef d '?uvre. '?a change des feuilletons turques à l eau de rose .
DHEJ
Mais de qui parle-t-elle?
a posté le 14-04-2023 à 08:37
Des conditions anormales pour un amour durable et non maladroit.

Un amour d'un adolescent à la recherche d'une maturité prématurée!

Pour ne pas parler de l'age de la responsabilté pénale...
Hamza Nouira
Et bien ...
a posté le 14-04-2023 à 08:07
Vous dites "Il met en lumière une société conservatrice", vous voulez dire une société coincé dans les traditions d'une autre époque. Il y a une différence entre être Conservateur et être Traditionnel.

Ah fate et son romantisme des illusions. Cela sent le vécu....
Haddad
oui pour l'analyse
a posté le 14-04-2023 à 01:04
Votre analyse est formidable. Les erreurs de français tout le monde en fait, les corriger est instructif. J'ajouterais à ce propos que "il y a" s'écrit sans être lié "il ya". Je répète que cela n'enlève rien au bon contenu de l'article.
leith 1988
Amours maladroites
a posté le 13-04-2023 à 21:06
J'aurais écris amours maladroites, car amours au pluriel devient féminin..Une exception en français que peu connaitraient.
Bechir
Faute dans le titre
a posté le 13-04-2023 à 21:00
On dit "une histoire d'amours maladroit*e*s". Amour est un mot masculin au singulier, féminin au pluriel.