Ramadan et Souad Abderrahim, du pareil au même
Par Synda Tajine
L’hypocrisie qui accompagne chaque année la venue du mois saint de Ramadan est semblable à celle ayant suivi la grande victoire de Souad Abderrahim aux Municipales à Tunis. On se fout qu’il s’agisse d’une islamiste opposée aux valeurs universelles des droits de l’Homme et de l’égalité entre les genres, tant qu’une femme « non voilée », « instruite » et « présentable » soit élue à la municipalité de Tunis.
On s’en fout aussi que ce soit une femme « instruite », « présentable » et « cultivée » tant qu’elle n’appartienne pas au monde très select de la bourgeoisie tunisoise et qu’elle ne porte pas un nom de famille à faire pâlir d’envie les dynasties beylicales. Au fond, ce n’est pas très important qu’elle martyrise, par ses propos, les femmes célibataires - qui selon elles doivent se terrer au lieu de commettre l’affront de s’assumer publiquement - ou qu’elle soit trop prudente pour s’exprimer sur l’égalité de l’héritage. On oublie que peu importe les principes qu’elle défendra, dans les faits, elle ne fera que porter les couleurs de son parti. On préfère plutôt reporter, à chaque fois, le débat sur d’autres considérations de loin plus insignifiantes. Mais qu’importe, il est très peu probable que Abderrahim accède au poste tant convoité de Cheikh (plutôt Cheikhe) de Tunis. Le jeu des consensus se mettra en place pour lui offrir une compensation digne de lui faire lâcher le morceau.
Idem pour Ramadan.
L’essentiel est camouflé sous une tonne d’artifices tous aussi ridicules les uns que les autres. Le mois de la « privation », de la « piété », du « recueillement », de la « spiritualité » offre chaque année son lot de folklore. Les supermarchés sont pris d’assaut, l’incivisme est au plus haut et la productivité au plus bas. Mais tout va bien, pourvu que les sentiments des croyants soient respectés.
Dans un pays dont la Constitution consacre la liberté du culte (ou du non-culte), un débat est ouvert chaque année pour savoir si les cafés doivent ou non ouvrir leurs portes aux « fattars » durant le mois saint. Comme s’il s’agissait d’une question d’importance capitale pour le citoyen lambda, embourbé sous une tonne d’inflation, de hausse des prix, de pénuries et d’ordures, le débat est plus concentré sur la meilleure manière de ne pas offenser ceux qui observent ramadan que celle de garantir une vie plus agréable à l’ensemble des citoyens.
Au fond, il importe peu de savoir qui va jeûner durant le mois de ramadan, ou qui va siroter un café en terrasse en milieu de journée (ou une bière, sacrilège !), tant que la loi garantit à ces deux-là la liberté de le faire. Mais la loi ne sait pas où donner de la tête. Il est plus facile de jouer la prudence, de se cacher derrière une circulaire vieille de plus de 35 ans et qui est née dans un contexte politique complètement différent (ou pas !)
Sous couvert de lutte anti-terroriste, de rassemblement et de prudence, on ferme les cafés, on interdit la vente d’alcool aux Tunisiens. C’est plus facile, car les croyants ont plus de légitimité et une voix qui porte plus que les « quelques » modernistes qui expriment leur ras-le-bol sur la toile en affichant les bouteilles d’alcool qu’ils consomment ou les rares restaurants qu’ils visitent avant la rupture du jeûne.
Ce débat est lassant, inutile et n’a plus lieu d’être car il aurait dû être clos depuis longtemps. Il ne s’agit nullement de protéger les sentiments des croyants ou de sauvegarder le « Sacré » de toute atteinte, car ils devraient être à l’abri d’un citoyen qui boit une bouteille d’eau dans la rue. Les sentiments des croyants ne seraient pas plus offensés par les effluves d’odeurs que leur font subir leur marché, leur grande surface ou leur propre cuisine à l’heure de la préparation des repas. Il s’agit au contraire, de sauvegarder un mode de vie et de l’imposer à une majorité.
Ceux qui n’observent pas le jeûne n’offusquent personne, ils ne font que manger, rien de plus personnel. Ils menacent par contre le style de vie que les autres, les jeûneurs, veulent imposer à tous. Ils font vaciller la notion de majorité d’un côté qui n’est plus celui habituel et font perde aux autres leur pouvoir de décider et d’imposer leur loi. La question sera de savoir du côté de quelle majorité est la loi, afin de clore une fois pour toutes le débat et de passer enfin à autre chose. Autre chose de plus constructif pour le pays…