Tunisie : l'empire de la femme objet
La fête nationale de la Femme est passée depuis quatre jours, c’est vrai. Mais comme on ne reparlera plus d’elle jusqu’à l’année prochaine, il est utile de revenir sur le sujet, encore une fois. Y revenir oui, mais pour dire quoi ? Pour dire que la femme est considérée comme un objet, aussi progressistes que nous pensons être.
Commençons par le cas de Hbiba Ghribi, l’athlète tunisienne médaillée d’or aux jeux olympiques de Londres et douzième lors de la finale de Rio. On a mis de côté sa performance, bonne ou mauvaise, sa préparation ou le soutien que lui offre l’Etat tunisien. On s’est contenté de parler, grâce au musicien Rached Khiari, de l’intérêt de ses habits et du fait qu’elle coure dénudée au lieu de courir totalement couverte. Inutile de dire que la discussion est en soi une hérésie, mais on s’est laissé entrainer là-dedans pour, finalement, ne considérer Habib Ghribi que sous le scope d’un corps, qui devrait, ou pas, être couvert. On a considéré Habiba Comme un objet, c’est tout ce qu’elle a représenté. Alors que nos athlètes et nos champions devraient nous réunir, le génie tunisien en a fait une ligne de rupture et de division, encore une.
Parlons maintenant de Nourane Houas. Si l’on met de côté les communiqués laconiques et les versions officielles, on se rendra compte que le sujet n’est pas une priorité pour l’Etat tunisien. Dans les couloirs, on dit que c’est l’affaire des Français d’abord, puisqu’elle avait fait appel à François Hollande et qu’elle est beaucoup plus française que tunisienne. En second lieu, c’est l’affaire de son employeur. Bien sûr, personne ne prendra un micro pour dire ce genre de choses au public, mais on le pensera très fort. Et donc, Nourane Houas est aussi considérée comme un objet puisqu’elle représente un poids dont on se passerait bien. Un boulet qui s’alourdit à chaque fois qu’une vidéo d’elle est mise en ligne.
La politique est sans doute le champ qui dévalorise le plus la femme. L’ensemble des partis évoquent la femme, le CSP, la liberté acquise de la femme et autre blabla désuet et franchement ennuyeux. Par contre, rares sont les femmes qui sont placées aux avant-postes des responsabilités politiques réelles. A part le fait de donner une certaine image de diversité et pour agrémenter les photos de groupe, la femme ne sert pas à grand-chose finalement. Si on veut s’en assurer, on peut se demander combien de femmes Youssef Chahed a-t-il reçu à Dar Dhiafa, hormis Wided Bouchamaoui ? Elles ne sont pas nombreuses. Un autre exemple ? Celui des décorations distribuées par la présidence de la République à certaines femmes jugées méritantes. Il faut savoir que l’une des décorées a déclaré publiquement qu’une femme voilée ne devrait pas sortir de chez elle. Une autre avait demandé à la France d’agir militairement en Tunisie tellement les islamistes sont « méchants » ! Pourquoi les décorer dans ce cas ? Pour marquer une ligne de rupture idéologique et pour dire qu’en fait, c’est vrai que la présidence est très amie avec les islamistes mais qu’on reste quand même différents ! Comment ? Et bien nous on aime la femme et on aime sa liberté de penser et c’est pour ça qu’on la décore. Entre temps, la leçon est venue des anciens RCDistes qui ont nommé l’avocate Abir Moussi en tant que présidente du parti lors de leur congrès du 13 août. De mémoire, aucune femme n’a accédé, auparavant, à un aussi haut niveau de responsabilité politique. Entre temps, Béji Caïd Essebsi distribuait des écharpes avec des photos de lui…
Donc, la femme est un objet, a fortiori en politique, mais dans plusieurs autres champs d’activité. On peut évoquer les femmes qui travaillent dans les champs, transportées et traitées comme du bétail. On peut aussi évoquer les pseudo intelligentes, les femmes de la pseudo élite qui s’émeuvent d’être invitées ou pas à la garden party de la présidence, qui balancent leurs invitations sur les réseaux et qui critiquent les épices des petits fours. Toutes ces femmes sont considérées comme des objets et il n’est pas donné, pour nous Tunisiens, de changer cela. Pour changer cela il faudrait du courage, et le courage en Tunisie est une denrée extrêmement rare.