12 enfants dans des boites
La ville de Bruxelles a décidé de planter un arbre, quelque part dans le monde, pour chaque nouveau-né sur son territoire. Ainsi, les parents de chaque bébé né à Bruxelles recevront avec l’acte de naissance de leur enfant, une carte d’identité de son arbre. Une jolie manière de suivre l’évolution d’un arbre en même temps que celle de son enfant et de le sensibiliser en même temps aux problématiques environnementales.
En Tunisie, 12 familles ont reçu - ou recevront - 12 boites en carton contenant le cadavre de leur nouveau-né mort, sans même savoir pourquoi. Là où la dignité humaine n’est pas très précieuse, on attache peu d’intérêt à la symbolique et aux convenances.
Mais donner la chair de sa chair, un bébé attendu par les parents depuis au moins plusieurs mois, dans une vulgaire boite en carton qui aurait servi à transporter des marchandises ne devrait pas vous choquer. Non, car il s’agit même d’une « pratique courante », à entendre la directrice générale de la Santé. Une pratique qui est loin d’être récente. Il paraitrait que, selon des études psychologiques, il serait moins traumatisant pour un parent de recevoir son enfant dans une petite boite. Qu’ainsi, les parents ne seraient pas en contact direct avec le corps et que l’impact du retour à la maison avec son enfant mort serait moindre.
Cette pratique n’est certes pas propre à la Tunisie. Dans d’autres pays, dans les campements de réfugiés ou en zone de guerre, on rend les nouveau-nés morts à leurs parents dans des cartons. Famine, malaria, accouchement difficile ou enfant prématuré, parfois les conditions sanitaires dans certains campements ne permettent pas de porter secours à ces enfants. Parfois, les familles sont dans l’incapacité de récupérer leurs enfants tout de suite et on est obligés de les leur déposer dans des boites en attendant que le parent soit en mesure de venir le récupérer. Parfois, la mère vient accoucher seule, ou a d’autres enfants sur les bras, et ne peut transporter par elle-même un bébé enveloppé dans un drap.
Qu’on remette des corps d’enfants dans des cartons pourrait peut-être (et encore) s’expliquer dans un campement de fortune, dans des pays aux conditions difficiles mais pas en Tunisie. Pays des droits de l’homme, des libertés individuelles, de la meilleure constitution au monde, de la révolution étincelle du printemps arabe, du Prix Nobel de la paix…
Dire que l’Etat tue ses enfants et les livre dans des boites est tout sauf du vulgaire populisme. Le drame des nouveau-nés, s’il est affreusement choquant, n’est certes ni imprévisible ni isolé. Dans ces hôpitaux où on vous traite comme du bétail, où les malades sont entassés, humiliés et agressés sans conditions minimales d’hygiène et de sécurité. Dans ces hôpitaux où les médecins sont dépassés, travaillent en risquant leur sécurité et sont obligés de gérer des cas pas possibles dans des conditions plus que précaires, comment s’étonner que la bombe finisse par exploser ?
12 nouveau-nés sont morts cette semaine. Il y a quelques semaines un enfant ayant subi une opération à cœur ouvert a été transporté sur les bras dans les escaliers de l’hôpital étant donné que l’ascenseur était en panne. Il y a quelques mois, des centaines de personnes ont fait face à une pénurie de médicaments sans précédent. Il y a quelques années, des malades ont reçu des stents périmés. Ce ne sont que des histoires parmi d’autres, tout sauf des cas isolés.
Les médecins les plus téméraires, les plus engagés, ceux qui n’ont pas peur de bousiller leurs cordes vocales et de perdre la raison, sont las de hurler. Ils finissent, un à un, par laisser tomber, par lâcher prise et par abandonner car la gangrène est trop avancée, car les problèmes les dépassent et qu’ils ne peuvent désormais plus rien faire. « Nous finirons par nous essouffler si personne ne prend le relai », lâche l’un d’eux aujourd’hui, dépité.
Cela fait en effet des années que les médecins dénoncent l’état catastrophique des établissements de la santé publique, mais qu’aucune mesure suffisamment efficace n’a été prise pour y remédier. Des histoires à vous glacer le sang font désormais partie du folklore. Des histoires à peine croyables ont été partagées en masse aujourd’hui par de jeunes médecins à travers le hashtag #balancetonhopital qui est rapidement devenu viral sur les réseaux.
En attendant, le département de la Santé n’arrive à retenir aucun ministre. 12 ministres se sont succédé en l’espace de 8 ans. Des CV divers et variés et des implications tout aussi diverses et variées. Aucun d’eux n’a eu le temps nécessaire de donner un coup de pied dans la fourmilière, mais plusieurs d’entre eux ont eu l’occasion de faire empirer les choses. En attendant, les 12 nouveau-nés ne resteront pas un cas isolé et les petits corps continueront à être remis dans des boites…