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Tribunes
Tunisie, chronique d’un désastre annoncé
14/10/2019 | 12:13
6 min
Tunisie, chronique d’un désastre annoncé

 

Ainsi, Kaïs Saeïd, vient d’être élu, sans surprise aucune, président de la Tunisie.

Pour comprendre le résultat de cette élection, aux dés pipés, et tronquée, il convient de revenir un peu en arrière.

Au mois de juin, pressentant que le magnat de la télévision, Nabil Karoui, était en tête des sondages, le premier ministre, Chahed, qui se voyait, et se voulait, unique successeur du vieux Beiji, fait modifier la loi électorale pour barrer la route à tous les adversaires politiques qui pourraient le gêner dans sa course vers Carthage.

Ce traficotage de la loi électorale, à la veille des élections, suscite un tollé parmi la classe politique. Et le vieux Beji refuse de promulguer la loi, juste avant de passer l’arme à gauche.

La campagne électorale s’ouvre donc avec la présence des candidats « indésirables ».

Le premier ministre, ne pouvant faire prévaloir la loi pour éliminer son adversaire, va utiliser la justice pour le mettre hors d’état de nuire.

Le 23 août, Nabil Karoui est arrêté à la suite d'un mandat d'arrêt produit par la chambre d'accusation de la cour d'appel de Tunis.

24 candidats sont retenus pour le premier tour des présidentielles qui se tiennent le 15 septembre.

Le vote est marqué par une très forte abstention, et le résultat balaye toutes les figures historiques du paysage politique, laissant en lice deux candidats, atypiques : Nabil Karoui et Kaïs Saïed.

Le premier est un homme d’affaires médiatique, qui a connu son chemin de Damas, à l’issue de la mort de son fils, et s’est mué en une sorte de mère Theresa, jurant d’en finir avec la pauvreté dans le pays.

Le second est un enseignant de droit, à la retraite, que l’on dit intègre, mais qui n’a pas pipé mot durant les vingt années de dictature. Illuminé, sans charisme, et archaïque en diable, il va prendre, au fil de la campagne, l’allure d’un Messie rédempteur qui va, aux dires de beaucoup, laver la Tunisie de tous ses péchés. Amen !

La mise à l’écart de Nabil Karoui, de manière illégale, comme l’a constaté cette semaine la Cour de Cassation, va fausser le jeu démocratique, et pourrir foncièrement le climat des élections.

Ce qui est étrange, c’est qu’aucune enquête n’a été diligentée à ce jour, pour faire la lumière sur cette manœuvre dilatoire et d’en condamner les initiateurs.

Les élections législatives organisées dans la foulée consacrent l’éclatement, on parlera même de balkanisation, du paysage politique.

Le Parti Islamiste Ennahda arrive en tête après avoir perdu pas mal de plumes dans la bataille. Et les salafistes, du parti, très daechien, al Karama, décrochent 21 sièges au Parlement.

La gauche boit la tasse et disparaît corps et biens, victime de ses propres dissensions et ses luttes fratricides.

Les élections législatives, loin d’enclencher une révolution, amorcent en fait une régression profonde, et livrent, une fois de plus, le pays aux islamistes qui jubilent à l’idée de tourner à jamais la page du mandat de Béji Caïd Essebsi, qui avait fait rêver, malgré lui, d’égalité d’héritage, d’abolition de la peine de mort et de dépénalisation de l’homosexualité.

Adieu, veaux, vaches.

Pour achever cette déconfiture démocratique, Nabil Karoui est libéré, in extremis, à la veille du deuxième tour. Il débarque ainsi à la dernière heure dans une élection jouée d’avance.

Ennahda qui a trouvé son cheval de Troie en Kaïs Saïed, a mis, entre-temps, le paquet, en bourrant les urnes, comme d’habitude, et en lynchant sur les places publiques et les réseaux sociaux, Karoui, comme on a jamais lynché personne: qualifié d’incarnation du diable, de mafiosi, de trafiquant, de nazi ! Il reçoit le coup de grâce quand on le taxe d’agent du Mossad.

Dans ce monde arabe, attardé, retardataire et fossilisé dans l’âme, pas besoin de chaise électrique ni de peloton d’exécution pour les peines capitales.

Pour flinguer quelqu’un il suffit de lui coller simplement sur le dos l’étiquette : « Juif », « Mossad » ou « Israël ». Son espérance de vie n’excédera pas les 24 heures !

Les Islamistes mettent le paquet : taxis, hébergements, louages, bus, repas gratuits, sont mis à la disposition de tous ceux qui s’engagent à voter pour Kaïs Saïed.

Allez gagner contre des partis religieux qui parlent au nom de Dieu lui-même, et promettent la clé du paradis à quiconque se montre généreux envers eux.

Le débat organisé à la veille du second tour, donc sur les chapeaux de roues, va jeter une lumière crue sur la faillite du politique durant cette drôle de campagne, faite d'injures, de délation, d'excommunication et d'insultes.

Le degré zéro de la démocratie.

Sur un plateau éclairé, et décoré comme « The Voice », deux journalistes, engoncés et guindés, accrochés à leur chronomètre comme des arbitres du 100 mètres aux JO, distribuent la parole à deux candidats qui n’ont rien à dire, rien à proposer, rien à défendre, et qui, apparemment, ignorent tout de la gestion des affaires publiques. On ne prononcera aucun chiffre durant cette « confrontation » historique, c’est dire !

Aucun des deux candidats n’a de programme, et ne peut parler de l’avenir de la Tunisie, tant l’un, Karoui, est obsédé par « ses pauvres » ; et l’autre, Saïed, est subjugué par sa propre probité.

Le premier Kaïs Saïed, docte, pérorant dans le vide, enfilant des métaphores en arabe classique ; et, en face, Nabil Karoui, aussi mal à l’aise en arabe qu’une comédienne égyptienne dans un tutu.

Le moment le plus cocasse et le plus pathétique c’est quand les journalistes posent la question aux deux candidats sur les sources de financement de leur campagne : Tout penaud, Nabil Karoui nous révèle que c’est sa maman qui lui a fait un chèque ; alors que Kaïs Saïed, nous assure qu’il a vendu la maison de son père ! On croit rêver !

Demain, pour éponger le déficit commercial du pays, ils feront sûrement appel au bas de laine de leur grand mère.

On s’attendait à ce que les deux soient interrogés sur les grands sujets de l’heure : la crise du tourisme, le taux de chômage, l’immigration clandestine, la fuite des cerveaux, le déficit de la balance commerciale, la chute vertigineuse du dinar. Que nenni ! Aux yeux des journalistes de la Wataniya tout cela n’est que menu fretin, le principal problème de la Tunisie, c’est Israël ! Et de poser la question aux deux candidats pour savoir s’ils sont pour où contre la normalisation des relations avec l’Etat hébreu.

C’est à croire que le Golan se trouve au Cap Bon et que Ramallah est la capitale de la Tunisie . Et bien sûr aux deux candidats de rivaliser en hargne et promesses, jurant l ‘un et l’autre de criminaliser toute tentative de normalisation avec Tel Aviv, comme si six millions d’Israéliens allaient débarquer dans l’heure à l’aéroport de Carthage.

Le pire de l’inculture on va le connaître avec Kaïs Saeïd qui, a la fin du débat, cite le film de Youcef Chahine, « le Moineau », comme un symbole de « l’oiseau qui fuit sa cage à la recherche de la liberté », quelle science! alors que le film parle de la branlée historique du monde arabe face à Israël en 1967!

L’avantage et le malheur de la Palestine c’est que ça mange pas de pain. Quand on veut rassurer le pauvre électeur arabe, qui est dans la merde jusqu'au cou, on lui murmure à l’oreille : « T’inquiète pas mon pauvre, on va emmerder Israël » ; et le pauvre dormira tranquille, heureux, serein, le ventre vide, mais plein de haine pour les juifs, alors que sous ses fenêtres les salafistes chantent à tue tête le retour du Califat : Allah est grand ! Bonne nuit, les enfants, faites de beaux rêves, Kaïs Saïed veille désormais sur vous.

14/10/2019 | 12:13
6 min
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Commentaires (16)

Commenter

antaros
| 30-10-2019 22:01
Enfin un président digne de ce nom! il aura certainement beaucoup de travail, notamment celui de décrasser la Tunisie de tous ces singes corrompus et mauvais imitateurs d'un occident en décadence avancée qui ne pensent qu'à leurs bas ventre, vecteurs d'idéologies putrides recueillies des fonds de poubelles d'un occident trop rassasié.
Vive la Tunisie, vive le Président!

Nady
| 15-10-2019 19:14
c'est ceux qui ne font que colporter des stéréotypes de l'autre coté de la méditerrané, sans se soucier ni de la particularité ni de l'identité ni de l'histoire tunisienne.
Et puis, on n'installe pas une démocratie stable et sereine en une dizaine d'année. Combien de temps et combien de vie la démocratie française a-t-elle coûté?

Votre texte n'aura servit qu'a trahir le mépris que vous avez envers les gens qui ne pense pas comme vous, et en fin de compte envers vous même.

A4
| 15-10-2019 16:49
ROBOCOP
Ecrit par A4 - Tunis, le 14 Octobre 2019

Et Robocop parla
Récita sa leçon
Slogans et tralala
Sous forme de chanson

Il nous parla enfin
Tel un disque rayé
Répétant son refrain
A gorge déployée

Il se vanta même
De son programme absent
De ses grands dilemmes
Sur un rythme lassant

Il dit et répéta
Qu'il n'avait pas le sou
Que c'est bien à l'Etat
De se charger de tout

C'est bien l'Etat qui doit
Se mettre à vos pieds
Ne bougez pas le doigt
C'est à lui de casquer

C'est cet Etat maudit
Qui a pour punition
Gérer la tragédie
De cette révolution

L'Etat est mieux soumis
Faible, sans édifice
Victime du tsunami
De tous vos beaux caprices

A vous de rêvasser
De chemins balisés
L'Etat doit se presser
De tout réaliser

Il répéta encore
Des vieilles obsessions
Hurla son désaccord
Sur toutes concessions

C'est beau à entendre
Me dit l'ami Lénine:
"Quand on n'a que vendre
On vend la Palestine ..."

veritas
| 15-10-2019 16:20
Chapeau bas .

Tounsi-Horr
| 15-10-2019 09:38
Puisque vous êtes si clairvoyant et si intelligent, alors je vous conseille de vous présenter aux prochaines élections, jurer, je voterais pour vous :)

Moun
| 14-10-2019 21:45
Excellent : article qui esume bien la situation catastrophique et triste de cette election. La pauvre la tunisie colonisée par les salafistes.!

Mouaten_X
| 14-10-2019 19:40
J'ai essayé de lire jusqu'au bout cette logorrhée haineuse et inutile, qui n'apporte rien de nouveau.
L'auteur prend plaisir à se lire et certainement se relire, et nous assène ses "vérités" dans un mélange fourre tout. On a vite compris le message, lui, l'intellectuel, érudit est très supérieur à tout cela. Cela doit être si difficile d'être arabe et de s'appeler Mohammed. Vous avez dit intellectuel ?

Léon
| 14-10-2019 18:46
La pseudo démocratie née en 2011 n'a leurré que 12 millions d'imbéciles (il faut reconnaitre que c'est beaucoup).
Le service après-vente des atlantistes a été assuré par des emprunts soumettant définitivement un pays qui n'aura que la bouse de ses habitants pour les rembourser. Et encore! Pour récolter de la bouse, il faut d'abord se nourrir; et ce n'est pas gagné; surtout sans les macaronis de Nébil Karoui. Un seul point positif à cette "mascarade" démocratique: Le tunisien ne pourra plus prétendre qu'on lui a volé sa belle révolution (sic!) et détourné ses choix, sachant que les appuis de notre Kaïs national sont les Recoba, Dghij, grands protecteurs de la déconfiture tunisienne.
Les tunisiens ne se rendent même pas compte que sans la mise sous respiration artificielle de la Tunisie via des marionnettes à l'instar des Jomaa, Chahed et consorts, on aurait touché le fond depuis longtemps. Aujourd'hui Al Hamdou Lillah cela va arriver et tu verras, mon cher Kacimi, la capacité qu'a le peuple de la trahison collective à insulter des propres choix et à leur jeter la pierre.
En termes de démocratie, Ben Ali peut donner des leçons à tout ce ramassis d'intellectuels, et si on lui reproche d'avoir manqué de délicatesse à cause des détentions arbitraires durant les années 90 (moins graves que celle de Nabil Karoui), on lui aurait reproché son laxisme si les islameux avaient fait les 200.000 morts qu'ils ont fait durant la même période, juste à ses frontières.
Bref, l'histoire est longue et la déconfiture aura cette fois-ci une vertu: Montrer aux tunisiens l'oeuvre et le miracle des politiques qui l'ont gouvernés durant 55 années (khamsa wi Khmiss). Celle qui a fait qui a fait d'un pays sans ressources, le pays le plus envié du monde arabe (si toutefois ce monde existe vraiment).
Mais le vrai miracle, le plus grand miracle, est d'avoir fait à partir du peuple tunisien,des diplômes intellectuels, qui ont tous cru le temps d'un moment qu'ils étaient présidentiables. En réalité, ils n'aiment pas leur pays. Imagine un algérien dire que la vraie indépendance n'est pas celle de 62 mais la révolution qui a viré un tel ou un autre tel du pouvoir. Il se ferait flinguer par tous ceux qui l'entourent. Chez nous tout le monde l'a dit; même le Marzougui.
Et ils veulent que leur entreprise de merde réussisse tout en se conchiant sur le sang des chouhadas, en les comparant aux voyous qui, drogués jusqu'à l'os, allaient faire tomber la Tunisie et la Libye en bande organisée, derrière les Bernard Henri Lévy et consorts.
Le coeur est grand comme çà khouya Kacimi. Mais la délivrance est pour bientôt!

Amitiés.

Léon, Min Joundi Tounis Al Awfiya;
Résistant.

VERSET 112 de la SOURATE des ABEILLES.

Mokhtar B
| 14-10-2019 18:26
Que de contre-vérités !
- loi électorale modifiée par Chahed : faux par les islamistes
- Karoui emprisonné par Chahed : faux par les islamistes (c'est l'épisode de sa libération qui l'a bien montré)
- BCE refuse de signer la loi : faux il était malade et son fils aidé de Karoui a tout fait pour qu'il ne la signe pas y compris la macabre mise en scène de son père mourant assis à un bureau.
- Karoui déstabilisé par son incarcération : faux, au contraire on parlait de Karoui en prison sans jamais aborder son programme (mince) et surtout il évitait des interviews non complaisantes qui l'auraient tout de suite démasqué et montré son incompétence, c'est ce qui s'est passé lors du débat.
- les candidats n'ont été interrogés que sur leurs prérogatives officielles, donc c'est normal qu'ils n'aient pas parlé de chomage, tourisme etc...
- débat = degré zero de démocratie : faux le débat était tout à fait civilisé, sans langue de bois avec des questions gênantes posées aux 2 candidats, je trouve même meilleurs qu'un débat électoral français.
- débat minuté : c'est la règle partout y compris en France
- Les islamistes bourrant les urnes? faux la preuve le sondage sortie des urnes est proche du décompte final
- les islamistes prenant en charge le transport des électeurs : vrai mais pas pour cette élection où KS était déjà largement gagnant. Par contre Karoui a distribué beaucoup d'argent, l'un se ses hommes a d'ailleurs été caillassé.
On se demande ce qui guide l'auteur, tant son parti pris est évident pour d'une part prendre soutenir Karoui (là on sait ce qui le stimule) que pour dénigrer le processus électoral dans son ensemble, là c'est de la jalousie d'algérien qui ne peut rêver du centième de cette démocratie chez lui.
Monsieur, nous sommes flattés que vous vous intéressiez à nous, mais de gràce cessez d'écrire de telle niaiseries.

NBA
| 14-10-2019 17:10
Excellent article d'une grande plume. Bravo.
Tout en étant profondément désolé pour les commentaires minables et désobligeants de certains lecteurs. Voyez-vous le bon sens est loin d'être la chose la mieux partagée du monde!