alexametrics
vendredi 07 février 2025
Heure de Tunis : 09:03
Tribunes
Tunisie, 14-Janvier : la révolution continue ?
14/01/2025 | 11:11
6 min
Tunisie, 14-Janvier : la révolution continue ?

 

Par Ghazi Ben Ahmed*


Il y a quatorze ans, la Tunisie illuminait le monde en renversant 23 ans de dictature sous Ben Ali. Le 14 janvier 2011 devait être le point de départ d’une renaissance : l’avènement d’une démocratie réelle et la promesse d’un avenir meilleur pour tous les Tunisiens. Ce jour, gravé dans la mémoire collective, portait un message universel de liberté, de dignité et de justice sociale.

Aujourd’hui, cet espoir semble presque irréel, effacé par une réalité sombre et désillusionnée. Le rêve démocratique a été étouffé, d’abord par une gestion chaotique des institutions issues de la révolution, puis par une concentration de pouvoir inédite depuis le 25 juillet 2021. Ce qui se voulait être une « correction du processus révolutionnaire » a rapidement révélé un retour à l’autoritarisme, aggravant une crise multidimensionnelle - politique, économique et sociale - qui fait vaciller dangereusement la Tunisie.

 

Ce naufrage tunisien ne se déroule pas en vase clos. Il s’inscrit dans un monde en pleine turbulence, où les fragilités des pays du Sud sont exacerbées. Les États-Unis se préparent à un retour de Donald Trump, promettant des politiques unilatérales qui marginalisent davantage les nations fragiles. En Europe, la montée des partis d’extrême droite remet en cause les idéaux mêmes qui avaient inspiré des révolutions comme celle de 2011 : droits humains, solidarité internationale, et liberté individuelle. Pendant ce temps, l’agression russe en Ukraine a redéfini les priorités géopolitiques. Les affrontements entre blocs -États-Unis/Union européenne et Russie/Chine- rappellent les logiques de confrontation de la Guerre froide. Dans ce contexte polarisé, les pays du Sud, dont la Tunisie, se retrouvent relégués à des rôles périphériques, souvent simples terrains de bataille pour des rivalités d’influence étrangères.

La Tunisie, déjà engluée dans une crise économique aiguë, risque de devenir un état défaillant. Réduite à un marché touristique de bas de gamme, simple destination occasionnelle pour des smicards européens, le pays glisse inexorablement vers une marginalisation inquiétante, bien loin du rayonnement régional ou international qu’avait laissé espérer, un temps, la révolution. La révolution tunisienne de 2011 portait pourtant un message universel : liberté, dignité, et justice sociale. Ce message a été non seulement ignoré, mais trahi. La corruption, qui gangrène toutes les strates de l’État, s’est maintenue, voire intensifiée. Les réformes économiques et sociales nécessaires n’ont jamais été entreprises. Le pays sombre entre pénuries et chaos avec pour conséquence un appauvrissement généralisé, un État qui survit de dons et de prêts internationaux qui renforcent sa dépendance, et une planche à billets qui alourdit le fardeau de l’avenir et compromet irrémédiablement celui de nos enfants. Et pour couronner le tout, l’autoritarisme renaissant a étouffé l’élan démocratique et marginalisé les voix dissidentes.

 

Face à cette débâcle, le peuple tunisien endure un quotidien devenu insoutenable : une inflation galopante qui étrangle les familles, un chômage chronique qui écrase l’espoir, et une émigration massive, légale ou clandestine, de sa jeunesse désillusionnée. Poussés par le désespoir, chaque année, des milliers de Tunisiens défient la Méditerranée au péril de leur vie, dans l’espoir d’atteindre les côtes européennes. Pendant ce temps, la Tunisie s’appauvrit davantage, perdant son moteur le plus précieux : sa jeunesse, son capital humain. Ce sont les forces vives du pays qui s’éteignent peu à peu, sacrifiées sur l’autel de l’immobilisme, de l’aveuglement et de l’irresponsabilité.

L’échec de la révolution tunisienne ne peut être imputé à une seule partie. Il reflète une responsabilité partagée. D’un côté, la classe politique tunisienne, qu’elle soit issue des anciens régimes ou de la révolution, a échoué à offrir une vision claire et cohérente. Fragmentée par des divisions idéologiques et paralysée par des luttes intestines, elle a laissé le pays s’enliser dans l’immobilisme. La corruption s’est enracinée, les réformes nécessaires n’ont jamais été entreprises et l’appauvrissement s’est généralisé, frappant durement les citoyens. D’un autre côté, les Européens ont joué un rôle ambigu. Au lieu de soutenir activement la transition démocratique, ils ont privilégié une politique transactionnelle, soutenant un régime autoritaire pour freiner les flux migratoires et neutraliser l’influence des islamistes. Ce double langage européen qui dénonce d’un côté l’influence des milliardaires comme Elon Musk ou des régimes étrangers sur leurs propres démocraties, tout en soutenant des dictatures en Afrique du Nord, entache leur crédibilité. Une telle incohérence risque également de se retourner contre eux comme un boomerang. En privilégiant des politiques à court terme et en soutenant un régime autoritaire, les Européens pourraient être confrontés aux conséquences de leur stratégie : des instabilités accrues à leurs frontières, des migrations encore plus incontrôlées et une perte durable de confiance de leurs voisins du Sud.

Le 14-Janvier ne peut être réduit à une simple date symbolique : il incarne le rappel que la survie d’un pays repose sur sa capacité à se réinventer. La Tunisie doit choisir entre une marginalisation irréversible et une affirmation comme acteur souverain porteur d’espoir. Pour 2025, deux priorités symboliques s’imposent avec force et clarté.

Dans un pays à vocation touristique, le gouvernement tunisien doit mettre fin à l’humiliation que représente la débâcle de Tunisair et instaurer l’Open Sky. Autrefois un fleuron national, la compagnie aérienne est aujourd’hui le symbole d’une gouvernance défaillante et d’un immobilisme destructeur. Il faut s’atteler au sauvetage de cette compagnie, avant qu’elle ne soit blacklistée par l’UE, en ouvrant son capital à des investisseurs étrangers capables de la redresser. Ces derniers apporteraient des fonds indispensables tout en introduisant des réformes structurelles pour en assurer la viabilité. Le choix est simple, mais la peur de réformes courageuses paralyse ceux qui en ont la responsabilité.

 

Ensuite, la libération des prisonniers d’opinion comme Sonia Dahmani, Saadia Mosbah, Sherifa Riahi est une urgence morale et politique. Incarcérées de manière arbitraire pour avoir dénoncé le sort tragique des migrants subsahariens en Tunisie, leur détention illustre l’usage abusif de la répression pour faire taire les voix dissidentes. Le traitement injuste des prisonniers d’opinion, de mœurs et politiques sans les juger ne fait qu’alimenter la rancœur populaire et ternir davantage l’image d’un État en perte de crédibilité.

Le 14 janvier 2025 doit marquer une prise de conscience collective et un retour aux fondamentaux bourguibiens qui ont fait la fierté de notre pays depuis l’indépendance tant sur la souveraineté que sur l’émancipation des femmes. La révolution ne peut survivre dans les slogans, mais dans les actes. Comme l’écrivait Aimé Césaire : « Il y a dans tout homme une réserve de pouvoir inépuisable à condition de ne pas désespérer de l’homme. » La Tunisie ne doit pas désespérer de ses citoyens. Si la révolution doit continuer, ce sera par eux, avec eux, et pour eux.

 

*Fondateur de l’Initiative Méditerranéenne pour le Développement (MDI)

 

14/01/2025 | 11:11
6 min
Suivez-nous
Commentaires
le financier
ghazi tout est correct sauf tunisair et open sky
a posté le 14-01-2025 à 17:36
vous avez ecris : " Dans un pays à vocation touristique, le gouvernement tunisien doit mettre fin à l'humiliation que représente la débâcle de Tunisair et instaurer l'Open Sky. Autrefois un fleuron national, la compagnie aérienne est aujourd'hui le symbole d'une gouvernance défaillante et d'un immobilisme destructeur. Il faut s'atteler au sauvetage de cette compagnie, avant qu'elle ne soit blacklistée par l'UE, en ouvrant son capital à des investisseurs étrangers capables de la redresser. Ces derniers apporteraient des fonds indispensables tout en introduisant des réformes structurelles pour en assurer la viabilité. Le choix est simple, mais la peur de réformes courageuses paralyse ceux qui en ont la responsabilité. "

je crois que vous ne comprenez pas la finance ou l economie , aucun investisseur priv2 ne sera le partenaire d un etat meme si cet etat a un 1% du capital et des jetons de votes ou de blocage .
Le capitalisme n est pas ton truc Ghazi
A4
D'une dictature à une autre !!!
a posté le 14-01-2025 à 15:24
Militaire, policière ou religieuse, après tout c'est "ce que veut le peuple" !!!

LES CANARDS
Ecrit par A4 - Tunis, le 30 Septembre 2013

Quand soudain tourne le vent
Les canards sauvages s'envolent
Volent en vé le chef devant
En priant le dieu Eole
D'être avec les survivants
Après cette course folle
Contre marée, contre vent
Contre mer et ses atolls
Ils ne peuvent même en bavant
L'?il rivé sur la boussole
Que traîner le fainéant
Dont les ailes sont un peu molles
Qui plane péniblement
En pitoyable guignol

Quand soudain c'est la tempête
Nuages bas, sans lumière
Sans vol plané des mouettes
Où tous les chants doivent se taire
Quand se cachent même les roussettes
En remontant l'estuaire
Tous les vers et anguillettes
Filent à l'intérieur des terres
Quand cette foule inquiète
Fuit le déluge, sa galère
Elle se bloque à la goulette
Face aux gros maquereaux qui errent
Ne pensant qu'à faire la fête
Dans le lit de la rivière

Quand sonne l'heure du voyage
Et qu'il faut tout emporter
Faire très vite tous ses bagages
Prendre ses antiquités
Préparer un attelage
De quatre bêtes bien montées
Avec rênes et cordages
Pour grande vélocité
N'oubliez pas cet adage
Qui dit en toute clarté:
"On a beau crier de rage
Frapper fort et fouetter
C'est la bête sans courage
Qui impose ses ratés !"

Quand soudain sans crier gare
Nous vint la "révolution"
On s'est dit en vieux ringard
Elle est là la solution
Oubliant que c'est un art
Qui demande formation
Et que jamais les ignares
Ne pratiquent l'évolution
Regardons dans le miroir
Perdons vite nos illusions
Ce n'est pas avec ces tares
Qu'on franchit le Rubicon
En pataugeant dans le noir
A la vitesse des plus cons !!!
Léon
Mes chers compatriotes, Bon Anniversaire
a posté le 14-01-2025 à 14:30
En ce 14 janvier 2025, quatrorzième anniversaire de la révolution du grand peuple de Tunisie, je tiens absolument à vous présenter mes meilleurs voeux et mes plates excuses quant aux insultes que j'avais proférées jadis, pensant que votre révolution allait mettre la Tunisie dans une détresse économique, sociale, et même démocratique. Quelle erreur! Dieu merci, je m'étais trompé.
La Tunisie, cette Grande Démocratie, scintille de mille feux, et le temps de Ben Ali est enfin oublié sans regret. Les tunisiens ont aujourd'hui du mal à contenir les vagues d'immigrations qui frappent à notre porte: Français, russes, ukrainiens, allemands.., comment contenir tout ce monde qui vient gouter à la réussite de notre pays et à la vraie démocratie?
Les marocains qui enviaient notre réussite du temps de Bourguiba et de Ben Ali, et qui faisaient tout pour nous copier, sont définitivement distancés. Ils ne nous ressembleront plus jamais. Même chose pour nos voisins algériens qui venaient "respirer" le bonheur tunisien. Je crois même qu'aujourd'hui, ils éliront définitivement domicile chez nous, tellement il y fait bon vivre.
Le projet révolutionnaire, si combattu par les sionistes de ce bas monde a fait des petits-enfants, et Dieu merci, après un peu moins de quatorze années, les syriens sont arrivés à leurs fins, et gouteront peut être un jour aux délices de la révolution, comme chez nous.
Ahhh ce que leurs voisins hébreux étaient mécontents! Ahhh ce que les médias occidentaux, ces méchants qui avaient qualifiés les libérateurs de la Syrie d'égorgeurs (mais modérés), sont absurdes. C'est de la jalousie! Ils jalousent notre réussite à tous!
Enfin, l'intelligence des peuples arabes, et à leur tête les tunisiens, a fini par battre les sionistes et les ennemis du monde arabe. Nos révolutions bénites ont abouti et nos démocraties sont durablement installées.
Ahhh comme je regrette de vous avoir traité de gueux-à-diplômes et de footeux depuis 2011, vous les stratèges, vous les illuminés de la géopolitique, vous les visionnaires.
Recevez encore mes plus plates excuses, j'avais "tout faux" et vous aviez "tout juste". Et encore une fois, je vous souhaite un bon anniversaire!
J'espère que vous allez sortir en masse pour fêter le 14 janvier qui a fait de la Tunisie le pays rayonnant, serein, calme, prospère et démocratique, un pays où il fait bon vivre. Cet événement mérite une très grande fête!

Léon, Min Joundi Tounis Al Awfiya,
Résistant,

VERSET 112 de la SOURATE des ABEILLES.
Mohamed Ben mohamed
Dédoublement de qualification:
a posté le à 17:57
Comment un gouvernement en place peut-il fêter la révolution en faisant, de ce fait, l'apologie, et ce au risque d'encourager ses citoyens à ce mode de transfert, dit non- pacifique, du pouvoir censé, dit-on, se réaliser par le verdict des urnes?
Un tel appel à la révolution n'est-il pas assimilé, par les temps qui courent, à une entente contre la sureté de l'Etat et à une tentative de changement, par la force, du régime de l'Etat.
Aussi les faits, considérés, en 2011, comme des actes légitimant le renversement du régime, peuvent -ils être considérés, aujourd'hui, comme des actes subversifs donnant lieu à des poursuites.
Il y aurait là un dédoublement de qualification qui appelle à réfléchir sauf si on persiste à considérer que la loi du plus fort est toujours la meilleure.
Léon
Ironie
a posté le à 23:20
J'espère que vous avez saisi le côté ironique de mon post
Gg
Oui oui, Leon
a posté le à 16:08
Mais je crains que beaucoup de lecteurs ne l'aient pas compris, dans ce sujet comme dans cet autre où vous avez placé le même texte.
De facon générale, il semble que le second degré ne passe pas sur les forum et les réseaux.