La lecture du projet de loi n°2020/30 présenté à la Chambre des députés par le chef du gouvernement en vue d’obtenir la possibilité de légiférer par le biais de décrets-lois pourrait laisser penser à un projet de loi présenté dans le cadre tracé par l’article 70 alinéa 2 de la Constitution tunisienne de 2014. En droit, cet article s’appelle « acte d’habilitation ». Pour sa mise en œuvre un autre acte est nécessaire : la loi de délégation ; celle qui sera soumise au vote parlementaire.
Une lecture plus attentive dudit projet de loi révèle par contre une procédure peu adéquate avec les textes constitutionnels ainsi qu’avec les objectifs poursuivis, du moins annoncés. En effet, et sans qu’il y ait besoin de rentrer dans les débats doctrinaux - assez complexes – , il est communément convenu que la délégation est le procédé par lequel une autorité constitutionnelle ou administrative charge une autre autorité constitutionnelle ou administrative d’agir à sa place dans un domaine déterminé, pour une période déterminée et ce conformément à un texte constitutionnel ou législatif en vigueur (l’acte d’habilitation). Eu égard à cette définition simple, la délégation est plutôt un acte volontaire issu de l’initiative de la partie délégatrice. Selon les termes de l’article 70, elle ne pourrait faire l’objet d’une demande par le chef du gouvernement. Et ce contrairement à l’article 38 de la Constitution française qui indique clairement que le gouvernement « peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ».
Quoi qu’énonce le principe, l’article 70 de la Constitution reste muet quant aux moyens de contrôle de la mise en œuvre du procédé de délégation. Aucun mécanisme n’est envisagé. Ce silence ouvre-t-il les grandes portes à l’arbitraire, notamment en l’absence d’une juridiction constitutionnelle ? Même si on pousse l’analyse vers une éventuelle extension de la compétence de l’actuelle Instance provisoire de Contrôle de la Constitutionnalité des Projets de Loi, deux problèmes au moins surgissent ; d’une part l’aménagement des compétences d’une institution créée par une loi organique (à savoir la loi organique n°2014/14 du 18 avril 2014 portant création de l’IPCCPL) ne peut se faire que par une autre loi organique. La loi de délégation indiquée par l’article 70 ne l’est pas clairement. D’autre part , en leur qualité d’actes administratifs unilatéraux émanant du Pouvoir exécutif , les décrets-lois ne peuvent point faire l’objet d’une attaque pour inconstitutionnalité . Le recours pour illégalité devant les juridictions administrative est la voie plausible. Toutefois rien n’empêche qu’un avis préalable obligatoire (peut être conforme) du Tribunal Administratif soit stipulé. Le mécanisme est déjà institué par l’article 4 de la loi organique n°40/72 du 1er juin 1972.
Outre les questions de forme , le contenu même du projet de loi présenté par le Président du Gouvernement est assez curieux . En effet , l’exposé des motifs annexé audit projet invoque les risques encourus par la propagation exceptionnellement rapide du coronavirus ainsi que les dangers qu’elle présente pour la santé générale . Dans une telle conjoncture, la synchronisation des efforts des différents acteurs publics deviendrait d’une nécessité majeure . C’est génial ! Seulement les matières faisant l’objet de la délégation demandée cadrent mal avec les motifs exposés. Sont notamment proposés les domaines de la création de catégories d’établissements publics et d’entreprises publiques, des obligations civiles et commerciales, de l’amnistie générale, de la détermination des crimes et délits et aux peines qui leur sont applicables, ainsi qu’aux contraventions sanctionnées par une peine privative de liberté et des garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires… Il s’agit bien d’un arsenal de procédures susceptibles de changer, sinon bouleverser irréversiblement, l’organisme institutionnel du pays. Nombreux sont ceux qui se seraient sentis en présence d’un tout nouveau projet de gouvernement plutôt que d’une délégation limitée par son objet et par sa durée. L’amateurisme jalonnant l’exercice du pouvoir politique en Tunisie ainsi que la crise de confiance qui ne cesse de marquer les relations entre le Pouvoir législatif et les deux têtes du Pouvoir exécutif ne peut qu’alimenter les réserves, voire même les doutes quant à la réalité des objectifs du projet de loi présenté par le chef du gouvernement.
*Chokri Azzouz, Avocat spécialiste en droit public
Pour le contenu, pas de commentaires, je suis hermétique aux argumentations juridiques.
Alors les 3/5 c'est 130 élus ou 131?
Or le gouvernement FAKH² a obtenu le vote de confiance par combien ?
Un autre mérite est qu'elle est très clairement argumentée.
Son titre s'adosse à ce constat fondamental de l'auteur : "(...) les matières faisant l'objet de la délégation demandée [pour légiférer par décrets-lois] cadrent mal avec les motifs exposés [par le Gouvernement demandeur]."
La critique est épaisse. Et explique la polémique en cours __dans laquelle le Chef du Gouvernement semble vouloir s'engager de tout son poids ce soir, à la faveur d'une interview dont je pense qu'il l'a davantage sollicitée qu'elle ne le lui a été par les deux chaînes qui la diffuseront ("Al Wataniya Al-Oula" et "El Hiwar Ettounsi") après le téléjournal de vingt heures.
On ne sait que comprendre, en effet, de cette inadéquation, alors que le projet de loi de délégation est censé avoir été conçu par tout un staff de juristes relevant du Conseiller juridique et de législation du convenablement :
__qu'ils n'ont pas su convenablement le motiver ?
__Ou qu'ils ont délibérément adossé à ces motifs plus que ce qu'ils devraient normalement justifier en termes de champ d'intervention matériel de ces pouvoirs "exceptionnels" ?
Car légiférer par décret-loi est un régime d'exception. Et, comme disent les juristes, les exceptions s'interprêtent restrictivement.
Dans un commentaire sous un article de BN du 31-03-2020 intitulé "la Commission du règlement intérieur réduit la période d'activation de l'article 70" (*), j'avais déjà eu à souligner l'importance de l'examen, en revanche, du champ d'intervention pour lequel la délégation de légifération par décrets-lois est demandée. Notamment de vérifier si ses matières ne sont pas déjà convenablement couvertes par la législation en vigueur (auquel cas il n'y a qu'à en activer les dispositions) et, le cas échéant, de s'assurer de l'effectivité et de la mesure du rapport des réaménagements que le Gouvernement voudrait introduire sur les dispositifs en vigueur avec la crise du coronavirus. Le tout devant, bien entendu, être chapeauté par l'urgence extrême __sans laquelle le mécanisme habituel de vote des lois reprend ses droits.
Beaucoup semblent s'offusquer aujourd'hui de ce genre de prise de position, y voyant au moins un luxe formaliste à l'heure du danger et de l'urgence, et au pire une attitude de défiance inappropriée, voire honteuse, à l'égard du Gouvernement.
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Bien sûr, il y a ceux qui le voient ainsi le plus sincèrement du monde. Et on comprend que, paniqués, ils soient prêts à tout croire, à s'accrocher à tout et à devoir leur vie à quiconque se présenterait en sauveteur tombé du ciel.
Mais il y a aussi ceux qui, tout en criant aussi bien au scandale de ce "manque de confiance en le Gouvernement" à l'heure de la solidarité, ne sont ni ignorants ni naïfs. Ceux-là savent, tout en faisant opportunément mine d'oublier, que tout l'édifice de la séparation et de l'équilibre des Pouvoirs est fondé sur la double défiance des peuples à l'égard de leurs gouvernants, et des Pouvoirs entre eux.
Ils savent parfaitement que tenir au jeu correct des institutions de la République, même __et peut-être surtout__ en temps de crise, n'est pas une trahison ou un autisme dangereux mais une condition de survie de la République. Une République qui a posé des règles du jeu qu'il faut simplement respecter.
Tout à fait comme on demande ces jours-ci, à longueur du jour et de la nuit, par porte-voix et par robot-baladeur, au simple citoyen de "respecter la loi" (sic) et de rester chez lui.
Si l'on croit vraiment que "la loi(**) est au-dessus de tous", évidemment. Car autrement, rien des slogans hurlés tout au long de ces dernières années n'aurait eu un sens.
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*) https://www.businessnews.com.tn/la-commission-du-reglement-interieur-reduit-la-periode-dactivation-de-larticle-70,520,96909,3
(**) Au sens général.
Nous ne sommes pas (ou plus) sous domination française pour que notre "Assemblée des Représentants du Peuple" (ARP) renie sa dénomination au profit de celle de "l'Assemblée Nationale" ou du "Palais Bourbon" ou de "la Chambre des Députés" de notre voisin de la Rive Nord !
"Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. . .
"projet de loi présenté par le Président du Gouvernement est assez curieux"
Et le plus "curieux" dans cette formulation, c'est que le titre de "Président du Gouvernement" n'existe ni dans la loi ni dans les faits. . . contrairement au "Chef du Gouvernement" qui, lui, existe bel et bien !
. . . er les mots pour le dire arrivent aisément."
D'autre part, si "La loi de délégation indiquée par l'article 70 ne l'est pas clairement.". . .alors il faudrait amender la Constitution, si besoin est !
Or, ce "besoin-là" ne l'est point en l'occurrence. . . puisque cet Article 70 ne mentionne aucunement cette pseudo "loi de délégation" inventée par notre juriste qui, quoique n'étant pas "constitutionnaliste" nous cite abusivement la "Constitution française" !
A moins de dénommer "Loi de délégation" ce que mentionne l'essentiel de l'Article 70 !
Sauf que l'Article 70(*) est assez clair dans sa rédaction et assez contraignant dans sa toujours possible utilisation, entourant d'un assez solide garde-fou ET son usage ET son interprétation !
L'ère des "puputschs" et autres coups fourrés, est bien révolue, les Tunisiens sont encore plus adultes qu'on ne croit !
Maxula.
(*) Page 13 :
http://www.legislation.tn/sites/default/files/news/constitution-b-a-t.pdf
Peut être comprend on mieux le silence assourdissant des ghannouchi et consort, il s'agirait en fait de passer la démocratie à la ***