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Nous sommes tous Maya, Myriam, Lotfi et Mohamed !
16/10/2019 | 20:59
7 min
Nous sommes tous Maya, Myriam, Lotfi et Mohamed !

 

La Tunisie vit depuis des mois au rythme effréné des campagnes électorales. Le décès de Béji Caïd Essebsi a précipité les échéances, prenant de court tous les concernés. Aujourd’hui terminées, les élections ont reconduit Ennahdha, mais aussi ses acolytes à l’ARP et ont sacré Kaïs Saïed à la présidentielle. Le nouveau président est une figure « antisystème » qui suscite de nombreuses interrogations. L’aura qui l’entoure est à l’image de ses plus fervents sympathisants, plutôt inquiétante et n’augurant rien de vraiment très bon pour l’avenir de la liberté de la presse en particulier…

 

Le ton était donné il y a déjà quelques semaines. Pour avoir osé "s’attaquer" aux jeunes militants pro-Saïed, la chaîne Elhiwar a perdu plus d’un million de followers sur Facebook. Les soldats numériques du nouveau président élu, qui dit, lui, ne rien connaitre aux nouvelles technologies, ont mobilisé des centaines de milliers d’internautes et lancé l’assaut contre la chaîne et contre la chroniqueuse Maya Ksouri principalement.

 

Le 13 octobre, alors que les sympathisants de Kaïs Saïed fêtaient sa victoire à l’avenue Habib Bourguiba, les journalistes étaient sur le pied de guerre et mobilisés depuis des heures, pour assurer leur mission. Pour ces élections, ils ont dû porter deux casquettes, celles d’observateurs veillant au bon déroulement des élections, et celle de journalistes assurant aux citoyens une information fiable et vérifiée.

Et pourtant, des sympathisants de Kaïs Saïed, n’ont pas hésité à agresser physiquement deux journalistes de la chaîne El Hiwar Ettounsi, Saida Trabelsi, Assila Belgith et leur collègue Amir Maâmouri alors qu’ils assuraient la couverture des festivités organisées à l’avenue Habib Bourguiba de Tunis suite à la victoire de Saïed au second tour de la présidentielle. Plusieurs slogans avaient ont été scandés à l’encontre des journalistes et du caméraman qu’on a empêchés de couvrir l'événement.

 

La marmite était en ébullition depuis des jours et l’hostilité envers les journalistes devenait de plus en plus palpable sur les réseaux sociaux. Myriam Belkadhi, Maya Ksouri, Lotfi Laamari et Mohamed Boughalleb ont commencé par être les cibles de commentaires odieux, depuis quelque temps avant de faire l’objet d’une campagne de lynchage sur les réseaux sociaux.

 

Les partisans des islamistes et de Kaïs Saïed, se sont lâchés sur les réseaux, déversant leur haine sans même la voiler. Un âne enveloppé d'un linceul sur lequel on a écrit en rouge le nom de Boughalleb, des photos où on a ajouté des effets monstrueux sur les visages de Myriam Belkadhi ou de Maya Ksouri aux accusations, diffamations et autres armes 2.0, rien n’a été épargné aux journalistes d’Elhiwar, mais pas que.

 

Ayant été parmi les premiers à se poser des questions sur le candidat Saïed, puis à lui poser les questions qui fâchent, de nombreux journalistes et médias progressistes, plutôt opposés à Kaïs Saïed et foncièrement anti-islamistes ont été la cible de menaces et de lynchages. D’abord nommés par les islamistes « médias de la honte » à l’aube de la révolution de 2011, ils sont aujourd’hui assimilés à la mafia médiatique et à la corruption. Soit.

Ce ne sont pas des menaces qui vont faire fléchir les journalistes et surtout pas celle des islamistes. Depuis 2011 justement et bien avant aussi, les journalistes ont été pris pour cible car ils sont l’ennemi à abattre quand on veut instaurer une dictature ou encore ancrer l’obscurantisme. Ce qui se passe aujourd’hui en dit long sur les intentions de certains et laisse présager un avenir des plus sombres pour la démocratie.

 

Un juge a été même jusqu’à publier un statut appelant « à la fermeture de la chaîne El Hiwar Ettounsi, et au jugement de ses responsables à la suite de l’exécution de plans criminels et de complots avérés afin de protéger la liberté des médias ». « Sinon, le prix sera cher payé » ajoute le magistrat.

Hammadi Rahmani de son nom, a indiqué dans son post que la chaîne englobe dans son discours et sa ligne éditoriale « la pire des violences verbales », et « favorise un climat propice à la tension sociale et à la violence politique, pouvant aboutir, éventuellement, à des crimes ».

« Ceux qui dénoncent la violence n’ont aucun prétexte pour ignorer des journalistes qui représentent la violence incarnée, le crime incarné et la haine incarnée, orientés pas seulement contre une personne ou une classe bien déterminée, mais d’une manière abusive, gratuite, criminelle, préméditée et étudiée vers des millions de Tunisiens […]. Pourquoi s’attachent-ils au discours de la discorde et pourquoi sommes-nous gênés à le condamner et l’éradiquer complètement avant qu’il ne barre la route à notre liberté, notre démocratie et notre paix sociale et politique », souligne le juge.

 

Maya Ksouri a estimé qu’il ne faut pas s’étonner des propos de Hammadi Rahmani si le chef du gouvernement, lui-même, a déjà donné le ton en déclarant ouvertement, suite à la victoire de Kaïs Saïed, que les Tunisiens ont voté en masse contre la corruption et ses bras politiques et médiatiques.

« Des propos incitant à la mobilisation contre les journalistes qui expriment un avis contraire au sien. On n’a plus à s’étonner, alors, des propos du juge [Hammadi Rahmani]. Mes premières réserves contre Kaïs Saïed étaient motivées, principalement, par le discours fasciste de son entourage qui veut un retour à l’ère Ben Ali où il n’y avait aucune liberté d’expression. Toutefois, on aimerait bien connaître la position des magistrats face à cette affaire, surtout quand on a vu leur réaction, lorsqu’ils réclamaient l’indépendance de la justice », a ajouté Maya Ksouri.

 

Le président du syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Néji Bghouri, a exprimé des inquiétudes quant à un potentiel retour vers des pratiques qui ont pour objectif de bâillonner la presse.

« 1800 journalistes ont couvert les récentes campagnes électorales et nous n’avons observé aucune violation du code électoral ni de l’éthique. Une quantité de travail colossale devant laquelle les journalistes n’ont pas plié et ont fait leur métier sans diffamation, sans incitations et sans manipulation. Un élan de fierté a porté le pays tout entier des mois durant, depuis la passation du pouvoir suite au décès de Béji Caïd Essebsi aux élections législatives et présidentielle. Puis soudain, nous avons commencé à entendre des discours inquiétants. Cette ambiance me rappelle tristement 2012-2013. Un média n’a pas à être neutre, il est normal d’avoir des positions mais toujours dans l’objectivité et sans tomber dans le dénigrement de la partie adverse. Si la loi a été violée, il y’a des instances qui sont là pour ça mais en aucun cas la violence n’est justifiée pour attaquer ceux avec lesquels nous divergeons sur les opinions » a-t-il précisé lors de son passage aujourd’hui sur le plateau de Mosaïque FM.

 

Le membre du Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT), Zied Dabbar l’avait aussi clairement exprimé, soulignant au passage que les journalistes ne plieront pas, que ces agissements ne réussiront pas à domestiquer la presse.

 

Le syndicat général de l’information, relevant de l’UGTT, a également condamné « la campagne scandaleuse et immorale menée contre des journalistes et la violence commise à leur encontre dans la rue ainsi que l'utilisation d'espaces virtuels pour répandre la haine contre les médias, des journalistes et des syndicats ». Le syndicat a appelé le ministère public a ouvrir une enquête sur les agressions subies par les journalistes puis toutes les structures professionnelles, les organisations de défense des droits de l'homme et la société civile à agir en organisant une action nationale contre les tentatives d’assujettissement des médias.

 

Le sujet est plus que jamais d’actualité. Les tensions entre le pouvoir qui se met en place, celui qui sort, et les médias nationaux ne font que s’accentuer tous les jours, alimentées par des campagnes viles menées à l’encontre des journalistes. De nombreuses personnes se sont d’ailleurs mobilisées, non pour que la chaîne Elhiwar ferme ses portes comme le font les islamistes, mais pour apporter leur soutien à ceux qui aujourd’hui risquent leur vie pour que soient écoutées leurs opinions et pour éclairer leurs choix. Comme un dernier rempart contre l’obscurantisme, il existe des soldats armés de crayons et de micros qui continuent de se dresser contre la haine, la violence et l’ignorance et qui refuseront de plier sous la menace. Des Myriam, des Maya et des Boughalleb, ils le sont tous, pour le meilleur et contre le pire…

 

 

Myriam Ben Zineb

16/10/2019 | 20:59
7 min
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Commentaires (19)

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Marwan
| 21-10-2019 20:05
Ces journalistes dénigrés par les islamophobes conservateurs ont tout mon soutien car je partage très souvent leurs positions.

Les islamiso conservateurs devraient mettre autant d'énergie pour faire fermer la radio Al Qoran Al Karim qui émet sans autorisation.

Deux poids deux mesures, ils linchent ceux qui ne partage pas leur avis (qui respectent la loi) mais ils se taisent face à une radio pirate hors la loi qui partage leur fascisme...

cesarios
| 17-10-2019 18:49
Notre chére TUNISIE doit étre fiere d'avoir des chroniqueurs comme les cinq mousquetaires d'elhiwar tounsi, des journalistes qui excellent dans l'investigation jour et nuit et le dimanche, qui sont à jour de ce qui passe au monde, qui respectent leurs opinions qui se divergent , qui laissent et conseillent leurs auditeurs réfléchir et se documenter d'autres ressources d'information et de lectures, eux tous seuls représentent une école de formation politique, les meilleures chaines arabes ou européennes éspérent un jour les recruter et les récupérer, je ne peux que leur souhaiter plus de réussites. Bon travail - mes encouragements

Jugurtha
| 17-10-2019 16:56
Ils sont la voix du sens critique, de la recherche de la verite, et du courage sur le chemin ardu du modernisme! Nous les aimons et nous les soutenons car ils/elles nour relevent vers le haut! A l'oppose des forces retrogrades qui depuis des siecles nous plombent les ailes. (Juste un petit post-scriptum destine a Mr. Mohamed Boughalleb: j'apprecie votre franc-parler et votre droiture journalistique. Mais je vous prie de mettre un peu les freins sur la question identitaire car nous ne sommes pas des Arabes (moysta3raboun selon le grand maitre Ibn Khaldoun). Vous nous embetez des fois a ressasser notre "arabite" a tour de bras! Diversifiez vos referentiels et adoptez un ethos et une profondeur de vue Tunisiens et Nord Africains. Il est grand temps! Merci pour ce que vous faites!

TIBO
| 17-10-2019 14:54
Encore bien long le chemin vers la démocratie, la liberté d'opinion et l'écoute de l'autre.
Les "stars" des plateaux TV et des claviers pourraient être des exemples de bonne éducation, de fair-play, de respect, de propreté, d'honnêteté et de rigueur.

DIDON
| 17-10-2019 13:58
Bon courage voilà une nouvelle ère qui s ouvre à nous. En plus de l islamisme et du radicalisme, la liberté est aujourd'hui remise en question. YC son gvt et BCE c était le bon vieux temps. Terminus vous allez voir ce qui nous attend.

Abdelkader
| 17-10-2019 12:46
Même si la zapette peut nous éviter les beuglements quotidiens de certains chroniqueurs , il n'en demeure pas moins que l'irruption des médias chez les téléspectateurs , doit être soumise à interrogation , sans que l'on rue dans les brancards au nom de la liberté d'expression et le " allez voir ailleurs ", si vous n'êtes pas contents !
La liberté de la presse est un acquis précieux que nous devons soutenir , mais de grâce , faites le ménage en vous désolidarisant des rabatteurs .

zizou
| 17-10-2019 10:53
la solidarité des imbéciles heureux , personne ne peut menacer le Grand peuple Tunisien , circulez rien à voir .

AH
| 17-10-2019 09:56
Le déni de justice vis à vis de Nabil Karoui confirmée par la cour de cassation, les dépassements enregistrées lors des élections, les discours démagogiques et violents revenant au devant de la scène depuis un mois, les menaces directes et indirectes au journalistes et chroniqueurs sont des signes alarmants d'avortement de la démocratie et d'un retour à la dictature.

Les Tunisiens démonteront encore une fois que ceci est une ligne rouge dont le dépassement se retournera contre les auteurs de ces pratiques anti-démocratiques.



URMAX
| 17-10-2019 08:53
J'avoue ne pas bien vous comprendre ...
Dans vos commentaires - je parles d'une façon générale - vous dites tous vouloir agir pour le bien de notre patrie, ce dont je ne doutes guère, mais dans ces lignes vous n'arrêtez pas de vous faire la guerre et j'en passe ...
...
N'est-ce pas déjà un point positif, que d'avoir "le même objectif commun" ? Le Bien de Notre Nation, la Tunisie, notre mère Patrie ?
...
"Si", s'en est un.
Ce que je suggère, alors - au lieu de perdre inutilement notre temps à se chamailler - c'est d'oeuvrer [à trouver des solutions] concrètes pouvant réellement aider notre pays à relever sa tête ; actuellement bien penaude.
...
Proposons des idées ; trouvons "des solutions" ; transposons-les au "bureau des relations avec le citoyen" de chaque ministère respectif à son domaine d'activité.
...
Ainsi, je pense que "nous serions bien plus utiles que de perdre notre temps à chercher à engueuler "l'autre " de la pire façon possible", ce qui, je pense, n'est guère constructif comme démarche entreprise.
...
* Restructurer et dynamiser l'enseignement de base ;
* Redémarrer notre production textile ce qui dynamisera l'emploi ; Comment ? En commençant par acheter "Tunisien".
(Juste pour info, 70 % de la main d'oeuvre textile est au chômage) Mabrouk, Hamadi Abid, Moncef Barkous, Makni, ... certains articles ne sont "pas mal du tout" ... pourquoi alors aller vers de l'importé ? ... Pour frimer ? Dire que l'on porte du Zara ? Prendre des grenouillères Petit Bateau pour nouveaux-nés qui n'y comprennent encore rien ?
...
La première source de santé d'une économie est l'engagement du citoyen ; du consommateur :
...
L'état NE PEUX PAS interdire fermement telles ou telles importations : Les lois internationales et les divers accords commerciaux conclus, l'en empêche rigoureusement.
...
C'est - essentiellement - au citoyen - consommateur d'agir AVEC CONSCIENCE et RESPONSABILITE en sachant "protéger son industrie intérieure" !
Simple, non ?
Pourtant, aussi simple que cela parraît, telles a

DIEHK
| 17-10-2019 08:47
Juste pour ta gouverne, quand tu postes un com
a l'avenir essaye surtout de ne pas fournir un bâton hallal pour que je flagelle avec.
Et juste pour ton information: Tu es incapable
De différencier des questions et ton dogme rétrograde et tu me donnes l'impression d'1 ancien nakbaouiste qui veut changer de parti mais qui veut aussi garder son obscanturisme.
Si tu maîtrisais juste un peu plus la compréhension du texte de Mariem sans ton manteau nakbaouiste, je suis sûr que tu aurais pu exprimé ton avis différemment!!!
Mais sache qu'on N'est pas obscanturiste sur BN
et nous sommes ouvert aux critiques constructives mais pas passionnelles comme sur le web.
Tu utilises 1 langage nakbaouiste pour te la faire courte, mais au moins sur notre site tu t'amélioreras Chose dont je suis sure!