Les réseaux sociaux : vers un jeu démocratique et une vie sociale biaisés
Par Maledh Marrakchi *
Les réseaux sociaux ne cessent de prendre une place de plus en plus importante dans la vie quotidienne des personnes partout dans le monde. De la consultation épisodique, à l’addiction, les réseaux sociaux poussent les uns et les autres dans des retranchements de la société dans laquelle ils vivent, à travers une fenêtre virtuelle, qui leur donne l'impression d’avoir une vision globale et réelle de ce qui se passe autour d’eux.
La plupart des services rendus par les réseaux sociaux sont gratuits. Cette gratuité apparente devrait nous interpeller à double titre : pourquoi ces plateformes extrêmement complexes et coûteuses sont-elles gratuites ? Comment les sociétés qui développent ces plateformes, font-elles pour être parmi les plus profitables au monde ?
Dans le monde actuel dans lequel on évolue, l’information et la donnée sont devenues, l'un des biens les plus précieux, car générateur, s’il est bien exploité, d’un pouvoir exceptionnel et d'une richesse colossale. Pour recueillir ces informations et ces données tout azimut, sur tout et sur « n’importe quoi », on développe des plateformes ouvertes au grand public, qui offrent un espace d’interaction, à travers lequel, les habitudes, les préférences, les idées, les aspirations et les désirs « les plus intimes » parfois sont scrutés, captés, stockés, de façon insidieuse, et la plupart du temps à l’insu de l’utilisateur. Ces données sont ensuite exploitées pour permettre, d’une part, de disposer d’une vision assez complète et fiable du profil de l’utilisateur, et d’autre part d’alimenter des algorithmes sophistiqués, notamment d’Intelligence Artificielle, pour développer de nouveaux services qui eux sont payants et offerts à ceux qui veulent bien en payer le prix : campagnes de marketing, campagnes électorales, et aussi des campagnes de propagande et de manipulation de l’opinion publique. C’est ce qui s’est passé notamment pour le Brexit en Angleterre, aux élections aux USA, au Brésil, au Kenya, en Ukraine, en Italie et probablement dans beaucoup d’autres pays, dont la Tunisie.
Au-delà de la dimension éthique que soulève ce genre de pratique tant au niveau des fournisseurs de ces plateformes, que de ceux qui s’offrent ce type de services, il est important de souligner l’impact de ces plateformes sur notre quotidien, sur l’idée qu’on se fait de notre environnement, de la société dans laquelle on évolue, sur la base de laquelle, on a tendance à faire nos choix, prendre nos décisions, voire même orienter notre vie dans le quotidien et nos relations avec notre cercle familial, cercle d’amis réels, cercle professionnel. Cette fenêtre virtuelle qui s’offre à nous, à travers nos smartphones, nos écrans d’ordinateurs, est une vision biaisée de notre réalité. Elle est biaisée par le fait que la société dans laquelle on évolue n’est pas forcément représentée dans toute sa finesse et ses contradictions dans le monde virtuel. Elle est biaisée aussi par les algorithmes des plateformes qui choisissent pour vous, ce que vous pouvez voir, ou ce qu’on souhaite que vous voyiez en priorité.
Les réseaux sociaux sont des médias. Ce sont des médias où les rôles s’entremêlent : consommateur et producteur d’information. Ceci permet à tout un chacun de s’exprimer, et donc nécessite de chacun plus de vigilance et de discernement. C’est aussi un espace qui transcende les frontières géographiques et de souveraineté, dépassant les lois et réglementations locales, dont la Tunisie a fait les frais dernièrement durant la campagne électorale. Cet espace a été investi par des personnes, munies de centaines, peut-être même de milliers, de cartes SIM, pour créer des faux profils, et mener une campagne pour ou contre telle ou telle candidature. Ceci peut être fait aussi pour mener des propagandes et cristalliser l’opinion publique sur un sujet ou une idée, en vue d’un objectif, dont les bénéficiaires peuvent être des entités étrangères.
Face à ces évolutions et ces pratiques, les fournisseurs de ces plateformes ont une grande responsabilité, mais les Etats se doivent d’agir pour protéger leurs souverainetés et leurs sociétés.
*Maledh Marrakchi est universitaire, Dr-ingénieur en informatique, consultant, directeur de Law & Business School"