Les politiques sont tous pourris, tous ! C’est connu !
A l’intérieur des partis, les politiques sont à couteaux tirés ces derniers jours à l’occasion de la préparation des listes électorales pour les législatives. Contrairement à 2014, les choses se font plus discrètement cette année. Il semble que le parti islamiste Ennahdha a fait des émules en matière de discrétion. D’après les quelques échos que nous recevons, ici et là, peu de partis échappent à ces guerres intestines. Au fait, à l’exception des petits partis (Achaâb, Watad, Machroû, Al Badil ou Afek par exemple), les partis unipersonnels (Lotfi Mraïhi, Adel Almi ou Fayçal Tebbini) et les grands partis en coma végétatif (Massar, Ettakatol, ou Jomhouri par exemple), tous les autres partis sont en effervescence pour savoir qui placer en tête de liste dans les différentes régions. Les critères pris en considération n’ont rien à voir avec ce que chacun peut donner à la patrie, ses connaissances profondes et sa technicité. Non, absolument rien à voir. Pour être tête de liste et prétendre ensuite à un poste de député à l’ARP, il faut être soit riche ayant une grosse capacité de renflouer les caisses du parti, soit influent ayant une grosse capacité de mobiliser les masses pour remplir les urnes au profit du parti. Au diable vos connaissances, au diable votre savoir, au diable votre savoir-faire, au diable votre bac+13, au diable vos années passées à la prépa, Sciences Po, Polytechnique et les grandes écoles françaises et/ou américaines, tout cela ne pèse rien devant l’outrecuidance de ceux qui ont du fric et ceux qui ont des milliers de noms dans leur répertoire téléphonique. Aux yeux du parti, un Sofiène Toubel pèse 100 fois plus que le meilleur atugéen et un Elloumi pèse 1000 fois plus que tous les atugéens et diplômés de Sciences Po réunis.
A partir de ce fait indéniable, les hommes politiques tunisiens ne peuvent plus crier au scandale et jouer aux Sainte Nitouche quand le public leur dit : « vous êtes tous pourris, vous êtes tous corrompus ! ». Peu importe la sincérité des uns et des autres, peu importe l’engagement patriotique des uns et des autres, les politiques ont perdu toute crédibilité aux yeux de l’opinion publique puisque les dés sont pipés à la base. Qu’ils jouent à l’autruche et au déni, le public sait et il n’a pas tort, car les scandales publiés régulièrement par les médias prouvent qu’il a raison.
Grâce à une presse libre, l’opinion publique a de quoi alimenter son « préjugé » régulièrement avec les scandales. Ce n’est pas valable qu’en Tunisie, c’est le cas partout dans le monde. En France, l’inégalable et excellent hebdomadaire « Canard Enchaîné » s’en est fait une spécialité. On ne compte plus les hommes politiques limogés ou qui ont dû démissionner grâce (ou « à cause ») du palmipède. Il y a à peine un mois, et à peine élu, le tout nouveau chancelier autrichien Sebastian Kurz a été démis de ses fonctions suite à l’Ibizagate révélé par la presse.
En Tunisie, et pour cette semaine, deux scandales ont éclaté, l’un grâce aux médias (Attessia et Business News), celui de Imed Daïmi et l’autre grâce aux réseaux sociaux, celui de Bouali Mbarki. L’un et l’autre mettent à nu un homme politique et un syndicaliste très célèbres qui ont toujours donné des leçons aux autres pour paraitre comme étant des intègres, soucieux du « petit peuple ».
La réalité est bien différente de l’image que voudraient bien donner d’eux ces hommes politiques. Imed Daïmi crie sur tous les toits qu’il est un soldat anti-corruption (il chasse sur le territoire de ses anciens camarades le couple Abbou) et le voilà rattrapé par un malheureux mail prouvant son népotisme ! Pire, il demande un service à l’Etat français alors qu’il était un très haut cadre et est un élu de l’Etat tunisien. Pire encore, lui qui parle tout le temps de patriotisme et de son service pour la Tunisie, voilà qu’on découvre que sa petite famille est de nationalité française ! Sous d’autres cieux, le scandale aurait été suffisant pour qu’il remette sa démission et prenne le premier vol Tunis-Paris. Il faut d’abord avoir le sens du « shaming » (la honte en français, la hechma chez nous).
Au lieu de cela, son entourage et lui-même s’en prennent aux médias qui ont dévoilé l’affaire en usant des pires injures ! Nos confrères Bassel Torjman et Mohamed Boughalleb ont eu droit à du verbiage haut en couleurs, alors que Business News (avec qui il est en procès) a eu droit à du mépris de sa part. Du mépris ou de la crainte des conséquences de tout mot déplacé.
Quant à Bouali Mbarki, l’indécence est encore plus prononcée. Le syndicaliste défenseur des pauvres, celui qui lutte contre la précarité des travailleurs, membre d’une organisation qui étale en permanence son hostilité (voire sa haine) contre les riches et les bien nés ne trouve pas de mal à étaler son opulence à l’occasion du mariage de son fils. Ceci n’a rien d’immoral ou d’abject, dans l’absolu, chacun est libre de disposer comme il entend de son argent, mais quand on porte l’identité de Bouali Mbarki, ça prend une tournure à 180 degrés.
Les médias et les réseaux sociaux ont fait leur travail en faisant exploser ou/et en relayant le scandale devant l’opinion. Ce n’est pas la première fois, ce ne sera pas la dernière. Mais qu’est-il advenu après ? Rien ! Les hommes politiques continuent à faire comme bon leur semble, sans aucun sentiment de honte.
Prenez l’exemple de Moncef Marzouki qui vient de commencer sa campagne électorale sur Al Jazeera. Tout le monde s’en prend à Nabil Karoui d’utiliser sa chaîne Nessma pour faire sa campagne et à Youssef Chahed d’utiliser son poste de chef de gouvernement pour faire la sienne, mais qui s’en prend à l’ancien président qui fait appel à une chaîne étrangère (ayant démontré des centaines de fois son hostilité pour la Tunisie et les Tunisiens) pour assurer sa campagne ? Quelle suite a été donnée aux scandales de Moncef Marzouki et son parti (ou ses partis) classés en 2014 comme étant ceux qui ont le plus triché dans les élections ? Ce même Marzouki issu du CPR qui, par miracle, a perdu son registre comptable en 2011 ! Qui de vous a vu, une fois, les rapports financiers des partis de Marzouki et su d’où provient son argent ?
Le même Marzouki et le même Daïmi continuent pourtant à s’en prendre à toute la classe politique et aux médias en les qualifiant de corrompus à tout va, alors qu’ils auraient dû quitter la scène politique depuis belle lurette si l’appareil judiciaire avait bien fait son travail pour les sanctionner pour leurs méfaits et si les médias leur rappelaient, sans cesse, leur népotisme et leurs abus.
Ennahdha est par excellence le champion toutes catégories de l’opacité quand il s’agit de comptes et de tricherie. Les médias ont parlé plus d’une fois des valises venant d’Europe, des donateurs morts et des collusions suspectes avec la Turquie et le Qatar. La justice n’a pas bougé, l’opinion fait comme si c’était normal, les médias continuent à en recevoir plein la gueule quand ils font leur travail.
Après tout cela, quoi d’étonnant quand le « petit peuple » dit que les politiques sont tous pourris ? Quoi d’étonnant quand il délaisse les élections ? Face à ce double langage, aux mensonges éhontés des politiques et à l’absence totale du sens du « shaming », quelle confiance peut avoir le « petit peuple » en sa classe politique, en ses médias et en son élite ?
Nous sommes proches des élections, la précampagne bat son plein, les couteaux sont tirés à l’intérieur des partis, mais la confiance est totalement absente au sein du peuple. Chaque camp accuse l’autre de corruption et de népotisme, chaque camp traine quelques casseroles, mais chaque camp insiste pour rester sur l’arène et à se foutre de nous.
Tant que les médias n’insistent pas à barrer la route aux tricheurs et aux corrompus en rappelant, à chaque phrase et à chaque émission, les casseroles de chacun, tant que la justice ne cesse pas sa sélection et sa politique de deux poids deux mesures et poursuit tout homme politique qui mérite d’être poursuivi (indépendamment de sa famille et de son poids politique), tant que l’opinion publique mettra tous les politiques dans le même sac du « tous pourris » ! Avec cette mentalité du « tous pourris », il ne faudra pas espérer des taux élevés de participation aux élections et certainement pas de hautes compétences au parlement et au pouvoir, puisque nos hommes politiques et nos partis font tout pour alimenter cette mentalité avec leurs scandales tout aussi récurrents qu’impunis.