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Le miroir et l'horizon de Taoufik Baccar : réalisme et espérances
05/08/2019 | 18:00
8 min
Le miroir et l'horizon de Taoufik Baccar : réalisme et espérances

 

Par Taieb Houidi


En cette période où la majeure partie de la classe politique et de l’élite intellectuelle délaisse les questions socio-économiques au profit de futiles joutes verbales et de vaines frivolités électorales, il est salutaire de porter l’attention des bonnes gens à la lecture de l’ouvrage « le miroir et l’horizon » commis par Taoufik Baccar, paru fin 2018.

Ces 400 pages ne font qu’effleurer la féconde carrière de cet ancien Directeur Général de l’OFPE, puis Ministre du Développement Economique, Ministre des Finances, Gouverneur de la Banque Centrale, et enfin président d’un Think Tank depuis 2016, tant elle est parsemée d’expériences vécues à chaud et de projets patiemment élaborés, avec leurs réussites et leurs chagrins. En parcourant son itinéraire abondant de réalisations dans les domaines qu’il a touchés avec passion et abnégation, parfois avec souffrance et contrariétés, on est frappé par la discrétion de ses réussites et la pudeur de ses blessures.

Le titre est bien trouvé, non par un jeu de style, mais en ce qu’il découle d’une logique simple, « Le miroir et l’horizon », claire allégorie à un passé récent, avec ses belles réussites, ses magnifiques douleurs, et à un avenir incertain, mais paré de tant d’espoirs... Une élégante et agissante manière de diriger le regard de l’Histoire vers la proue du navire Tunisie.

Au delà de l’expérience de cet homme pétri de patriotisme et de sens de l’Etat, on sent un être rempli d’enseignements à prodiguer généreusement, mais aussi comblé de dignité et de fierté  par rapport au devoir accompli. Il serait vain de décrire en détail la logique de l’écriture et encore moins le déroulé des chapitres, tant les sujets abordés sont nombreux.

 

En première partie, l’ouvrage décrit, minutieusement et sans parti-pris ou afféterie, les acquis de cinq décennies (1962-2010). Ils sont majeurs et opulents : un nombre de médecins qui évolue de 200 à 12000, une espérance de vie de 47 à 75 ans, une réduction par quatre de la mortalité infantile, un quintuplement du revenu par tête, un taux d’électrification urbaine qui passe de 21% à 99%, un parc logement multiplié par cinq et un nombre de diplômés du supérieur multiplié par 20, alors que la population a seulement triplé. Des acquis sociaux notables dans la foulée des progrès économiques.

Puis il décrit plus précisément la décennie 2000-2010, lors de laquelle la dette extérieure est passée de 55 à 37%, les réserves en devises de 3 500 à 13 000 MD, soit de 90 jours à 147 jours. Ces progrès ont été accompagnés par des réalisations institutionnelles et réglementaires fortes, telles que l’adoption du Code des Droits et des Procédures Fiscaux, après deux longues années de travail, les plans de développement quinquennaux, les budgets annuels de l’Etat. Des succès internationaux couronnent ces réalisations : présidence de la Tunisie, en sa personne, de la réunion des assemblées annuelles du FMI et de la BIRD à Istamboul, exécution de l’accord de libre-échange au Conseil Economique et Social de la Ligue des Etats Arabes, présidence de la réunion des gouverneurs des banques centrales des pays arabes, création et étayage de diverses passerelles avec les milieux scientifiques et universitaires… Mais « les marques de confiance dépassent les personnes » écrit-il humblement, persuadé que toute réalisation procède d’un travail collectif

Cela a aussi conduit l’auteur à penser que toutes ces réalisations ne doivent pas être dénuées de critiques à l’égard de la gouvernance d’avant 2011 et à ses limites. Il en endosse d’ailleurs une part de responsabilité, non par contrition mais par clairvoyance et ouverture, adoptant l’idée qu’un modèle de développement alternatif est tout à fait crédible. À la condition qu’il y ait une plateforme socio-politique partagée et une réelle volonté de la mettre en œuvre, autant par les politiques, que par les organisations professionnelles et la société civile.

Choix délibéré ou inclinaison pédagogique, l’ouvrage comporte peu de statistiques, graphiques et modèles ; il ne cède ni au scientisme ni à la démonstration pédante. C’est qu’il ne prétend pas démonter au forceps, mais plutôt narrer un vécu réel et des initiatives patiemment construites. Non pas seulement sur la base de modèles théoriques, mais sur le socle de procédés sûrs et avérés, qu’ils aient été déjà éprouvés localement ou adaptés de pratiques réussies ailleurs. Conséquemment, et peut-être paradoxalement, c’est ce manque de chiffres qui affaiblit quelques arguments que le lecteur aurait voulu plus concrets et mieux assis.

 

En seconde partie, le document aborde « l’horizon » qui s’ouvre pour l’avenir du pays. Commençant par la nécessité d‘interrompre puis d’inverser le processus de « fracture sociale », il prône la consolidation de l’Etat et des institutions et la promotion d’une sorte de pacte moral pour mettre fin au régionalisme  renaissant. Une nouvelle vision du développement régional est esquissée, considérant toute la Tunisie, large de 170 km, comme une bande côtière, à l’instar du Maroc atlantique qui a fait du ruban côtier Casa-Rabat-Tanger une bande de 160 Km englobant Marrakech et Fès.

L’avenir consiste aussi à mettre l’économie au cœur des question du développement : refonte des politiques monétaire, budgétaire et de change ; réforme bancaire, fiscale et administrative, développement des NTIC… L’auteur prêche aussi une refondation de la politique sociale à travers de nouveaux mécanismes de promotion : insertion par l’économique, efficience des actions de l’Etat, solidarité nationale et partenariat avec les associations et les privés. Une fibre sociale sincère et avérée pour cet homme, né à Chenini dans ce Sud tunisien tant délaissé, et qui a vécu les inégalités dès son enfance.

 

Enfin, une diplomatie économique rénovée devra permettre la conquête de nouveaux marchés et le rééquilibrage progressif de la balance extérieure ; elle se fonde sur une nouvelle conception du rôle de l’ambassadeur et sur la recherche de nouveaux partenariats solides et profonds avec les pays africains et asiatiques.  

Prétendre percer l’homme dans sa dimension morale, sociale, humaine et politique serait aussi vain que prétentieux, tant le personnage semble divers et peut-être parfois complexe. Au niveau de la vision, c’est un libéral au sens moderniste du terme. Mais il a compris, lui qui présida pendant plus de dix ans l’amicale des anciens élèves du cycle supérieur de l’ENA,  que le rôle de l’Etat stratège doit se substituer à celui de l’Etat producteur et doit donc s’alléger de certaines fonctions, donc de certains services et établissements publics. Il est également convaincu de l’importance du rôle social de l’Etat et de la nécessité de prendre à bras-le-corps les préoccupantes questions du chômage, de l’habitat social, du développement régional, d’où la nécessité de rétablir la planification dans le pays à travers les Plans Quinquennaux et leur déclinaison régionale. Il est tout aussi assuré que la matière économique et la question sociale sont intimement liées : les avancées sociétales sont conditionnées par les performances économiques, qui, à leur tour, seront impulsées par les progrès de la société dans le sens large.

Un principe majeur guide la démarche : la ferme conviction du rôle éminent de l’Etat dans la conduite du pays, certain que celui-ci constitue le creuset d’une structure humaine, sociale et administrative, authentiquement tunisienne, réunie par un choix de vie collective qui est fermement ratifiée par la référence à une histoire commune et des lois négociées et partagées. Simultanément, l’auteur est imbu de la nécessité de l’application de la loi pour tous, assuré que c’est la seule garantie de l’éclosion, puis de la consolidation de la démocratie.

 

Homme de culture, Taoufik Baccar évoque, avec attachement et affection, la création du musée de la monnaie, retraçant l’histoire du pays à travers 25 siècles de numismatique, depuis Carthage jusqu’à aujourd’hui. Exposition de 2000 pièces, le musée fait l’objet d’un succulent passage sur l’histoire de la monnaie, décrite dans un ouvrage de trois tomes, et où l’on perçoit la fierté de la création du Dinar en 1958, consacrant la souveraineté du pays.       

En un mot, le livre est un véritable programme socio-économique et politique sur fond de grande sensibilité sociale. Mais le souci de l’auteur restant focalisé sur les aspects transversaux plutôt que sectoriels, il manque à l’ouvrage de plus longs développements sur un grand projet éducatif et de formation et sur une représentation fonctionnelle et concrète de l’agriculture tunisienne de demain.

 

On ne peut finir sans évoquer les regrets et fêlures de cet homme qui doit sa situation à son mérite et à son opiniâtreté à servir la chose publique. Propos d’un citoyen simple, que « l’élite » a peut-être parfois regardé de haut, mais enfin adopté, surprise, séduite, puis éblouie par son ascension sociale due à son seul travail et à ses aptitudes. Accablement devant les dégâts 14 Janvier 2011 et refuge pendant 3 semaines chez un ami, non par peur mais pour éviter d’exacerber les tensions à l’égard des « responsables de l’ancien régime ». Lettre de menaces de la part des « ligues de protection de la révolution». Fausses rumeurs, calomnies et mensonges. Harcèlement et poursuites, lui et ses pairs. Déception de voir périr les fruits de quinze années de travail acharné.

Pas d'acrimonie ni de colère, mais des regrets sur la vanité des actions réalisés puis fracassées dans les errements puis les limbes d’une révolution de pacotille.

J’aime bien ce livre compétent, tout en silhouettes et peintures chirurgicales, mais tout en nuances, en issues réalistes et en messages de grandes espérances.

 

 

05/08/2019 | 18:00
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Commentaires (6)

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Maxula
| 07-08-2019 22:02
Je n'avais aucune souvenance d'un épisode de ma prime enfance, et que me raconta bien plus tard Mère-grand sur son lit de mort.
Il paraît que j'avais pleuré les larmes de mon petit corps de n'avoir pas su faire boire le cheval de bois que mon père m'avait offert à l'occasion de ma circoncision.
Je me souviendrai toujours de ses bonnes paroles quand elle me recommanda de ne jamais insister pour faire boire un âne qui n'a pas soif.
Et depuis, sa leçon me profite encore !
Maxula.

Taieb Houidi
| 07-08-2019 18:50
Détourner le propos vers ce type de « débat littéraire », pour éviter de discuter du fond de l'article est étonnant de la part d'un bel esprit. Mais il est vrai que l'altération et le détournement des sujets sérieux de discussion sont devenus un sport national depuis la « révolution ». Je ne parlerai donc pas de sémantique ni de « vocabulaire adapté » au sujet de cet article. Il existe d'autres tribunes consacrées à cela.
Ce que j'observe et souligne cependant, c'est le mépris que vous portez au lectorat de BN et certainement d'autres journaux. Vous écrivez en effet : « vous avez ignoré à quel genre de lecteurs vous aviez affaire en publiant sur BN. Une simple lecture '?' vous aurait instruit sur le niveau qui y a cours ». Puis vous finissez avec une morgue piquante : « Si l'on peut rire de tout l'on ne peut rire de tout avec tout le monde ». Sont-ce les propos d'un patricien dépité de sa déchéance, à part un vocabulaire qu'il érige en étendard de son appartenance à la haute caste des lettrés? Ce serait la plus favorable des hypothèses'?' Et tous les « genres » de lecteurs de ce journal en jugeront
N'ayant plus rien à dire sur le contenu de l'article, vous me renvoyez à un lien « pour un résumé du livre moins laudateur ». Or ce lien ne résume pas grand chose : il donne des infos sur les relations de l'auteur avec d'autres responsables et finit par des extraits du livre que j'ai la modestie de dire avoir analysé en profondeur dans mon article. J'aurais aimé que l'échange se fasse sur le contenu et non sur des vétilles linguistiques dont vous avez fait le sujet principal de l'article. Permettez moi de douter sur votre envie ' ou votre capacité d'en débattre.
De toutes manière, je fais partie, ne vous en déplaise, des gens « qui rient de tout avec tout le monde », et qui partagent leur expérience et leur savoir, aussi minime soit-il, avec tout le monde : jeunes, peu instruits, illettrés, prétentieux (et même pédants ou précieux, dont semblez être un bel archétype).
Cela dit, vous semblez avoir un certain humour. Je ne vous ai répondu que pour cette raison.

Maxula
| 06-08-2019 17:44
Je ne sais, cher monsieur, si vous vous en êtes aperçu, mais ce qui nous tient lieu de forum de discussion, à savoir le site de BN, n'est nullement un succédané d'Apostrophes, pas plus qu'un salon littéraire, loin de là, où l'on devise entre gens de bonne compagnie du dernier opus de tel ou tel écrivaillon en mal de pub, ou en quête d'une vaine célébrité !
C'est pourquoi, pressentant votre "réaction", j'avais pris soin de mettre entre guillemets "l'acception moderne"(*) de l'expression "bonnes gens", pensant qu'il ne vous aurait pas échappé que nous n'étions qu'au début du troisième millénaire, et non pas à l'époque féodale ou médiavale de "l'amour courtois", quand "les bonnes gens" étaient d'honnêtes gens, ou des personnes recommadables ayant des manières civiles.
Je conçois parfaitement qu'ayant de la culture -comme on dit-, vous aviez voulu imiter les fins lettrés en utilisant "commettre" en manière de clin d'oeil. Sauf que vous aviez ignoré à quel genre de lecteurs vous aviez affaire en publiant sur BN. Alors qu'une simple lecture en diagonale de ce qui s'écrit dans les commentaires courants vous aurait instruit sur le niveau qui y a cours. L'on ne s'adresse pas de la même manière à tous les publics, en effet ! Fâcheuse tendance, s'il en est, de ce qui se fait couramment dans les médias, publics comme privés.
C'est certainement louable d'avoir un cursus comme le vôtre, qui ne souffre d'aucune lacune, mais gardez tout de même à l'esprit que si l'on peut rire de tout l'on ne peut rire de tout avec tout le monde.
C'est la première leçon de savoir vivre que je dois à ma grand-mère !
Maxula.
(*) Acception qui confère à l'expression en question, un second degré, devenu par l'usage, le sens premier. (Cf. Barthes. Todorov. "Système connotatif")

+ Pour un résumé du livre, moins "laudateur" :
https://www.leaders.com.tn/article/25801-ce-que-dit-taoufik-baccar-dans-son-livre-de-ben-ali-mohamed-ghannouchi-et-mustapha-kamel-nabli

Taieb Houidi
| 06-08-2019 10:43
@Maxula.
Penser que le mot « bonnes gens » est négatif et s'adresse à des simplets dénote de grosses lacunes en matière de culture littéraire. En effet, On dit souvent
« '? de bonnes gens comme vous et moi » ou
« Il est l'âme et le symbole de toutes ces bonnes
gens ».
Quant au mot « commettre », Bernard Pivot, PPDA, et bien d'autres animateurs d'émissions littéraires l'utilisent avec un plaisir avéré à l'égard d'auteurs qu'ils estiment beaucoup
Mais il faut que je sois charitable : à chacun sa culture, tronquée ou pas.

Maxula
| 05-08-2019 23:28
"porter l'attention des bonnes gens à la lecture de l'ouvrage « le miroir et l'horizon » commis par Taoufik Baccar"

L'expression "bonnes gens" a une acception "moderne" plutôt "négative" et désigne des gens simples sinon simplets.
De plus, quand on dit d'un livre qu'il fut "commis" (du verbe "commettre"), c'est qu'on en pense pis que pendre ! Car on ne "commet" jamais que des actions blâmables ou condamnables.

Et voilà une "tribune" qui se voulait pourtant dithyrambique mais qui se tire une balle dans le pied dès l'entame !

Pour un résumé du livre moins "laudateur", voir ce qu'en ñ

G&G
| 05-08-2019 22:39
la théorie économique n'est aucunement le remède pour
une Tunisie agonisante. Seule la chirurgie qui pourrait la sauver.
Cette chirurgie exige une connaissance profonde et détaillée du terrain et malheureusement M. Baccar est l'un des décideur de l'administration centrale qui est loin des vrais exigences du citoyen.
Tout comme M. K Nabli et H. Dimassi ou encore M. Joudi T. Baccar ne pourra pas encastré son modéle dans une symphonie de Rap mélangé au stambali.
Je peux jurer que le programme de Abir issu des travaux de Taoufik Baccar et qu'elle vient d'enregistré à Daftar Khana sera encore un mort né.