Le Fonds Zakat, premier revers révélateur d’Ennahdha
A peine la crise au sein du parlement surmontée, que toute l’attention se redirige vers les discussions de loi de Finances. Annoncée au départ sans réelles polémiques, l’examen de la LF 2020 devait se dérouler sans grande tension, mais la proposition de créer un Fonds pour la Zakat a créé une vive polémique. Retour sur cette proposition qui n’est, finalement, pas passée.
Depuis son ascension au pouvoir en 2011, le mouvement Ennahdha ne cesse de tâter le terrain concernant la création d’un Fonds pour la Zakat. Sujet de débat dans plusieurs conférences et colloques, le mouvement islamiste n’a pas manqué d’expliquer les avantages de cette initiative pour l’économie sociale nationale. Et ce n’est que cette année que le mouvement propose d’ajouter un article dans la LF 2020 portant création de ce fonds.
C’est dire que la politique financière et l'organisation économique islamique reposent en grande partie, sur l'obligation d'aumône prescrite par la Charia et désignée par le terme "Al Zakat"; ainsi l'Islam impose le versement de la Zakat dans un fonds autonome et spécial désigné à cet effet. Les fonds collectés sont dépensés conformément à la loi islamique et ils ont pour fonction réelle de permettre aux pauvres de se suffire à eux-mêmes par leurs propres moyens de telle sorte qu'ils aient une source de revenu fixe qui les dispense de recourir à l'aide d'autrui.
Ainsi, l’article en question propose la création d’un fonds spécial pour la Zakat et les dons. Ce fonds est consacré pour appuyer les efforts de l’Etat dans l’action sociale dédiée aux personnes et aux familles nécessiteuses, sans soutien et aux personnes handicapées. Il est, également, consacré au financement total ou partiel des projets dédiés aux chômeurs issus de familles démunies, notamment, dans les régions les plus marginalisées, outre l’octroi d’une prime annuelle réservée aux étudiants, aux élèves et aux chômeurs des familles démunies. Le Fonds prend, aussi en charge le paiement des dettes des agriculteurs, des artisans et des personnes physiques aux revenus limités, ainsi que les personnes morales parmi les PME auprès des établissements de micro-financement et des établissements bancaires de manière générale. Il contribue, aussi, à la création et au développement des établissements dans les secteurs de la santé, de l’enseignement, de la recherche scientifique et les institutions religieuses.
Les ressources du fonds proviennent des ressources de la Zakat des personnes, des institutions et des sociétés privées, des aumônes et des dons. L’article de loi prévoyait la mise en place d’une instance nationale pour gérer le Fonds pour la Zakat et les dons composée de représentants de la présidence du gouvernement, du ministère des Finances, du ministère des Affaires religieuses, de l’Inlucc, de la faculté de la Zitouna, de l’office de l’Ifta, de la Cour des comptes, de l’Ordre national des experts comptables et de l’Association tunisienne de la zakat. Les règles d’organisation et de gestion du fonds ainsi que les mécanismes de ses interventions et de ses bénéficiaires sont fixés par décret gouvernemental.
Toutefois, et malgré les efforts du mouvement Ennahdha et de la Coalition Al Karama qui ont même proposé le changement du nom du Fonds, l’article n’est pas passé. Avec 74 députés qui ont voté pour, 93 contre et 17 qui se sont abstenus, l’article n’est pas retenu et le Fonds de la Zakat ne verra pas le jour, du moins cette fois-ci. Le président du bloc Al Karama, Seif Eddine Makhlouf avait considéré que l’initiative est rejetée parce qu’elle comporte une référence religieuse, soulignant que personne ne contestait le fonds 26-26 alors que les dons étaient soutirés de force aux citoyens.
L’expert en économie et ancien ministre des Finances, Houcine Dimassi avait dénoncé cette proposition estimant qu’elle permettra la mise en place d’un Etat parallèle outre le fait qu’elle soit anticonstitutionnelle, puisqu’elle ne respecte pas le principe de l’Etat civil. Ces mêmes arguments ont été évoqués par les députés du PDL et de Qalb Tounes qui ont voté contre la création du fonds.
En tout état de cause, l’échec du mouvement Ennahdha à faire passer cet article de loi témoigne de la fragilité de sa position et des limites de son pouvoir au sein du parlement. Bien que le mouvement ait bénéficié du soutien de la coalition, Al Karama, le Fonds de la Zakat n’est pas pu passer au parlement.
Il est, donc, clair, que le mouvement islamiste ne pourra pas gouverner aisément durant ce quinquennat puisqu’il ne bénéficie pas d’une majorité confortable, encore moins de soutien parlementaire, surtout lorsqu’il s’agit de questions d’ordre religieux. Et si passer un seul article de loi pose autant de difficultés, il est à se demander ce qu’il en serait lorsqu’il s’agirait de la mise en place de la Cour constitutionnelle, qui elle, requiert 145 voix pour voir le jour. D’ailleurs, pour placer Rached Ghannouchi à la tête du parlement, Ennahdha n’a réussi à le faire qu’après le recours aux voix des députés de Nabil Karoui. Ainsi, le vote de confiance pour le gouvernement Jamli sera une épreuve de taille pour le parti vainqueur des législatives. Une victoire, tellement fragile, qu’elle ne lui permet pas de faire passer ses convictions les plus profondes.
Sarra HLAOUI