Le baroud d’honneur de Béji
Encore une fois, le président de la République, Béji Caïd Essebsi, s’est payé la tête de ses adversaires. Le vieux renard, amoindri et vieillissant a tenu à ridiculiser, peut-être pour la dernière fois, la bande d’imbéciles qui se prennent pour des politiques et qui se croient plus futés que les autres. En refusant de signer la loi organique portant sur la révision du code électoral, le président de la République a pris tout le monde à contre-pied, ses amis comme ses adversaires. A son âge, il montre qu’il est toujours alerte et un fin manœuvrier qui sait rester discret pour mieux surprendre.
Tout au long de son mandat présidentiel qui tend à sa fin, Béji Caïd Essebsi n’a jamais refusé de ratifier une loi votée par l’assemblée des représentants du peuple ou validée par l’instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité des lois. Son refus de signer la loi organique sur la révision du code électoral est donc une première et une surprise. Mais on savait aussi que le président de la République est farouchement opposé à toute idée d’exclusion. Or cette révision du code électoral, qu’on lui demande de valider, visait clairement à barrer la route à de nouveaux arrivants sur la scène politique donnés largement gagnants par les instituts de sondage d’opinion.
D’un autre côté, le président de la République aurait pu, s’il était opposé à cette révision du code électoral, renvoyer le texte à l’ARP pour une deuxième lecture qui nécessiterait une majorité plus large ou carrément appeler à un référendum sur cette question. Il a choisi une troisième option qui a brouillé les cartes de tous ses adversaires, surpris ses amis et mis à nu les faiblesses de la majorité de nos soit disant experts en droit constitutionnel.
Depuis le 18 juin date du vote de cette loi par l’ARP et jusqu’au jeudi dernier, soit exactement un mois après, les scénarios développés et proposés par les experts de tous bords ont évoqué toutes les hypothèses possibles sauf celle qui a été retenue par le président de la République en fin de compte. Pour des spécialistes de droit, cela dévoile une carence méthodologique, un manque de lucidité et une absence de créativité et d’anticipation. On ne s’attardera pas sur la position de Jawher Ben Mbarek qui estime que la signature du chef de l’Etat n’est pas nécessaire pour l’entrée en vigueur de la loi. Elle est tellement nulle juridiquement, infantile politiquement et affreusement mercantile. Quant à Habib Khedher, rapporteur de la Constitution de janvier 2014, et les siens qui croient avoir pondu la « meilleure constitution du monde », ils doivent se sentir très mal aujourd’hui pour avoir été piégés par un texte qu’ils ont truffé eux-mêmes de pièges à l’adresse de leurs adversaires.
De leur côté les députés et les hommes politiques qui suffoquent depuis jeudi dernier et crient à s’arracher les cordes vocales que le président doit être destitué pour transgression grave de la constitution, ils doivent tempérer leur hardiesse. D’abord, parce que la constitution, même si elle stipule que le président de la République signe les lois dans des délais précis, elle reste totalement muette en cas de dépassement des délais. Cela ne veut pas dire que le président de la République a raison ou tort de ne pas signer la loi. Cela veut dire tout simplement que seule la cour constitutionnelle peut trancher sur la constitutionnalité de la démarche présidentielle. Seule cette cour constitutionnelle peut aussi amorcer le processus de la destitution du président de la République.
Il se trouve malheureusement que les députés et les hommes et femmes politiques sont responsables solidairement de l’absence de la cour constitutionnelle qui aurait dû être mise en place avant la fin de 2014 comme le stipule la constitution bafouée d’une manière flagrante par les députés et les partis politiques. Dans la même logique que les députés et les politiques invoquent aujourd’hui contre le président de la République, l’ARP aurait du être dissoute depuis janvier 2015.