La Tunisie est un pays libre
Emotion et fierté la semaine dernière en Tunisie suite à la publication de la carte de la liberté dans le monde.
Cette carte, qui a fait le tour des médias et des réseaux sociaux, classe la Tunisie parmi les pays libres. Pris dans le marasme quotidien, nous ne nous rendons pas compte du chemin parcouru. Oui, nous avons réussi. Partis de loin, de très loin, nous avons hissé la Tunisie au rang de la démocratie, reconnue, tangible, mesurée de manière concrète.
Mais comment sait-on qu'un pays est libre? Quels indicateurs permettent de l'affirmer? Qui décide et qui établit ces indicateurs? Comment la Tunisie est-elle devenue terre de liberté? Qui a œuvré à cette distinction? Qui a fait ce succès? Faut-il s'en réjouir?
Oui, il faut s'en réjouir. La Tunisie est à pied d'égalité avec des pays comme le Canada, la Suède, le Japon, l'Australie, l'Argentine. Le seul pays arabe, bien sûr. C'est une réussite, une réalisation importante.
La Tunisie pays libre, cela veut dire quoi? Cela veut dire que la Tunisie est un Etat qui garantit un cadre institutionnel, de pratique politique, d'exercice de la démocratie, de droits et libertés collectifs et individuels, mesurable. La carte en question est basée sur un ensemble d'indicateurs qui couvre, entre autres, l'accès à internet, les droits politiques, les élections, les droits des minorités, etc.
Alors, qui a établi ces indicateurs, d'où vient cette carte qui nous fait tant plaisir?
Ce type d'indicateurs et de cartes fleurissent généralement en fin d'année. Ils sont développés par des organisations et des institutions dans le monde. Reporters sans Frontières, Avocats sans Frontières, l'Organisation Mondiale de la Santé, l'Organisation Mondiale du Commerce, l'Union Européenne, l'Organisation des Nations Unies, l'UNESCO, la FAO, l'Organisation pour la Coopération et le Développement Economique, ont produisent tous les ans. A quoi servent-ils? A faire un état des lieux du monde, des régions, des pays, pour un ou plusieurs aspects de la vie humaine. Cet état des lieux informe mais surtout permet d'identifier des lacunes potentielles et de définir des plans d'action en vue d'y remédier.
Des indicateurs spécifiques ont rythmé le parcours de la Tunisie récemment. L'Index de Doing Business, le classement du GAFI, le rating des agences de notation.
Nous en parlons tous, nous commentons ces indicateurs en long et en large.
Cette carte, en particulier, provient d'un rapport annuel "Freedom in the World" dans sa version de l'année 2019. Ce rapport est produit et diffusé tous les ans par une organisation non gouvernementale qui travaille dans le monde entier, à travers un réseau, qui suit l'avancement de la démocratie, des droits, des libertés, des institutions transparentes, qui développe des programmes de renforcement de la liberté dans tous ses aspects, qui soutient des institutions gouvernementales et non gouvernementales œuvrant pour la démocratie et la liberté dans le monde. Cette organisation est Freedom House.
Depuis la Révolution, oui j'aime ce mot, nous découvrons en Tunisie une société civile active et riche, société civile locale et nationale mais également internationale. Mais nous ne savons que penser de tout ça. Nous ne savons si c'est bon pour nous ou pas. Nous ne savons si cela nous fait du bien ou pas. Nous ne savons s'il s'agit d'un "complot" contre nous ou pas.
Les Bawsala, Mourakiboun, Transparency International, Open Society, Amnesty International, Atide, le SNJT, font partie de notre paysage. Ces organisations sont là, elles agissent. Pour certains, elles font peur, elles sont décriées. Elles font partie d'un complot contre la Tunisie, le complot du Printemps Arabe, de la Révolution. Elles sont insultées et ceux qui s'en approchent, de près ou de loin, sont calomniés.
Regardons-nous en face un moment. Nous sommes fiers de notre particularité. Nous sommes fiers de nos élections. Nous sommes fiers de notre liberté. Nous sommes fiers de notre démocratie. Nous en devenons même un peu arrogants. Nous sommes fiers de ce classement, de cette carte de Freedom House.
Mais une certaine schizophrénie intellectuelle nous empêche d'assumer ce chemin parcouru, ce succès construit par les tunisiens, les institutions publiques, la société civile.
Nous accusons la société civile de 1000 maux. Mais nous apprécions son apport. Nous insultons la Révolution et ceux qui l'ont portée. Mais nous profitons de ses résultats. Nous nous méfions de l'étranger. Mais nous le posons comme modèle. Il y a toujours un "oui mais".
Cette schizophrénie nous a empêchés d'aller au bout de notre engagement. Elle nous fait trébucher. Elle nous a empêchés de monétiser, de capitaliser sur la valeur ajoutée immatérielle de la Révolution, de matérialiser le capital sympa que nous accordait le monde en 2011.
L'histoire n'est pas un long fleuve tranquille. Mais elle ne s'écrit que dans un sens, toujours de l'avant. Alors avançons sans hypocrisie, avec les bons mots, lucides.