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Tribunes
La politique, entre imposture et « cannibalisme »
28/09/2020 | 20:45
7 min
La politique, entre imposture et « cannibalisme »

Par Lassaâd M’Sahli *

 

 

Terminologie :

La politique dont la racine grecque (étymologie) politicus désigne la gestion des affaires de la foule (la multitude de personnes) dans la cité, évoque d’emblée une contradiction entre la signification (l’action collective) et l’exercice (l’action individuelle).

Pour gérer la cité, donc pour faire de la politique, il faut assurer une contribution de chaque individu vivant dans la cité. Cette contribution que les Romains appelait « tributum » était imposée au peuple par la force quand il le fallait d’où le terme « impôt » qui dérive du mot « imponere ». Celui qui était chargé de collecter cet « impôt » était officiellement appelé « imposteur ». Cette appellation n’avait pas de connotation péjorative, contrairement à sa signification moderne où le sens désigne le fait d’agir en trompant les autres ou un poisson dont l’autre nom est « filou ». La signification du mot « imposteur » a évolué pour désigner « la personne qui vit au dépens des autres », le fraudeur, le menteur, etc.

 

Quant au « Cannibalisme », comme pratique dans un état de sauvagerie primitive, il est rejeté par l’humanité et la civilisation. Mondher Kilani[1], le considère comme « une façon de penser autant qu’une façon de manger » tel qu’il a été pratiqué réellement. Il évoque que l’apport de l’âme de celui qui était mangé était supérieur à son apport nutritif. Pour finir, que cette pratique inhumaine et barbare semblait servir à s’approprier l’âme de celui qui a été mangé. Ce sens a(moral) semble persister en politique. C’est un peu cette nature de l’Homme, motivée par son instinct de survie, que Hobbes a étudiée et a résumée dans sa citation : « l’homme est un loup pour l’homme ».

Le comportement des politiques qui gouvernent oscille entre ces deux comportements, l’imposture à l’égard de leurs électeurs et le cannibalisme à l’égard de leurs rivaux ou concurrents.

 

L’imposture :

L’imposture reflète en réalité, les valeurs qui organisent la vie sociale. Elle devient elle-même, une « valeur » car elle permet à l’imposteur d’identifier avec précision les attentes de l’autre, de la foule qui ne pense pas objectivement, au sens de Goebbels. L’imposteur les absorbe et s’y adapte tout en développant des stratégies de masquage et de camouflage des vrais problèmes. Son objectif est de gagner du temps pour rester au pouvoir le plus longtemps possible tout en faisant [H1] perdre à la collectivité un temps précieux avec les coûts que l’on connait et un retard des réformes nécessaires.

En temps de crises politiques et sociales, le recours aux agences de notation s’accentue. Or, les crises économiques majeures (1929, 2007/2008) ont montré une incapacité certaine des agences de notation financières à prévoir de telles situations fâcheuses. Le politique essuie le même échec, et reste incapable de gérer les crises économiques et sociales qui naissent à cause des défaillances des politiques car ces dernières accordent beaucoup plus d’importance aux protocoles qu’aux décisions politiques et leurs impacts, de manière à ce qu’ils assouvissent leurs égos pour exister politiquement.

Ainsi, au lieu de décider et d’améliorer la vie sociale et économique, les protagonistes de la scène politique se trouvent en train de jouer un simple rôle, rien de plus, tel un agent du spectacle. Ce qui nous ramène à la notion d’imposture évoquée ci-dessus.

Cette situation ne s’apparente pas à une démocratie réelle, où la règle fondamentale est le respect de la parole donnée, mais à des formes dégénérées de démocratie. Cette pseudo démocratie peut être réalisée soit au moyen de l’expertise où l’on confie le soin de décider aux experts, soit par la gouvernance sous la pression des lobbies.

 

Dans le cas du recours à l’expertise, le politique cherche une légitimité du côté de l’expertise, à qui il fera porter le chapeau en cas de problème. Des experts qui seraient entachés de liens et de conflits d’intérêts. Certains diront « un expert sans liens d’intérêts, est un expert sans intérêt ». Une expression qui mérite correction, ce qui donnerait : « un expert sans liens d’intérêts, est un expert sans intérêt pour l’opérateur économique ». Ce qui est, en fait, un fondement frauduleux cadrant avec la notion d’imposture.

Dans le cas de la gouvernance sous la pression des lobbies, cette dernière se fait en fonction de l’opinion publique. Les promesses électorales lancées et non tenues représentent un effondrement du pouvoir et de la crédibilité de la parole donnée par les politiques, élément constitutif de l’espace démocratique où la capacité de gouverner est fondée sur le débat et la discussion car on y accorde un crédit et une confiance, certains.

 

A la place de l’engament qui nait du dialogue, nous avons l’imposture qui nait du jeu de rôle dans les spectacles politiques. C’est pour cette raison que Roland Gori estime que « chaque société a les imposteurs qu’elle mérite ». En effet, dans la politique de l’imposture, on s’attarde à montrer tout le cérémonial et tous les signes extérieurs qui vont faire croire à l’autre que l’on incarne ses attentes (pour la religion il faut se montrer pieux, et pour la générosité, il faut donner et offrir un plat de pâtes aux pauvres gens comme ça été fait par Berlusconi).

Créer et innover la politique, ou uniquement s’adapter à la commande sociale de service.

Dans la société d’adaptation, l’imposteur doit juste apprendre à bien mentir et à exécuter son rôle théâtral de menteur, à la perfection. Ceci lui donnera du crédit par cette « performance mensongère » bien qu’il ne le mérite pas ni par ses actes, ni par ses valeurs.

 

De ce fait, nous sommes dans un contexte de conflits d’intérêts manifestes, puisque l’objectif est de se servir en donnant l’impression de servir. Donc, il s’agit là de vendre son image et d’asseoir la logique de l’audimat. Cette imposture (vivre au dépens des autres), permet aux individus et aux peuples de vivre au-dessus de leurs moyens. Ils ne considèrent pas cela comme un mensonge, mais une manière de s’embellir et de se faire accepter par l’autre.

Ce qui compte, c’est la popularité et les « Like ». La question qui se pose est : comment construire une justice sociale, une citoyenneté et une réelle démocratie en valorisant et en diffusant l’art de se vendre à autrui ?

 

« Le Cannibalisme » :

D’après les récits religieux (les livres saints), le meurtre a accompagné l’histoire humaine. Le fratricide entre les fils d’Adam et Eve, Cain et Abel était motivé par la jalousie et l’égoïsme. On parle alors de « caïnisme ». L’évolution de l’humanité a transformé ce type d’assassinat pour qu’il devienne inacceptable physiquement et tolérable dans sa connotation morale. Du coup, il devient plus accepté et son aspect meurtrier n’est plus perçu par nos sociétés, car il n’est pas physique, même s’il garde la même violence. Le caïnisme politique n’est autre que le synonyme du cannibalisme politique.

Les luttes internes motivées par la jalousie et les égos surdimensionnés engendrent des bagarres et des vengeances personnelles entre les frères d’hier. Ceci altère la cohésion organisationnelle des partis politiques qui finissent par se fracturer et se désintégrer. Les exemples sont nombreux.

Le processus électoral, potentialise ces luttes dans les partis qu’ils soient gagnants ou perdants.

Les perdants exigent, habituellement des comptes et des changements dans la direction avec une profonde révision de la direction politique.

Les vainqueurs exigent des quotas de pouvoir et des revendications liées à la conception patrimoniale du pouvoir, qui transforme l’Etat en butin qui doit être distribué et en quotas selon les influences politiques et les procédures administratives.

Le pouvoir use et nuit à celui qui l’exerce en altérant sa crédibilité, en particulier en cas de promesses non tenues.

Le caïnisme ou cannibalisme est orienté vers l’aspirant concurrent. L’ami  et le partenaire de combat d’hier deviendra l’ennemi à abattre.

Pour conclure, si la politique est fondée sur l’imposture et le cannibalisme pourquoi est-elle si prisée ?  Peut-on parler de politique honnête ? N’est-il pas un oxymore ?

 

 

* Pharmacien, MD en Droit de la Gouvernance et de la Lutte contre la corruption, membre du Laboratoire de Gouvernance. Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales de Tunis 1. Université de Carthage.

 

 



[1]KILANI, Mondher. Le cannibalisme. Une catégorie bonne à penser. Dans Études sur la mort 2006/1 (no 129), pages 33 à 46. Disponible sur https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2006-1-page-33.htm


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7 min
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Commentaires
takilas
Paradoxes.
a posté le 29-09-2020 à 13:54
Ces termes n'existaient pas du temps de Feu Bourguiba et surtout lors de la période d'extase de l'indépendance, qu' n'a duré en fait, nonobstant cette extase historique, qu'à peine trois décennies tout-au-plus.
MFH
L'homme, l'animal le plus dangereux.
a posté le 29-09-2020 à 09:33
Quelque soit son niveau de développement, l'homme reste un animal particulier. Qu'on le veuille ou non !!
MH
Très agréable à lire
a posté le 29-09-2020 à 07:38
Un texte subtil sur la forme et le fond à la limite philosophique.