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Chroniques
Injustice
Par Marouen Achouri
04/12/2024 | 16:00
4 min
Injustice

 

Notre confrère Mourad Zeghidi a été placé, hier, sous le coup d’un mandat de dépôt dans une sombre affaire de blanchiment d’argent. Borhen Bssais également. Mourad Zeghidi purge actuellement une peine de huit mois de prison pour atteinte à l’ordre public et attribution de faits non réels à un fonctionnaire public. Ni lui, ni ses avocats ne savent quels ont été les « faits non réels » en question ni de quel « fonctionnaire public » on parle. La condamnation en première instance avait été prononcée le 22 mai, donc la date de libération de Mourad Zeghidi était proche. Une délivrance attendue impatiemment par ses filles, sa famille et ses amis. L’annonce de l’émission de ce mandat de dépôt a eu l’effet d’un coup de poing dans l’estomac de toutes les personnes qui connaissent et apprécient notre valeureux confrère, Mourad Zeghidi.

Le cas de Mourad Zeghidi pousse à une vraie réflexion sur la justice et sur la place qu’elle occupe dans notre société. Avec les avancées technologiques actuelles, le fait de remplacer les juges par une intelligence artificielle ou plus simplement par un robot qui prononcerait une peine de prison en application de l’article de loi concerné a été envisagé. D’ailleurs, l’expérience a été tentée en Californie pour les délits routiers, par exemple. Au moins, un robot sera forcément indépendant de l’autorité politique et ne risque pas de recevoir des coups de fil qui lui diront quoi faire. Mais ce n’est pas possible.

 

Un juge n’est pas là pour appliquer aveuglément des peines de prison ou des punitions extraites des articles de loi des différents codes. Sans l’aspect humain, sans l’intelligence du juge, sans le souci constant qu’il doit avoir de se rapprocher, autant que faire se peut, de la justice, sans la conscience propre du juge, il ne saurait y avoir de justice. Le juge est supposé être la conscience de la collectivité et le gardien du temple de la cohésion sociale.

A chaque instant de son exercice, le juge doit être conscient qu’il tient entre ses mains le destin d’une personne. Cette personne a une famille, des enfants, des parents. Cet accusé est parfois à la tête d’une entreprise qui emploie d’autres personnes, qui nourrit des familles. Envisagé de cette manière, la seule bonne manière, le poids qui repose sur les épaules des juges en deviendrait presque surhumain. Malheureusement, bien trop rares sont les magistrats conscients de ce poids dans les couloirs des tribunaux en Tunisie. Il en existe encore, heureusement.

 

Tous les régimes qui se sont succédé à la tête de la Tunisie ont tenté, d’une manière ou d’une autre, de mettre la main sur l’appareil judiciaire pour des raisons évidentes. L’indépendance de la justice est une notion toute relative en Tunisie puisqu’il existe des juges qui envisagent leur métier comme celui de simples fonctionnaires, de simples exécutants qui appliquent les ordres du régime politique en place. Viennent après les propagandistes du régime en question pour parler de l’indépendance de la justice, du temps judiciaire, du fait que les juges traitent des dossiers uniquement et autres justifications ridicules. Le plus tragique dans tout ça c’est que les « justificateurs » d’hier sont les accusés d’aujourd’hui. La roue finira forcément par tourner, c’est dans la nature des choses.

C’est pour cela que les juges se doivent d’être au-dessus de ces tergiversations et ne pas être à la solde de qui que ce soit. L’histoire récente de la Tunisie est pleine d’exemples de juges qui ont accepté d’appliquer les directives à un moment donné et qui ont dû rendre des comptes devant leurs confrères plus tard. L’histoire de la Tunisie est remplie de récits d’injustices diverses où des personnes passent des mois, voire des années, en prison sous le coup de mandats de dépôt et de persécutions diverses avant même qu’une condamnation soit prononcée. Tout récemment deux anciens ministres ont bénéficié d’un non-lieu après avoir passé deux ans en détention. Le nombre de personnes sous le coup de mandats de dépôt, alors qu’il serait tout à fait possible de poursuivre l’instruction en les laissant en liberté, ne se compte plus. Cela crée un climat au sein duquel aucun développement, aucun progrès économique ou social ne peut être accompli.

 

Ces principes sont connus depuis le temps d’Ibn Khaldoun que le président de la République, Kaïs Saïed, cite tellement souvent. Mais entre la théorie et la pratique, la différence est flagrante. Mourad Zeghidi n’est pas homme à se dérober à la justice de son pays. S’il y a bien une personne qui aurait pu claquer la porte et vivre dans un autre pays c’est bien lui, mais il a toujours refusé de le faire. Il se retrouve aujourd’hui accusé de blanchiment d’argent, à quelques semaines de la fin d’une peine, de toute façon injuste. Espérons que Mourad Zeghidi ne sera pas victime de l’injustice, deux fois.

Par Marouen Achouri
04/12/2024 | 16:00
4 min
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Commentaires
Zico
c'est tellement flagrant qu'on n'est plus gêné.
a posté le 05-12-2024 à 18:43
Je l'ai dit plusieurs fois. Je ne comprends pas comment un juge peut prononcer une sentence injuste et condmaner une personne à la prison et ensuite rentrer chez lui et dormir l'esprit tranquille..
Le cas de Mouad Zeghidi n'est pas unique. Il faut s'attendre au même modus operandi avec Sonia Dahmani, Boughalleb, Abir et compagnie, un nouveau mandat de dépôt sera émis à la veille de la libération et on prolongera la période de détention et ainsi de suite.
C'est rendu tellement flagrant qu'on ne se gêne plus de le faire.
Imaginez combien on doit se marrer du coté d'interpol à chaque fois qu'on recoit un mandat d'arret international émis par la Tunisie.
A4
Casseroles
a posté le à 11:30
Quand un juge traîne des casseroles derrière lui, il a le reflex de vouloir sauver sa peau en courbant le dos et établissant les sentences attendues par le pouvoir en place.
DHEJ
Appareil judiciaire
a posté le 05-12-2024 à 09:57
Fait par des personnes injustes... Le Bey et la convention de la Marsa de 1883...
Ammar berguedi
Merveille
a posté le 04-12-2024 à 22:50
La belle histoire des trois taureaux.
Beaucoup de personnes n'ont pas supporté la présence des frères au pouvoir et ils ont usé de tout moyen pour les renverser aujourd'hui certainement ils ne doivent pas se plaindre de la justice en place .
A4
La seule et unique réalisation de la décennie rose ...
a posté le 04-12-2024 à 19:37
PRISON POUR TOUS
Ecrit par A4 - Tunis, le 16 Novembre 2024

Et un mois de prison par-ci
Puis dix ans de prison par-là
Votre tableau est bien noirci:
Vous êtes tous des hors-la loi !
Content, moi je leur dis merci
A tous ces juges et leur mollah

Ne dites pas que je suis lâche
Ou que je suis une vieille savate
Car quand je fuis, quand je me cache
Au fond d'un puits ou une boîte
C'est bien pour éviter les clashs
Du décret-loi cinquante-quat'

Non, vous ne m'entendrez jamais
Vous dire du mal de son altesse
Dont les sages paroles enflammées
Donnent un grand signal de détresse
Pour que les "tiktokeuses" cramées
Nous cachent enfin leurs paires de tresses

Je ne peux dire par imprudence
Que "ce pays est merveilleux"
Pour mériter, pour insolence
Propos débiles et cafouilleux
Prison, bagne, voire même potence
Destin sordide et pagailleux

Je ne peux que les applaudir
Nos braves juges intraitables
Qui ne pratiquent l'art d'interdire
Que pour chasser tous les diables
Et nous apprendre à obéir
En soumis et corvéables

Nous vivons une belle époque
Il faut bien le reconnaître
Même si tu peines ou tu suffoques
Dis merci à ton Grand Maître
Sinon tu passeras au bloc
Réservé à tous les traîtres !
Gg
Très belle réflexion...
a posté le 04-12-2024 à 18:00
...à laquelle j'adhère totalement.
Elyess
Reponse
a posté le 04-12-2024 à 16:53
En Tunisie, appliquer les directives est malheureusement moins risqué que de ne jamais appliquer les directives puisqu'il vous suffira, malheureusement toujours, d'appliquer de nouvelles directives pour vous en sortir.