Le parti Ennahdha a décidé de traduire les journalistes et les médias qui lui sont hostiles devant les tribunaux. Cette décision importante et grave de conséquences, est bizarrement passée sous silence comme si elle a eu un effet immédiat sur nombre de nos médias. Pourtant, compte tenu de ses implications directes sur les prochaines élections, mais surtout sur la liberté de la presse et la liberté d’expression dans le pays, elle mériterait qu’on s’y attarde.
Dans un communiqué de son bureau exécutif réuni vendredi dernier, Ennahdha annonce qu’il poursuivra en justice tous les journalistes et les médias qui dénigreraient le parti. Dans l’absolu, rien n’empêche un individu ou un groupe d’individus regroupés au sein d’une association, d’un parti ou une institution quelconque de s’adresser à la justice s’ils se sentent lésés par des écrits ou des positions relayés par des médias. Les journalistes et leurs structures ont toujours affirmé qu’ils ne sont pas au dessus des lois. Ils ont été les premiers à décrier les écarts et les errements de leurs collègues quand cela était nécessaire. L’usage du droit de poursuite en justice ne devrait pas donc avoir la forme d’une menace et ne nécessite pas une annonce préalable, sauf si les visées de ce communiqué sont autres.
Il faut rappeler d’abord que contrairement à ce que le communiqué laisse entendre, Ennahdha avait recouru à plusieurs reprises à la justice contre des journalistes et des médias. En 2011, en pleine campagne électorale, le mouvement a fabriqué, de toutes pièces, une affaire qui a mobilisé l’opinion publique autour du film Persépolis passé sur la chaîne Nessma avec un taux d’audience qui n’avait pas dépassé les 2 pour cent. Cette affaire avait à l’époque réussi au parti islamiste qui jouait à fond la carte des valeurs religieuses et lui a permis de gagner les élections du 23 octobre et de dominer le paysage politique durant presque trois ans.
Aujourd’hui, à l’approche des élections municipales du 6 mai prochain, rejouer la carte de la victimisation du parti et de ses dirigeants ; ainsi que la carte de l’intimidation des médias et des journalistes pourrait s’avérer payant, penseraient les membres du bureau exécutif d’Ennahdha.
Seulement, les périodes électorales sont une occasion pour les médias de faire le bilan des partis en lice. Concernant le parti islamiste beaucoup de dossiers restent en suspens. Il s’agit de ses rapports avec la nébuleuse mondiale des frères musulmans, de son implication ancienne dans les attaques à l’acide contre des civils, des attentats à la bombe contre des hôtels au sahel, de sa responsabilité dans l’affaire Bab souika.
Plus récemment, les médias ne peuvent occulter, en faisant le bilan d’Ennahdha, la responsabilité politique de ses dirigeants dans l’assassinat de Chokri Belaid, Mohamed Brahmi ainsi que dans le dossier de la chevrotine de Siliana. Ils ne peuvent taire l’implication de son ministre des Affaires étrangères dans une affaire de malversation.
Durant presque trois ans, Ennahdha a géré le pays et assume une large responsabilité dans les difficultés actuelles et passées. La question de la prolifération du terrorisme dans le pays est aussi largement liée à la gestion d’Ennahdha qui a laissé faire. La gestion du dossier de l’attaque contre l’ambassade américaine et celui d’Abou Iyadh sont là pour nous rappeler le laxisme qui a caractérisé le comportement d’Ennahdha et de ses dirigeants envers le fléau terroriste naissant.
En parler aujourd’hui à l’approche d’une échéance électorale entre t-il dans le vif du travail du journaliste et du rôle d’informer et d’éclairer l’opinion publique des médias ou au contraire s’inscrit-il dans le cadre du dénigrement et des accusations mensongères contre le parti et ses dirigeants ?
Heureusement pour la presse, il n’y a pas que de mauvaises nouvelles. Il ya à peine quelques jours, un tribunal a définitivement débouté Sihem Ben Sedrine, qui a cherché durant quatre ans, en multipliant les procès, à intimider un journaliste et un média et les mettre sous pression (l’affaire Ben Sedrine contre Nizar Bahloul et Business news). Elle a perdu, la liberté de la presse en est sortie renforcée et la bataille continue.

