Ennahdha discrédité par l'un des siens !
L’ancien leader et militant d’Ennahdha, Hammadi Jebali n’a pas manqué d’attaquer le parti qui l’avait bercé depuis sa jeunesse insinuant qu’il bénéficiait, parmi d’autres partis politiques, d’un financement étranger. Un financement tant nié par les dirigeants du parti islamiste esquivant souvent la question de la provenance de leurs fonds. Le tout exacerbé par la présence d’un cadre juridique incertain, assurant ainsi un climat propice pour la propagation de ces pratiques malveillantes.
« Si tous les partis politiques refusaient l’argent sale et suspect, ils seraient tous en crise y compris Ennahdha malgré ses ressources », ainsi a déclaré Hammadi Jebali, ex-dirigeant au sein d’Ennahdha et ancien chef du gouvernement sous la Troïka.
Des propos qui tranchent avec le discours habituel d’Ennahdha et qui pourraient même choquer d’autant plus que le parti a réfuté, à maintes reprises son recours aux financements étrangers pour alimenter ses différentes campagnes électorales. C’était Hammadi Jebali en personne qui avait nié toute association avec l’argent étranger en 2011, quand il a été interrogé sur les sources de financement d’Ennahdha.
« Le mouvement fait face à de nombreuses accusations à ce sujet. Cependant, il ne va plus se taire et saisira la justice. Ennahdha est un parti populaire et il a ses membres et ses sympathisants. Personne n’a été capable d’épingler Ennahdha à ce propos et nos sources sont claires. Elles proviennent des enfants du mouvement, de leurs sacrifices et de leur foi en les principes et valeurs d’Ennahdha ».
Une position partagée par le président du Conseil de la Choura, Abdelkarim Harouni ayant affirmé que les adhérents au parti demeurent les principaux donateurs et qu’Ennahda était un mouvement indépendant et financièrement autonome ne bénéficiant d’aucun financement étranger.
Des déclarations qui étaient venues suite à de nombreuses allégations - jugées sans fondements par Ennahdha - essentiellement de la part du Parti destourien libre (PDL) qui est allé jusqu'à déposer une requête auprès du procureur de la République du Tribunal de première instance de Tunis afin qu’une enquête judiciaire soit ouverte à l’encontre d’Ennahdha. Cette enquête avait porté sur les financements étrangers du parti islamiste et plus précisément les fonds d’un montant de 150 millions de dollars qu'on soupçonne Rached Ghannouchi d'avoir reçus de la part des Qataris après sa visite au Qatar, la veille des élections législatives de 2011.
Ainsi, les financements étrangers ont toujours été démentis par les dirigeants d’Ennahdha qui avaient exprimé leur disposition entière à collaborer avec la Banque centrale lorsque l’institution avait appelé les banques à procéder à un audit des comptes du parti ainsi que d’un nombre de ses dirigeants notamment Rached Ghannouchi suite à la requête formulée par la Cour des Comptes.
« L’audit des comptes bancaires d’Ennahdha ne nous intimide pas. Il s’agit uniquement d’une procédure ordinaire qui ne fait pas peur au parti tant que cette mesure est conforme à la loi. Ennahdha a présenté ses comptes dans les délais et a respecté les réglementations régissant le financement des campagnes électorales », avait précisé le porte-parole d’Ennahdha, Imed Khemiri réagissant à cet audit.
La cour des Comptes avait, par ailleurs, précisé dans son rapport qu’Ennahdha avait obtenu 135.569 dons. Parmi ces dons, 68 ont été versés pendant la période 2016-2018 avec des montants respectifs de 12.525 dinars, 1.944 dinars et 5.870 dinars. Après consultation du registre de l’état civil, il s’est avéré que ces 68 dons ont été versés par des morts, dont 25 décédés depuis 11 ans.
D’après la justification d’Ennahdha, incluse dans ce rapport, 11 cas parmi ces 68 sont dus aux dons effectués par un parent ou un proche au nom de la personne décédée. Pour ce qui est des autres cas, cette anomalie est due à des erreurs dans l’inscription des données, précise le parti.
Si le financement étranger ne peut être démontré en l'absence de preuves concrètes et irréfutables qui pourraient être remises à la justice, le soutien apporté par le Qatar au mouvement islamiste est indéniable.
La visite de l’émir du Qatar en Tunisie, la nomination de Rafik Abdessalem, directeur du centre de recherches stratégiques rattaché à la chaîne qatarie Al Jazeera au poste du ministre des Affaires étrangères ainsi que la désignation de Tarek Dhiab, consultant sportif de la même chaîne au poste de ministre des Sports, en témoignent.
Néanmoins, l’ambiguïté persiste autour des sources du financement du parti islamiste. Selon Ennahdha, le budget du mouvement pour l’année 2019 s’élève à 6,442 MD soit une augmentation de 7% par rapport à l’année 2018. 5% de ce budget provient des adhésions au parti alors que 5% sont sous forme de participations. Toutefois, la provenance des 90% restant n’a pas été clarifiée fomentant davantage les suspicions et attisant les controverses autour du parti islamiste.
En tant que démocratie naissante, la Tunisie souffre d’opacité en matière de financement des partis politiques, rendant la traçabilité de ces fonds difficile et multipliant éventuellement les infractions pour Ennahdha aussi bien que pour le reste des partis politiques. La loi, afin d’entraver les dérives et la concurrence déloyale, interdit certes tout financement étranger des partis politiques en vue d’éviter toute ingérence étrangère dans les affaires nationales et pour que les programmes de ces partis ne soient pas influencés, voire dictés, par ces donateurs dont la contribution n’est pas plafonnée.
Le degré d’implication des pouvoirs publics dans le financement des partis politiques et la subvention de l’Etat lors des campagnes électorales pose, de surcroît, problème, car pour ce faire, l’Etat devra puiser dans la caisse du contribuable et mobiliser les ressources publiques. Une accusation dont le parti du chef du gouvernement, Youssef Chahed, Tahya Tounes a été victime.
Dans le cadre de la garantie de l’intégrité et la transparence des résultats du scrutin, le président de l’Inlucc, Chawki Tabib a appelé à finaliser le cadre législatif organisant le financement public des partis politiques et leur contrôle comptable ainsi qu’à mettre en place des sanctions sévères pour tous ceux qui sont reconnus coupables d’avoir perçu des financements étrangers directs ou indirects.
Faute d’autofinancement suffisant pour la plupart des partis politiques, ces derniers recourent à des sources supplémentaires pour subvenir à leurs besoins. Même si la cotisation des sympathisants du parti et des divers donateurs présente un risque compromettant l’équité des chances entre les différents candidats et portant ainsi préjudice à la qualité de la démocratie, cette pratique est, visiblement, existante.
Les sources de ces dons sont, des fois, suspectes, d’autant plus que certains hommes politiques ont été impliqués dans des affaires de corruption à savoir l’affaire de Sheratongate où un don chinois estimé à 1,640 MD et destiné à l’organisation d’un colloque aurait été versé dans le compte bancaire personnel de Rafik Abdessalem.
Le nom du président de Machrouû Tounes, Mohsen Marzouk a, lui aussi, été cité dans la plus grosse fuite d’informations concernant les comptes offshore et avoirs dans les paradis fiscaux de 140 responsables politiques et personnalités de premier plan connu sous le nom « Panama Papers ».
Cependant, Mohsen Marzouk avait nié toute association avec ces comptes soulignant qu’il s’agissait d’une rumeur propagée par ses détracteurs et visant à le dénigrer et l’écarter de la vie politique. Un argument plus que prévisible dans de telles circonstances..
Boutheïna Laâtar