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Tribunes
Système parlementaire ou présidentiel : That's the question !
05/07/2012 | 1
min
Système parlementaire ou présidentiel : That's the question !
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Par Salah Oueslati
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Le parti Ennahdha semble militer pour l’instauration d’un régime parlementaire en Tunisie avec un président qui garderait un pouvoir symbolique, comme c’est le cas en Italie ou en Espagne. L’idée est séduisante et ce système a l’avantage de mettre un terme au risque de l’émergence d’un « Rais » qui profiterait de la légitimité du suffrage universel pour se tailler une constitution sur mesure et accaparer tous les leviers du pouvoir.
Il est vrai que la dérive monarchique du système présidentiel existe même dans des pays de longue tradition démocratique comme la France. Dans ce pays, la Constitution de la cinquième république a mis en place un véritable monarque à l’Elysée depuis De Gaulle jusqu’à Sarkozy, et c’est seulement grâce à une presse libre et un tempérament frondeur que les Français parviennent tant bien que mal à freiner cette dérive monarchique.

Le système présidentiel américain a, de son côté, l’avantage d’avoir instauré une véritable séparation des pouvoirs, un système de freins et contrepoids (checks and balances), une presse libre et un pouvoir judiciaire indépendant. Mais, malgré ces garde-fous, ce pays n’est pas totalement à l’abri des abus de pouvoir de la part du locataire de la Maison Blanche, notamment en période de crise grave, comme on l’a vu avec George Bush suite aux attentats du 11 septembre 2001.
L’autre avantage de l’abandon du système présidentiel, notamment en Tunisie et dans tous les pays arabes, est psychologique : la disparition de la personnification du pouvoir qui tend à engendrer le culte de la personnalité qui se manifeste souvent par la présence du portrait du « Rais » dans toutes les administrations publiques.

Cependant, le régime parlementaire n’est pas la panacée ; il est loin d’être exempt de tout risque. Par exemple, le système britannique avec son scrutin uninominal à un tour consacre l’hégémonie du Premier ministre dont le parti a obtenu la majorité absolue au Parlement ; un Premier ministre qui, en terme de pouvoir, n’a rien à envier au « monarque de l’Élysée », comme ce fut le cas sous Margaret Thatcher ou Tony Blair. L’autre inconvénient majeur du mode de scrutin britannique est qu’il débouche sur la domination de deux grands partis politiques et l’exclusion des petites formations. La coalition actuelle entre le parti conservateur et le parti libéral n’est qu’une exception à la règle qui a prévalu pendant plusieurs décennies.
L’Assemblée constituante devrait tirer les leçons des ces deux systèmes qui ont fait leur preuve et montré leurs avantages et leurs inconvénients et essayer d’être inventive. Une telle méthode pourrait permettre l’adoption d’un système qui comporte les avantages du système parlementaire sans tomber dans les excès du présidentialisme. Autrement dit, un système avec un Parlement détenant de réels pouvoirs et un président au dessus de la mêlée, représentant de tous les Tunisiens et garantissant ainsi l’unité et la cohésion du pays. Ce dernier devrait être élu au suffrage universel à deux tours pour lui donner une légitimité populaire et pour garantir l’autorité de l’Etat. Il devrait disposer du droit de véto sur toute législation adoptée par le Parlement, mais sans le pouvoir ni de nommer le Premier ministre (cette prérogative devrait revenir au Parlement), ni les membres de son gouvernement. Le président devrait en outre avoir la prééminence de la politique étrangère, mais la conduire en coordination avec le Premier ministre. Bref, un président jouissant de pouvoirs réels dans des domaines réservés, mais pas un président omnipotent. Tout doit être fait pour garantir un équilibre entre les trois pouvoirs.

L’importance du mode de scrutin
Le mode de scrutin, qui peut paraître comme une question technique, est fondamentale pour éviter toute dérive « autoritaire » dans un système parlementaire ou présidentiel. Par exemple, la représentation proportionnelle est un mode de scrutin qui tend à favoriser le multipartisme, ou compétition ouverte entre de nombreux partis, contraints après les élections de nouer des alliances pour former une majorité parlementaire. Mais l’inconvénient majeur de ce système est qu’il débouche très souvent sur une situation d’instabilité permanente et un pays ingouvernable. Le scrutin majoritaire à un tour tend à instaurer, ou à maintenir, un système dualiste (ou bipartisan) dans lequel le parti gagnant, ayant obtenu la majorité nationale des sièges, peut gouverner seul ; tandis que le scrutin majoritaire à deux tours tend, quant à lui, au multipartisme mais il contraint les partis à conclure des accords de désistement entre les deux tours, et les rend par conséquent plus dépendants les uns des autres que ne le fait la représentation proportionnelle.

Il faut donc rester extrêmement vigilant lors du débat sur la loi électorale qui sera adoptée dans les mois qui viennent en Tunisie. Les différences dans le mode de scrutin ont des effets sur le nombre et la configuration des partis, mais aussi sur les rapports qu’ils entretiennent : alternance, indépendance, et accentuation stratégique des écarts entre les programmes. Un scrutin majoritaire à deux tours avec une petite dose de proportionnelle a, non seulement l’avantage de garantir une stabilité politique, mais en outre de permettre à des petits partis d’être représentés. Bien sûr, le mode de scrutin à lui tout seul n’est pas toujours déterminant : les réalités nationales, les idéologies, et surtout les structures socio-économiques ont un impact parfois décisif à cet égard.
Dès lors, sans une véritable séparation de pouvoirs, sans une justice indépendante, sans la liberté d’expression, de rassemblement et de la presse et sans la liberté d’association, pour ne citer que les plus importantes, aucun système politique, qu’il soit parlementaire ou présidentiel, ne débouchera sur une véritable démocratie.

*Salah Oueslati est maître de conférences à l'université de Poitiers. Il est également chargé de séminaire à l’Université de Sciences Politiques de Paris.
Spécialiste des États-Unis et de tout ce qui touche aux relations internationales, il est titulaire d'un doctorat en Études américaines à l'Université de la Sorbonne, Paris IV et d'un master en Droit à l'Université de Panthéon Sorbonne Paris 1.
Il est aussi auteur de nombreux articles et a contribué à des ouvrages collectifs en anglais et en français.
05/07/2012 | 1
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