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Chroniques
La Tunisie hypothéquée
24/10/2013 | 1
min
La Tunisie hypothéquée
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Par Mourad El Hattab

La dette publique tunisienne et majoritairement extérieure est au cœur de l’actualité, instances financières internationales, organismes multilatéraux de développement, et économistes s’intéressent de près à son volume hypertrophié par rapport à la capacité réelle de la Tunisie de la rembourser, à sa soutenabilité et surtout à la manière avec laquelle elle a été utilisée durant ces deux dernières années.

Au milieu du dix-neuvième siècle et pour faire face aux dépenses de fonctionnement du Royaume, Sadok Bey contracta de lourds emprunts à l'étranger dans des conditions catastrophiques et doubla l'impôt personnel ce qui provoqua une révolte sévèrement matée. Le chaos financier continua et engendra l'intervention des puissances européennes mettant ainsi, les finances de l’Etat sous la tutelle de la commission financière internationale pour que La Tunisie tombe, finalement, sous le joug de l’occupation.

L’état actuel

D’après les données publiées dans les rapports de la Banque Centrale de Tunisie, l’endettement extérieur de la Tunisie s’élève à fin décembre 2012 à 31,8 Milliards de Dinars et ce, compte tenu des crédits accordés par le Fonds Monétaire International et par La Banque Islamique de Développement destinés par cette dernière au financement de projets «Halal», on se trouve ainsi à un niveau inédit dépassant les normes internationales admises d’emprunts étrangers et qui représente 37,4% du revenu national disponible brut.

La dette extérieure tunisienne a un coût moyen de l’ordre de 4% et est libellée principalement en Euro et en Dollar U.S. Ceci posera certes des difficultés majeures dues au risque de change en augmentation constante lors du remboursement du service de la dette en raison de la baisse vertigineuse et continue du Dinar par rapport aux monnaies en question depuis deux ans. Il ne faut pas aussi négliger le fait qu’une partie des emprunts extérieurs est à marge de taux variables indexés sur l’évolution de la notation souveraine de La Tunisie et qui est périodiquement revue à la baisse notamment à partir de la fin 2011, à un niveau de risque élevé par les principales maisons de rating bientôt proches au seuil critique du défaut de paiement : la banqueroute.

La situation de la Tunisie, aujourd’hui, sous La Troïka se résume au fait que le pays s’endette pour consommer et pas pour investir. Emprunter de l’argent à long terme pour le dépenser à court terme est le pire cas d’endettement, ce choix désastreux de point de vue économique est la cause de l’émergence des principaux risques majeurs monétaires et financiers que nous vivons actuellement et que payeront, hélas, des générations de Tunisiens.

Quid de la capacité de remboursement de la dette extérieure tunisienne


Les données de la note se rapportant aux résultats provisoires de l'exécution du Budget de l'Etat à fin juillet 2013, selon le ministère des finances, indiquent que La Tunisie s’est acquittée du paiement d’un montant global relatif au service de sa dette extérieure, principal et intérêts, de 2,123 Milliards de Dinars, ce montant atteindra 3,448 Milliards de Dinars au terme de l’exercice budgétaire actuel. Ce qui représentera 20,3% des dépenses de gestion de l’Etat. Autre fait qui rendra le paiement plus difficile est que la tranche de la dette extérieure remboursable sur l’intervalle [10,20 et plus ans] est de 81,3% de l’ensemble des crédits contractés à l’étranger.

Ainsi, chaque tunisien, est condamné à rembourser pour la Troïka, aux prix constants, 2.947 Dinars annuellement de dettes qui lui ont été inutiles et injustifiés dont une bonne majorité a été consommée durant, dans un laps de temps assez cours, pour payer essentiellement les frais d’une gouvernance désastreuse des finances publiques.

Mais où est passé l’argent ? La réponse n’est pas difficile : les dettes n’ont pas servi à l’investissement, ni dans l’infrastructure, ni dans la création d’emploi. La dette a été consommée pour résorber, en partie, le déficit commercial et renflouer artificiellement les réserves en devises. Chose intrigante, l’Assemblée Constituante avait approuvé 27 crédits extérieurs, durant 2012, pour une valeur globale de 7,9 Milliards de Dinars : un chiffre jamais vu dans l’histoire de Tunisie indépendante pour que les dépenses de développent et d’investissement ne dépassent selon les données officielles disponibles actuellement le chiffre dérisoire de 1,508 Milliards de Dinars.

La manière avec laquelle a été utilisée la dette extérieure durant l’ère de la troïka est donc une affaire qui pose plusieurs interrogations du point de vue de la gestion financière publique selon les standards couramment acceptées, ce qui nécessitera, impérativement, des comptes à rendre aux tunisiens voire même un examen approfondi de ladite gestion pour que cette dette ne devienne une dette odieuse.
Le recours excessif des gouverneurs actuels, provisoires, du pays à l’endettement extérieur au détriment de la dynamisation de fonds mobilisateurs de l’investissement et de l’exploitation optimale des facteurs de production était néfaste sur tous les plans au point que les institutions financières internationales ont déjà coupé leur concours monétaires à la Tunisie devenue incapable d’engager les réformes recommandées par les instances financières internationales faute de transparence et surtout de compétence.

In fine, l’endettement extérieur des deux dernières années n’a abouti à aucune création de ressources suffisantes pour le rembourser ce qui signifie que la dette tunisienne est tout simplement non soutenable, c'est-à-dire qu’elle est difficilement remboursable. Autres leçons à tirer de cet épisode d’endettement pharaonique : les financements extérieurs accordés n’ont jamais conduit à la «croissance» promise de 4,5 % annuelle, à l’immunisation de notre pays aux chocs internes et externes tels que la dégradation des termes d’échange, la consolidation des institutions notamment financières, la maîtrise des fléaux sociaux ravageurs et surtout la réalisation des objectifs fixés par la «révolution» du 14 janvier 2011 tels que le plein emploi, l’égalité, de la dignité et tant d’autres objectifs assumés par le gouvernement «révolutionnaire» de la Troïka.

Pour l’histoire, La Tunisie a vécu des crises d’endettement dans le passé, la crise actuelle en est la pire depuis son Independence.

Sans empiéter sur le domaine des historiens, espérons tout de même que la crise actuelle, très similaire à celle des années 1860, passe sans aboutir à des conséquences aussi dramatiques !

*Spécialiste en gestion des risques financiers
24/10/2013 | 1
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