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Chroniques
De la «Takhmira» révolutionnaire à l'impuissance collective
11/03/2012 | 1
min
De la «Takhmira» révolutionnaire à l'impuissance collective
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Par Sabri Brahem

Au moment où on devait parler du bilan du premier gouvernement «halal» nous voilà mal partis pour un débat souvent musclé sur le drapeau, la souveraineté et les complots présumés. Des complots contre la légitimité du peuple, nous dit-on. Celle là même qui n’est jamais revendiquée lorsqu’on en a le plus besoin, et la où sa manifestation se fait le plus attendre.
Que devons nous retenir de cette affaire de drapeau ? Le nom de notre Marianne à nous? Oui certainement. Son doigt pointé envers le profanateur du drapeau la veille de la fête de la femme? Son courage de rappeler ce qui est évident, sauf pour ceux qui s’obstinent à le défier et surtout ceux qui les protègent et qui ont du mal à forcer l’allure.

Nous n’étions pas encore libres et nous voilà libérés, l’espace d’un matin, de notre hantise obscurantiste, de notre impuissance collective qu’on cache mal derrière nos espoirs de voir la lumière jaillir de nulle part pour mettre fin au noir dans lequel ils essaient de nous faire sombrer tous les jours un peu plus. Un acte libre et libérateur qui a éveillé les consciences qu’on croyait en hibernation volontaire, facilitée tant par la déception que par un égoïsme post-révolutionnaire qui a vite succédé à la «takhmira» collective des premiers mois de la révolution.
La société civile, qui n’a jamais mieux porté son nom s’est vite révoltée contre la démence sénile. Celle là même qui nous guettait, nous effrayait et dont les manifestations se font toujours plus provocantes.
Les forces modernistes, traitées souvent d’islamophobes voire de mécréantes, ne pouvaient s’attendre à un meilleur cadeau pour crier au scandale et justifier une hantise croissante face aux manifestations sociétales de l’Islam politique. De l’arrêt des cours à la profanation du drapeau en passant par les revendications simples comme extravagantes des défenseurs de la Charia.
Ne nous trompons pas de débat. Il ne s’agit pas de religion, et encore moins de souveraineté. Ce sont les principes républicains et l’unité nationale qui sont en jeu. Certes la banalisation des ces manifestions est dangereuse. La stigmatisation aussi.

Minimisés par Ennahdha et ses alliés qui n’y voient que des actes isolés et qui condamnent la diabolisation de l’Islam par certains mauvais perdants, ces actes qui se veulent souvent des crimes émanent de la montée des «Talibanistes» dans la rue et l’hyper médiatisation de leurs crimes. Ceci ne fait qu’accentuer le scepticisme des Tunisiens quant aux discours rassurants du parti de la majorité constitutionnelle et qui affute déjà ses armes pour s’attaquer aux prochaines échéances électorales?
Car si le gouvernement a aujourd’hui du mal à trancher et pousse vers le flou, c’est qu’il agit en parti politique, pour qui le compte à rebours, pour les prochaines élections a déjà commencé, face à des forces modernistes qui voient déjà les prémices d’une dictature religieuse qui ne tardera pas à s’installer.

Un grand pas a été déjà franchi avec les élections faussement constitutionnalistes suite auxquelles Ennahdha s’est rassurée de son assise électorales confortable. Le projet islamiste a, de ce point de vue, une longueur d’avance, étant aux commandes du pouvoir. D’où la mobilisation politico-médiatique pour contrecarrer un projet d’Etat islamique qui cache mal ses contours et dont les protagonistes comptent surtout sur le facteur temps qui permettrait de créer une génération de demandeurs des pratiques islamistes et de l’application de la Charia.
Voir Ennahdha s’installer aux commandes lors des prochaines élections, c’est le cauchemar politique de ceux qui en ont sous-estimé l’assise sociale lors des dernières élections, et dont certains s’obstinent aujourd’hui à reproduire les mêmes erreurs préélectorales en se rassurant (et rassurant les leurs) que le parti au pouvoir n’a plus les mêmes atouts et qu’il avait perdu en trois mois de gouvernement ce qu’il n’a pas perdu en trente ans de diabolisation. Ennahdha a-t-il vraiment perdu du terrain? On ne saurait le confirmer. Il paraît même que la diabolisation croissante du parti et les critiques souvent exacerbées auraient augmenté le capital sympathie du parti. Les attaques aux «médias de la honte» et à l’UGTT n’en sont que la parfaite illustration.

Fort d'une assise sociale indéniable, Ennahdha constitue aujourd'hui une composante essentielle du paysage politique. Faut-il pour autant en avoir peur? La réponse n’est pas évidente. Car si l'on voit certains modèles de sociétés où les islamistes sont bel et bien présents sur la scène politique sans que cela nuise forcément aux fondements de la République, on ne saurait reprocher aux islamistes d'avoir une assise sociale et électorale confortable.
Qu’est ce qui justifie donc la crainte des islamistes?
La hantise d'Ennahdha qui puise certes ses origines dans l'histoire politique peu reluisante du mouvement islamiste en Tunisie et dans son image diabolisée à tort et à raison par l'ancien régime pour des fin politiciennes, trouve également sa justification dans les événements qui ont suivi le 14 janvier, qu'on a imputés aux islamistes et que même un Ghannouchi qui se veut aujourd'hui rassurant et modéré n'a pas réussi à faire oublier.
Des attaques des maisons closes au sit-in devant la synagogue en passant par l’arrestation d’un journaliste et la polémique du Niqab, le mouvement islamiste, n'a de cesse de subir des coups fatidiques pour l'image et qui favorisent de plus en plus une crainte justifiée de voir les islamistes aux commandes de la politique sans avoir à être traités de provisoires.

L'hyper médiatisation des discours radicaux par une jeunesse moderniste, au diapason des technologies de communication et un peu trop jalouse des acquis de la modernité, n'a fait que jeter de l'huile sur le feu même s'il ne s'agit que «d'actes isolés» dont certains ont été dénoncés par les leaders d'Ennahdha. Car, peu habitués à la présence de l'Islam politique et au discours des islamistes, les Tunisiens semblent aujourd'hui refuser en bloc toute thèse politique ayant la religion comme fondement, de crainte de voir le courant islamiste se traduire en des pratiques sociétales qui vont à l'encontre des acquis de modernité, d’où la nécessité de dresser des garde-fous contre toute immixtion du discours islamiste dans le débat sur l'identité nationale. Le débat (souvent musclé) sur la laïcité en est la parfaite illustration.
En fait ce n'est pas tant la force des islamistes aujourd'hui qui fait peur que la voix peu audible, pour la société et les électeurs potentiels, de leur adversaires, divisés qu'ils sont, en plusieurs partis-associations au risque de ne favoriser aucune alternative solide face à la dominance croissante de la rue (et des mosquées) par les sympathisants d'Ennahdha d’autant plus que les efforts d’unité politique tardent toujours à se concrétiser.

Et alors que les défenseurs de la modernité et de la laïcité prennent un vilain plaisir en s'adonnant à un militantisme virtuel et en ridiculisant le discours de certains islamistes parmi les ultraconservateurs voire intégristes, les sympathisants d'Ennahdha envahissent la rue et les mosquées s'assurant davantage de chance de jouer un rôle plus important dans les prochaines échéances électorales. Le résultat se fait déjà sentir au grand dam de ceux qui n'ont pas agi à temps, par les bons moyens.
11/03/2012 | 1
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