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Chroniques
07/12/2009 | 00:00
4 min

Faire son cinéma avec Zara


Par Nizar BAHLOUL

C’est une grande marque internationale de fringues. Ceux qui suivent les tendances de la mode (et ils sont nombreux) ne ratent aucune de ses collections et connaissent sur le bout du fil ses modèles et ses prix. La marque s’appelle Zara et, en Tunisie, elle gagne beaucoup de terrain.
Avant, il y a quelques années, les adeptes du m’as-tu-vu prenaient l’avion pour Rome, Paris ou Barcelone pour faire leurs emplettes en fringues Zara.
Ce temps là est révolu. Maintenant, on ne va plus voir Zara, c’est Zara qui vient nous voir puisque la marque a ouvert son échoppe en Tunisie.
Elle a logé à Tunis City, le centre commercial de Géant, et ceux qui possèdent une voiture, mais n’ont pas les moyens de prendre l’avion peuvent désormais s’offrir du Zara.
Après un franc, et très prévisible succès, la marque s’apprête à ouvrir ses portes à l’avenue Habib Bourguiba en plein cœur de Tunis.
C’est magnifique, c’est extra, les nouveaux adeptes du m’as-tu-vu, ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir une voiture, n’auront désormais qu’à attendre le bus ou le métro pour aller faire leurs emplettes en fringues griffées Zara. La marque est en plein cœur de la ville et a choisi un grand espace pour s’installer, celui qu’occupait, par le passé, une salle de cinéma portant le nom du Capitole.

A Tunis, aujourd’hui, les magasins de fringues remplacent les salles de cinéma. C’est du pareil au même, direz-vous, on n’a pas changé grand-chose.
Les générations d’avant allaient au même endroit pour voir du cinéma, les générations d’aujourd’hui y vont pour faire du cinéma. Il semblerait, en effet, qu’en portant les fringues Zara, on peut faire beaucoup de cinéma. Qu’on peut jouer pleinement la comédie. Montrer qu’on est « in », qu’on a du goût, qu’on a du fric.
Dans l’inconscient collectif, bien entretenu par les pros du marketing, l’idée étant que celui qui porte du Zara est quelqu’un de bien fringué et bien friqué.
Avant, dans l’inconscient collectif, l’idée était que celui qui allait au cinéma donnait l’image de quelqu’un de bien cultivé, de bien pensant. Autres temps, autres mœurs.
De nos jours, on aime faire du cinéma tous les jours et on ne va au cinéma qu’une fois tous les deux ans, à l’occasion des JCC. C’est l’époque et c’est désormais la culture du pays dans lequel on vit.
On ne peut en vouloir ni à Zara de vouloir coller à cette culture et faire son business, ni aux Goubantini (anciens proprios du Capitole) d’avoir cédé leur salle qui ne rameute plus les foules depuis des lustres à l’exception d’une dizaine de jours tous les deux ans, à l’occasion des JCC.

Mais, il y a un mais. Et que les spécialistes des lois, décrets et arrêtés pondus par le ministère de la Culture me corrigent. Il est interdit en Tunisie de fermer une salle de cinéma et d’ouvrir, à la place, un commerce. Les promoteurs du centre commercial Zéphyr à la Marsa en savent quelque chose. Sauf qu’il se trouve qu’on a appliqué cette loi sur les uns, mais on a omis de l’appliquer sur les autres. C’est le cas du Capitole (remplacé par Zara), c’est le cas du Studio 38 (remplacé par un centre commercial), c’est le cas du Cinémonde à la rue de Marseille (remplacé par un Meublatex) et aussi le cas du Palmarium où l’on a cherché à contourner la loi en aménageant quelques mètres d’espace soi-disant culturel pour remplacer la salle de cinéma.

On pourrait arguer que le cinéma ne rapporte plus d’argent, concurrencé violemment hier par la vidéo et aujourd’hui par les DVD (piratés).
Ceci est vrai, mais ne faudrait-il pas limiter la casse et ouvrir des lieux servant à hausser le niveau culturel et intellectuel des Tunisiens, même s’il ne s’agit pas de salle de cinéma ? Peut-on nier que le niveau général est en chute libre et que le Tunisien ne parle aujourd’hui que de foot, n’investit que dans son apparat (GSM, vêtements, voiture et logement) et ne connaît pour son loisir que les cafés et les salons de thé (toujours bondés).

Un jour, on est venu voir le leader défunt Bourguiba pour lui dire que l’Education coûte cher. Sa réponse a été : « essayez donc l’ignorance !»
Conscient de l’importance de la culture et de l’éducation, Ben Ali n’a pas dérogé à la règle et la part du budget PIB consacré à ces deux secteurs a toujours été croissante en valeur absolue et en pourcentage par rapport au budget global de l’Etat.
Où va et comment va cet argent ? L’Etat ne peut pas tout faire, c’est clair et nous en sommes convaincus, mais partout dans le monde, l’Etat intervient et subventionne. C’est à lui de créer ou d’imposer la création d’espaces culturels dans nos nouvelles cités champignons qui en sont totalement dépourvus. Ce même Etat prévoit bien la création d’une mosquée et d’un poste de police lors de l’aménagement de nouvelles zones urbaines. Pourquoi n’élargit-il pas ses prérogatives pour inclure les espaces culturels ?
Pour les centaines de milliers de personnes vivant aux Mourouj, Ennasr, les Berges du Lac, Ain Zaghouan il y a ZERO espace culturel digne de ce nom ! ZERO !

La construction de la Tunisie de demain relève de la responsabilité des dix millions de Tunisiens d’aujourd’hui.
Cette Tunisie de demain (celle à laquelle on aspire, du moins) ne saurait se construire uniquement avec des Zara, des derbys EST-CA et des heures de chicha.

07/12/2009 | 00:00
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