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Journalistes : achevez-les tous !
27/12/2019 | 20:00
5 min
Journalistes : achevez-les tous !

 

Présentée comme l’unique acquis évident depuis la révolution de 2011, la liberté d’expression et de presse fait face aujourd’hui à des obstacles de plus en plus ardus. Agresser les journalistes, les insulter et douter de la véracité de leurs informations sont devenues un sport national. Au-delà de ces pratiques, toute une diabolisation se met en place afin de faire croire que les journalistes obéissent à des desseins obscurs et qu’ils « roulent tous pour quelqu’un ».

 

La présidence de la République s’y met elle aussi. Et lorsque c’est une institution de l’Etat qui rejoint la campagne de diabolisation, cela lui donne une nouvelle légitimité.

Dans une vidéo partagée sur la page officielle de Carthage, c’est un Kaïs Saïed très remonté qui met en garde « les habitués de la diffamation et des calomnies », suite à ce qu’il qualifie de « propagation de rumeurs infondées » après la visite très controversée du président turc Recep Tayyip Erdogan.

Une déclaration qui a très rapidement été raillée sur la toile. Les internautes ont déploré des propos « amateurs » qui « ressemblent plus à ceux d’un modérateur de page Facebook » ou « d’un militant déchaîné » à ceux émanant d’un président de la République.

 

Dans les faits, plusieurs journalistes avaient été empêchés d’assister à la conférence de presse donnée lors de la visite. Sept médias étrangers ont été interdits d’accès au palais présidentiel : les chaînes Al-Jazeera, Al-Hurra, Al-Arabiya, l’agence de presse allemande Deutsche Presse-Agentur, Al-Mayadeen, l’agence de presse Reuters et l’agence américaine Sipausa. La garde présidentielle a même fait pire en confisquant les cartes professionnelles de l’équipe de la télévision Al-Arabi.

D'autant plus que la visite n’a même pas été annoncée par les organes de communication de Carthage et les journalistes ont dû aller chercher l’information auprès de sources étrangères. Aussi, aucune déclaration officielle n’a été donnée par la présidence tunisienne suite à cette visite. Le président turc, quant à lui, s’est exprimé dans les médias étrangers leur expliquant que  « la Turquie et la Tunisie se sont accordées à soutenir le gouvernement Sarraj en Libye ». Une position qui tranche totalement avec ce qu’essaye de faire croire Kaïs Saïed.

 

D’ailleurs, le réseau RSF (Reporters sans frontières) a émis un communiqué aujourd’hui, vendredi 27 décembre, « rappelant à la présidence ses responsabilités envers les journalistes » et l’appelant à « respecter ses engagements en faveur de la liberté de la presse».

Mais Carthage n’est pas la seule institution qui a été derrière un blackout médiatique depuis les dernières élections. Le Bardo y a aussi contribué.  

 

Depuis que Rached Ghannouchi a été élu président de l’Assemblée des représentants du peuple, des tensions avaient aussi éclaté avec les journalistes, empêchés d’assister au Parlement.

Le 7 décembre courant, plusieurs journalistes ont dénoncé leur interdiction d’accéder à l’ARP pour assurer la couverture médiatique des derniers développements du sit-in du bloc parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi. Les dizaines de journalistes qui se sont rendus au Bardo pour accomplir leur devoir et assurer leur travail d’information, affirment qu’ils ont été empêchés même d’y entrer sur ordre de la présidence du Parlement. Ils dénoncent ainsi « un retour vers les anciennes pratiques de la dictature ». Face aux protestations des journalistes, la présidence du Parlement a fini par présenter des excuses.

 

Depuis les élections de septembre et octobre 2019 et le début de la campagne électorale, les pressions contre les journalistes se sont fait de plus en plus ressentir. Les chroniqueurs de la chaîne El Hiwar Ettounsi avaient subi un véritable lynchage sur la toile et de la part de nombreuses personnalités politiques.

Soumaya Ghannouchi, fille du leader d’Ennahdha Rached Ghannouchi, avait utilisé son magazine Meem pour mettre son grain de sel et envenimer la situation. Meem Magazine est en effet allé jusqu’à faire un parallèle entre le massacre rwandais et les opinions des journalistes et chroniqueurs de la chaîne El Hiwar. Tout en diffusant à la fois des images des journalistes d’El Hiwar et du massacre rwandais, Meem affirme que « la raison principale de ce massacre est la propagande faite par des médias locaux pendant des années, et qui a causé un million de morts en seulement 100 jours ». Le magazine met aussi en garde les citoyens contre « les messages de haine propagés par des médias locaux et qui sont plus graves que ce qu'on pourrait imaginer ».

Des dirigeants politiques avaient tenu les mêmes propos, dont le député Al Karama Abdellatif Aloui qui a évoqué « un terrorisme médiatique » et affirmé que certains médias constituent « un foyer de haine et de violence menaçant la paix sociale dans le pays ».

 

Par ailleurs, des journalistes d’El Hiwar avaient été agressés le 13 octobre lors de l’annonce des festivités pour la victoire de Kaïs Saïed au second tour de la présidentielle. Des sympathisants de Kaïs Saïed, ont agressé physiquement et verbalement trois journalistes de la chaîne El Hiwar Ettounsi, Saida Trabelsi, Assila Belgith et Amir Maâmouri. Plusieurs slogans avaient d’ailleurs été scandés à l’encontre des journalistes et du caméraman qui ont été empêchés de couvrir l'événement. 

Plusieurs autres journalistes et chroniqueurs ont eux-aussi payé les frais de l’emballement général et ont été accusés de diffamation, de propagation de rumeurs et même de « collaboration sioniste ».

 

Ce climat de tension général envenimé par l’affolement dû aux dernières élections et l’ascension de certains anarchistes au pouvoir n’a pas arrangé les choses. Ajouter à cela des lignes floues entre politiques et médias pratiques par certaines chaînes de TV et stations de radio appartenant à des personnalités politiques. De quoi fausser le véritable débat sur la liberté d’expression.

Si les journalistes ont, depuis 2011, été dans la ligne de mire d’une partie de la population paranoïaque et mal informée, mais aussi inquiète et particulièrement sur la défensive, les politiques qui sont au pouvoir aujourd’hui ajoutent, intentionnellement, de l’huile sur le feu. Alors que le syndicat des journalistes ne cesse de dénoncer un danger immédiat, très peu de voix se sont élevées de la part des politiques pour condamner le climat de tension général. Des jours sombres attendent les journalistes tunisiens…

 

Synda Tajine

27/12/2019 | 20:00
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Commentaires (10)

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cesarios
| 29-12-2019 14:44
les plateaux télévisés sont dépaysés, les chroniqueurs sont délaissés, " sauve qui peut" , ils doivent chercher ailleurs, la monotonie , le statu quo , les futilités, les conneries, les sottises, les idioties sont de retour,nos décideurs politiques ont jugé que le peuple n'est pas mùr, il n'est pas à la hauteur d'une certaine liberté d'expression, de presse, l'information doit étre permise au compte- gouttes , tout à cacher, à magouiller, à combiner, heureusement que le monde avance, le médias se développent, les réseaux sociaux se renouvellent , les inventions s'améliorent de jour en jour, les bobards se multiplient, les rumeurs se propagent, et personne ne peut arréter l'information , vraie ou fausse, on ne peut concevoir la vie , le monde sans la créer et la répandre, c'est une nécessité vitale

CHDOULA
| 29-12-2019 09:16
Hier aux infos télévisés de 20h sur la watania 1 , lorsque débute la 1ère image du reportage sur la protestation devant l'ambassade de turquie , comme par hasard l'image est coupée brusquement et un entremêlement d'images sur la somalie et la turquie s'enchaine , la présentatrice n' a rien compris , elle se tait elle aussi , elle était gênée , elle a fait un temps d'arrêt , elle ne savait pas quoi dire , jusqu'au reportage suivant sur la somalie , personnellement , je ne crois pas du tout aux incidents techniques et même si c'est le cas la présentatrice aurait pu s'excuser pour cette coupure brusque ! Dans ce pays de fous , on essaye de cacher , d'étouffer , de camoufler , de saboter les infos qui dérangent , le pays est gangréné , il est malade et ça devient très grave !

Maxula
| 29-12-2019 00:59
"Le président turc, quant à lui, s'est exprimé dans les médias étrangers leur expliquant que « la Turquie et la Tunisie se sont accordées à soutenir le gouvernement Sarraj en Libye ». Une position qui tranche totalement avec ce qu'essaye de faire croire Kaïs Saïed."

Ce qu'essaie de faire croire KS !!!
"Essayer de faire croire" c'est essayer de faire gober des sornettes à quelqu'un !
Autrement dit, vous essayez vous-même de faire croire que KS ne dit pas la vérité !
Et ce faisant, vous illustrez vous-même ce que vous dénoncez, à savoir : "faire croire que les journalistes obéissent à des desseins obscurs et qu'ils « roulent tous pour quelqu'un »".

Alors, en un mot comme en cent, quels sont donc vos desseins et pour qui vous roulez, hein ?
Maxula.

BRAVO
| 28-12-2019 15:25
Le dénigrement continu de notre président de la plupart des journalistes suggère que notre journalisme vit toujours dans le passé et de l' argent des Lobbyistes..
Bref, nous n´avons vraiment pas de journalisme !

Sensei
| 28-12-2019 14:15
Le peuple tunisien defendra les medias et les journalistes lorsque ces derniers se comportent en medias et en journalistes, lorsqu ils cessent de jouer le role de machines de denigrement, de falsification de nouvelles, de l execution d agendas de maffieux poursuivis par la justice qui instrumentalisent leur chaines de television, type Nabil Karoui ou Sami Fehri, pour confisquer le pouvoir, lorsque les medias cessent d etre animes par des criminels condamnes par la justice, type Borhane Bsaies ou Sami Waffi, lorsque les medias deviennent independantes et cessent de faire figure des porte paroles des lobbys crapuleux de l ancien regime et aident ces derniers a reetablir la dictature sous d autres formes, etc. Ignorer les medias et les contourner en s adressant directement au peuple qui jugera est une strategie inevitable jusqu au jour ou le pays aura des medias et de journaliste digne de l etre. Traiter une grande partie du peuple tunisien, si ce n est la majorite, de paranoide, au lieu de faire son auto critique et cesser de servir les interets de certaines parties au depend d autres, ne mettra pas fin a la mefiance et au mepris legitimes actuels d une tres grande partie du peuple tunisien pour une grande partie des medias et journalistes tunisiens. La confiance et la protection de la liberte d expression, des medias et des journalistes par le peuple tunisien se merite et ne se gagne pas a travers l argent des lobbys corrompus et maffieux de l ancien regime. Les lois et les campagnes scandalisees ne seront pas une protection. Seul a travers un journalisme honnete, independant, integre, professionnel au service du peuple et non des lobbys, poussera le peuple a lutter contre tous ceux qui veulent porter atteinte a liberte de la presse. En attendant on recolte ce qu on seme. ..

Badran
| 28-12-2019 12:31
Kaïs Saïd sait ce qu'il fait et ce qu'il veut, pourquoi cet acharnement des Emirats à travers ses pions?

watani horr
| 28-12-2019 10:26
Il est clair que certains politiciens ont un niveau bas comparativement à celui des journalistes. Cette pratique de censure ne résout pas le problème, car le tunisien est plus intelligent que les politiciens emmerdeurs qui ne font que mentir, le mensonge est une monnaie courante chez eux et donc les médias ouvrent le voile sur ce mensonge mais les tunisiens retiennent le vrai du faux. Pourquoi, les politiciens ont peur des médias ? car ils analyse les faits réels selon les données qu'ils disposent. Pourquoi les journalistes ont été empêchés d'accéder à l'assemblée ou à la présidence lors de la visite imposée du bandit Erdogan alors que ces médias ne font que monter aux tunisiens qu'un constat de terrain et réel. Cela veut dire que les responsables politiques se cachent derrière leur incompétence et leur incapacité de diriger ce pays. Les chroniqueurs d'El Hiwar Tounsi sont les meilleurs journalistes en Tunisie. Leur analyse de la situation et des personnalités politiques est fondée sur des faits et laissons le tunisien la liberté de juger et de prendre le bon du mauvais. Certains partis politiques sèment le poison entre les tunisiens et constituent un danger pour notre pays et une honte sans précédent tel que Al Karama et cie. Je me demande pourquoi le Président n'intervient pas pour les exclure de l'assemblée en se basant sur les faits réels qui sont contre les valeurs de la République ?

Houcine
| 28-12-2019 02:54
Un candidat à la présidentielle est resté en prison bien que présent au second tour. Libéré deux ou trois jours avant la clôture de la campagne alors que nous assistions à un référendum contre lui sans que cela suscite des réactions à la hauteur de l'enjeu.
La réussite de Kais Saied résulte de cela, à mon sens, et devrait interroger les esprits attachés à l'égalité de traitement, la sincérité du scrutin... aux acquis de la révolution.
Je ne suis pas partisan de Karoui ou d'un autre candidat, mais ce qui a eu lieu m'a conduit à m'abstenir de voter.
Les journalistes attaqués, empêchés d'exercer leur travail est un autre indice des atteintes aux libertés.
Aujourd'hui, les atteintes sont plus nombreuses et lorsqu'elles touchent ceux qui ont pour fonction d'accéder aux lieux de pouvoir, de décision, ceux qui informent, cela nourrit les réactions au sein du microcosme.
La vigilance s'impose, aussi, avec autant d'urgence pour toutes les libertés. On observe, comme vous l'écrivez, des pratiques qui rappellent l'ancien temps.
En particulier, en matière de justice, où les tribunaux sans moyens et des magistrats tout-puissants rendent une justice comme on administre un troupeau.
Je crois que nous restons encore trop loin d'accoster aux rivages d'un pays qui ressemble à ce qu'il veut diffuser comme représentation de lui-même.
Bref, nous sommes en période de latence ou d'apprentissage et encore bien loin de ce que sont des m'?urs pacifiées. Certains veulent se persuader que nous serions en démocratie, or nous venons tout juste d'embarquer pour un tel voyage.

MH
| 28-12-2019 01:42
Bien que les faits soient réels, il y à un soupçon d'exagération.

Ari
| 28-12-2019 00:02
Laissons les journalistes leur liberté et aux politiques d arrêté de jouer avec l intelligence des tunisiens il sont mûrs et adultes de penser et d' avoir une opinion. .
Les enfantillages c est fini.