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Réforme de l'enseignement supérieur et trappe de la mauvaise gouvernance universitaire en Tunisie
19/06/2015 | 16:59
33 min
Réforme de l'enseignement supérieur et trappe de la mauvaise gouvernance universitaire en Tunisie

 

Pr. Karim Ben Kahla

I- Le mythe d’une réforme participative de l’enseignement supérieur: la démarche

C’est le mardi 16 juin 2015, qu’a démarré le « débat sociétal sur la réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique ». Nos universitaires vont avoir de quoi égayer leurs longues soirées ramadanesques. En effet, à l’université, les réformes se suivent mais ne se ressemblent pas. En tout cas, pas tout à fait.

Tous les sept ou huit ans en moyenne, le temps d’un renouvellement de cabinet, le temps qu’un nouveau ministre s’installe, les institutions universitaires sont priées de s’adapter ou obligées de s’aligner alors qu’elles commençaient à peine à digérer ce qui leur avait été présenté comme une panacée.

Un record, faute de résultats. Des promesses, faute de projets réalistes et bien pensés. Vapeurs salivaires pour tenter de redresser ce qui reste de valeurs précaires. Nous revoici aux portes d’une énième réforme de l’enseignement supérieur.

Révolution oblige, il fallait au moins cela. Un peu par obligation, beaucoup pour suivre le mouvement. Quitte à ce que le seul cri de panique, enfin audible, de « tout fout le camp » dispense les principaux concernés de prendre toutes les précautions. Quitte également à ce que l’évaluation objective pour ne pas dire scientifique de l’état de l’institution universitaire, soit quelque peu diluée dans des exposés d’opinions voire un florilège d’impressions.

Contexte social (et syndical) oblige, l’autorité de tutelle avait quasiment sous-traité une réforme à la fédération générale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique. Le temps que cette dernière, se rende à l’évidence : le ministère n’a pas renoncé à sa fonction tutélaire. En attendant la complète restauration de l’autorité de l’Etat, il se permet de ne pas tout à fait adhérer à ce qui a mis longtemps à macérer.

Fini les réformes « d’en haut » voici donc venu le temps des réformes d’«en bas ». S’il faut saluer tous les bénévoles et toutes les bonnes volontés qui ont participé à l’élaboration du projet de réforme et se sont chargés de collecter les opinions et les impressions des collègues, faut-il pour autant occulter la question de l’efficacité de la démarche telle qu’elle a été mise en œuvre ? Des conditions concrètes de la participation et de la représentativité de ceux qui ont parlé au nom de l’université ? De la rigueur du diagnostic de base et de la cohérence et du degré de réalisme du projet soumis?

Trêve de perfectionnisme et de critiques, pourraient rétorquer ceux qui sont pressés de réformer. L’université n’en est pas à une approximation près. Management, performance, gouvernance, qualité, tout le monde (ou presque) sait ce que c’est, ou alors, Wikipédia fera l’affaire pour cerner ce qui, dans le projet de réforme, passent pourtant pour des notions (ou des slogans) clés. Tant pis pour les spécialistes qui s’interrogent encore sur les nuances de la gouvernance universitaire ou qui s’évertuent à comprendre les ressorts du changement des et dans les institutions.

Positivons ! Nous avons enfin, notre démarche participative. On réforme ensemble. Un peu entre nous. Une participation « élargie » même si de fait, elle s’arrête au cercle de « nos amis ». Tout et tous pour le consensus, et s’il est trop mou, il suffit d’y mettre un petit peu plus de flou. Sans trop s’arrêter sur les finalités, sans trop gratter dans le paradigme ni le modèle sous-jacent, sans trop s’encombrer de définitions ni de précisions, les commissions de la réforme ont fait leur boulot. Sommes-nous certains que tous les participants avaient la même idée de l’université ? Avaient-ils au moins la même conception de la « réforme » et de ses finalités ? Avaient-ils les données nécessaires pour un diagnostic digne de ce nom ? En fait, on réforme pour donner quelle forme?

Sauf à faire de la participation une fin en soi, sauf à vouloir éviter la polémique en substituant le bavardage au vrai débat de fond, ces questions ne pouvaient être occultées. En effet, il ne suffit pas d’inviter des collègues à se réunir, à donner leur avis ou même à élire leurs représentants pour que la démarche soit réellement délibérative et participative. Il ne faut pas sortir d’une grande école tunisienne ni être spécialiste de philosophie politique ou avoir lu tout Habermas pour voir que cela manque de l’essentiel : la crédibilité. Pierre Bourdieu avait inventé l’idée de « coup de force symbolique » pour parler de la légitimation de la représentation politique, nous ne sommes pas loin de croire que la participation décrétée dans le cas du projet de réforme de l’enseignement supérieur relève d’une même logique ou l’important est moins la participation que l’illusion de celle-ci. Malgré toute la bonne volonté des uns et des autres, la participation aura manqué de participants si bien qu’il devient nécessaire de s’interroger sur la pertinence de cette solution et de cette démarche pour amorcer le véritable changement.

 

II- Le mythe d’une réforme participative de l’enseignement supérieur: le contenu.

A force de consultations, tout a été prévu dans ce projet de réforme. Un document d’une quarantaine de pages, cinq objectifs, vingt-neuf sous-objectifs et la bagatelle de trois cent vingt-et-une actions à mettre en œuvre dans un horizon d’à peine cinq ans. Soixante-six actions la première année, cent vingt et une actions les deux premières années, cent-dix actions dans un horizon de trois années et vingt-quatre actions avant cinq ans. Bref, il semblerait qu’on ait voulu faire « feu de toute proposition». Tout a été prévu ou presque puisqu’on a tu ou oublié l’essentiel : Quel « modèle » d’université voulons-nous vraiment instaurer (un passage traitant du « modèle d’université » a été rajouté mais après coup)? Quel est le degré de réalisme et de cohérence de ce projet ? Qui va être responsable de faire quoi? Avec quels moyens ? Pour quelles évaluations? Et en contrepartie de quoi? L’administration a-t-elle les moyens humains pour mettre en œuvre ce flot d’actions à un horizon aussi court ? Quel budget faudrait-il prévoir ? Par quoi commencer et quelles sont les priorités pour vaincre les résistances au changement qu’on a complètement ignorées et qui ne manqueront pas de se manifester ?

Serions-nous, encore une fois, aux portes d’une réforme « gratuite ». Une réforme « pour rien », tellement la question des financements est (encore une fois) occultée ? Serions-nous, encore une fois, aux portes d’une réforme « théorique » où la beauté du modèle suffirait à transformer le réel, tellement le diagnostic de base, qui ne tient qu’en deux ou trois paragraphes, est lapidaire pour ne pas dire impressionniste ? Allons-nous nous satisfaire d’une « participation » après coup, dont un grand nombre de décideurs, à commencer par la majorité des doyens, directeurs et secrétaires généraux d’établissements universitaires, ont à peine entendu parler ? Allons-nous fermer les yeux sur les corporatismes et faire semblant qu’un projet essentiellement syndical peut se substituer à une véritable politique nationale ? N’est-ce pas dénaturer la mission du syndicat que d’en faire le maître d’œuvre des politiques publiques ? N’est-ce pas miner la réforme que d’en faire une question de pseudo démocratie participative alors que les problématiques sont de plus en plus complexes et les questions tellement pointues, que seuls de vrais spécialistes pourraient sérieusement avoir leur mot à dire ? Parce qu’ils ne veulent plus qu’on leur mente, les universitaires vont-ils inaugurer une nouvelle forme d’autonomie par le mensonge à soi ? Situation fort paradoxale pour des chercheurs de vérité qui risquent (encore une fois), de prendre leurs rêves pour des réalités pour la simple raison qu’un ensemble même très large de propositions ne fait pas un véritable projet de changement.

La participation présuppose une vision commune suffisamment cohérente et une représentation politique et « statistique » (et non seulement syndicale). Elle devrait permettre de prendre en compte les spécificités locales et ne pas se rabattre sur les généralités globales. Si elle ambitionne de construire un consensus, cela ne devrait pas se faire au détriment d’une responsabilité et d’une redevabilité de tous et pas uniquement du pouvoir exécutif ou du ministère. Il s’agit là de certains aspects qui nous ont semblé être des impensés de la démarche dite participative de la réforme de l’enseignement supérieur. Ceux-ci risquent de faire tomber la participation dans les travers du leurre démocratique et de l’inefficacité pragmatique.

 

III- La question de la gouvernance dans le projet de réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique.

Le troisième objectif de la réforme de l’enseignement supérieur est dans l’aire du temps. Sans trop s’encombrer de définitions, il annonce une volonté de «Promouvoir la bonne gouvernance» et d’«optimiser le management des ressources».

Trois sous-objectifs viennent enfoncer le clou : « Promouvoir la bonne gouvernance à tous les niveaux » ; « Instaurer l'autonomie des universités et des établissements d'enseignement supérieur et de recherche (EESR)» ; « Adopter un système de management favorisant la performance aux trois niveaux (MESRSTIC, universités, EESR) ». Tout un programme et des mots magiques, dans l’aire du temps.

La gouvernance est certes importante. Mais selon quel auteur ou quel paradigme précisément? «Bonne gouvernance» ? Pour qui exactement ? Serions-nous dans un monde ou un pays lisse et sans conflits? Où la «bonne gouvernance» universitaire transcenderait de façon quelque peu utopique les intérêts particuliers ce qui en ferait littéralement, une question sans intérêts? Si aucune vision fédératrice de l’avenir de l’université n’a été réellement discutée, aucune définition de la bonne gouvernance n’est proposée. Comme si les universitaires, pressés par le mouvement, avaient renoncé à leurs vieux réflexes pédants. Comme si une notion directement importée d’un champ disciplinaire très particulier et d’un contexte idéologique fort trempé pouvait ainsi être galvaudée.

Qu’importent les définitions, diraient les activistes enthousiasmés (et trop longtemps frustrés), pourvu qu’on ait l’ivresse de la participation et l’impression de pouvoir décréter le changement. La logique de l’action collective (politique et/ou syndicale) a ambition réformatrice semble ainsi être tentée, une fois n’est pas coutume, de s’affranchir des pesanteurs de la logique tout court. Les réformes réussies pourraient donc très bien s’accommoder de notions controversées, voire erronées. Pourvu qu’elles soient consensuelles, «participatives», conformes à l’équilibre politique et syndical du moment. Par principe, naïveté ou faire semblant, la gouvernance (et tant qu’à faire la démocratie) sera définie de façon participative et « démocratique ». On ne sait pas vraiment à quoi cette «bonne gouvernance» renvoi? Eh bien qu’à cela ne tienne, passons. Les réformateurs même universitaires se contenteront des «sens» pour ne pas dire des lieux communs de la participation, et finiront par mettre tout le monde, à commencer par le ministère de tutelle, sur le droit chemin. En espérant que celui-ci mène quelque part.

De fait, on se retrouve ainsi avec un objectif de « bonne gouvernance » réduit à l’autonomie des universités et à la transformation de celles-ci en établissements publics à caractère scientifique et technologique. C’est beaucoup plus précis, beaucoup plus concret. C’est surtout ce que les arbitrages, les raccourcis et les compromis ont permis. Mais alors, sommes-nous réellement (et encore) dans un registre de «bonne gouvernance» ? La théorie « standard » de celle-ci n’implique-t-elle pas de limiter la «marge discrétionnaire des dirigeants» et de réfléchir aux divergences des intérêts? Autrement dit, tout le contraire de ce que laisse entendre le projet de réforme?

Faute d’un véritable modèle d’université claire et cohérent, la réforme de sa gouvernance propose un même moule où l’autonomie relève de l’injonction paradoxale. En effet, la question de la diversification des sources de financements et des possibilités de développer des ressources propres aux établissements universitaires ne serait-ce que pour ne pas être complètement dépassés par le secteur privé, est pratiquement occultée. Est également occulté l’important débat sur la pertinence de l’égalitarisme ambiant et sur l’éventuelle émulation et impulsion pour le changement qui résulteraient d’une certaine dose de concurrence entre nos établissements universitaires.

On demande certes plus d’autonomie, mais on demande surtout plus de ressources publiques, ce qui signifie que l’autonomie des droits et des devoirs on n’en veut pas vraiment. Tout comme est présentée comme allant de soi la logique des castes où les statuts et les grades (des enseignants-chercheurs) passent avant toute autre forme d’évaluation.

L’approche étant ce qu’elle est, l’expérience de certaines institutions nous rappelle à l’évidence: l’adoption du statut d’établissement public à caractère scientifique ne suffira point. De même que si jamais des statuts devaient changer, c’est sans aucun doute par les établissements et les institutions de base, là où le gaspillage des énergies et des moyens s’opère de la façon la plus scandaleuse, que l’on devrait commencer et non par le niveau intermédiaire des universités.

 

IV-  Quelques remarques sur la question de l’autonomie des universités et sur la trappe de la mauvaise gouvernance.

1.            Vidée de toute substance, l’autonomie universitaire semble davantage relever de la rhétorique politique et syndicale que du projet mobilisateur. L’invocation de son « manque » sert couramment de cache misère pour certains, et d’alibi pour l’immobilisme des autres. Elle n’est pourtant pas une fin en soi et ne résume certainement pas les problèmes de la gouvernance universitaire. Disons-le dans le style de ceux qui font de la gouvernance une mayonnaise : l’autonomie est à la gouvernance, ce que les élections sont à la démocratie. On ne peut s’en passer. Mais il serait extrêmement dangereux de s’y arrêter.

2.            Tout le monde s’accorde pour dire que sous l’ancien régime, la création de certaines universités, de certains établissements et le périmètre donné à ceux-ci avaient obéit à des considérations purement politiciennes. Ne faudrait-il pas commencer par s’assurer que les universités sont viables, que leur architecture obéit à des considérations purement scientifiques et académiques avant de décréter une quelconque autonomie qui entérinerait définitivement des choix politiques biaisés quand ils ne sont pas tout simplement erronés? Alors qu’il en va des possibilités de créer des synergies et une véritable dynamique collective entre établissements d’une même université, cette question a été éludée probablement pour ne fâcher personne.

3.            Qu’on ne s’y trompe pas, l’autonomie procède du paradigme du « capitalisme académique ». Il est donc grotesque d’accompagner ce qui serait une « nouvelle gouvernance » des universités par une sauce naïve ou alors populiste faisant du «oui à l’autonomie,  non aux forces du marché » une sorte de leitmotiv, une « pétition de principe » qui traduit pire qu’une hésitation, une véritable contradiction.

4.            Si elle n’est pas précédée par des mesures plus globales, l’autonomie risque tout simplement d’aggraver les problèmes de gouvernance de nos universités. Qu’en est-il par exemple des indicateurs et des systèmes d’information, de management et de redevabilité sans lesquels la responsabilité des acteurs et des institutions ne serait qu’un slogan ? A-t-on pris l’initiative de développer le moindre tableau de bord, le moindre indicateur de performance ou même de suivi des diplômés des établissements ou des universités avant de prétendre complètement s’émanciper ?

5.            Contrairement à ce qui est présenté dans le projet de réforme, une nouvelle gouvernance est un préalable à la réforme de l’université et non un objectif parmi d’autres. Cette gouvernance universitaire reste fondamentalement liée à celle publique : il est illusoire de croire réellement transformer l’une sans toucher à l’autre. En effet, jusqu’à nouvel ordre et au risque de heurter l’égo de certains d’entre eux, les universitaires sont des fonctionnaires soumis à un statut commun qu’il faudrait commencer par déverrouiller pour se débarrasser de l’égalitarisme rentier. Une éventuelle autonomie des institutions (dont l’université) ne saurait être conçue en dehors d’un débat critique sur ce que les gestionnaires appellent le « new public management » et sur les conditions de l’autonomie des acteurs à commencer par les étudiants et les enseignants-chercheurs.

6.            Fondamentalement, la gouvernance est une question de pouvoir et de régulation. Or le pouvoir à l’intérieur de l’institution universitaire est en rapport étroit avec le positionnement de celle-ci par rapport à des structures complémentaires ou rivales. Autrement dit, la gouvernance au sein de l’université dépend de ses interactions avec le reste de la société, une entité dont la crise a été mise à nue par la révolution et qu’elle a souvent failli à connaitre, à comprendre et à changer. La réforme ne peut ainsi faire l’impasse ou taire des questions aussi importantes que celles des changements à opérer au niveau de l’éducation et de la formation, du recrutement et du profil des élites nationales, de la contribution de l’enseignement supérieur à la démocratie et au développement ainsi que du modèle de société dont serait en partie responsable notre nouvelle université.

  1. Aucune réforme n’aurait des chances de réussir sans l’avènement préalable d’une gouvernance radicalement différente. Mais, mal comprises et mal préparées, ces options risquent de déboucher sur encore plus de ratés. Des « effets pervers » sociologiques et des « externalités négatives » économiques qui ne manqueront pas d’achever ce qui nous reste d’université : Dilution des responsabilités ; Nouveaux goulots d’étranglement; Clientélisme décentralisé ; Consanguinité et limitation des interactions et des synergies entre institutions; Aggravation des inégalités ; Institutionnalisation d’une université à deux lenteurs (parler de vitesse serait prétentieux); Renforcement des incohérences voire des contradictions dans ce qui restera du système national ; Accentuation de la dépendance par rapport aux logiques mercantiles ou corporatistes (au nom de plus d’autonomie par rapport à un pouvoir central) ; etc.

 

V-   La trappe de la mauvaise gouvernance universitaire.

En voulant améliorer la gouvernance universitaire, le projet de réforme de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique nous semble avoir particulièrement souffert des travers de celle-ci. Nous sommes bien dans un cercle vicieux qui a piégé le projet actuel et qui nous semble expliquer, en grande partie, l’échec des réformes précédentes. Cette trappe de la mauvaise gouvernance universitaire est faite de trois dimensions tout aussi fondamentales que paradoxales qui s’autoalimentent et se referment les unes sur les autres pour perpétuer et aggraver la crise de notre enseignement supérieur: une université en manque d’universitaires ; une université en manque d’intelligence et une université en manque d’universalité. Bref, crise d’implication et de confiance ; d’intelligence et de performance et crise de vocation et de valeurs. Voilà le triptyque qui piège l’essentiel de notre université et nous semble avoir pénalisé le projet de sa réforme. Or, rien ne sera possible, si l’on ne se dégage pas de cette trappe qui bloque également de larges pans de notre administration publique.

 

 

Tout en observant qu’elle pourrait également piéger l’actuelle consultation nationale sur l’école publique tunisienne, nous consacrerons la suite de notre réflexion à l’analyse de chacune des composantes de cette trappe de la mauvaise gouvernance et à proposer des pistes pour sortir notre université de ce cercle vicieux. Il nous semble qu’un projet de réforme n’aurait des chances de réussir que s’il fait de l’action concomitante sur ces trois dimensions sa principale priorité. Car si rien ne change à ce niveau, les préalables mêmes d’une action publique réussie ne seront pas réunies et l’université continuera à s’enfoncer dans la crise malgré toute la bonne volonté (et les beaux projets) des uns et des autres.

 

VI-  Premier constat et domaine d’actions prioritaires: des universités en manque d’universitaires

Le manque (au sens existentiel du terme), le renoncement, la « fuite » et/ou la résignation (pour ne pas dire la démission) d’un très grand nombre d’universitaires est à la fois la cause et la conséquence d’une crise profonde de confiance. Celle-ci se manifeste d’une part par des rapports de méfiance en dehors et au sein même de l’institution et d’autre part, par une désertion de l’université et sa relative incapacité à se reproduire sur le plan qualitatif.

La méfiance entre l’université et le reste des composantes de la société s’est notamment accentuée avec l’aggravation de la crise du chômage des diplômés et les doutes quant à la pertinence des recherches scientifiques qui y sont menées. Accusée de ne plus être une locomotive assez rapide pour tirer le reste de la société et de se comporter comme un wagon trop lourd et incapable de suivre et de répondre aux besoins des entreprises, l’université est sommée de s’adapter à une réalité (essentiellement économique) qui est loin d’être exempte de toute médiocrité.

Les universitaires qui résistent sont culpabilisés alors qu’ils sont déjà désorientés ne serait-ce que par les rapides transformations des modes de production et de transmission des connaissances scientifiques dans le monde ainsi que par les nouvelles exigences liées à l’évolution des conditions d’exercice de leur métier.

La désertion et l’exil intérieur ou extérieur des universitaires est une réponse à ces conditions psychologiques et morales d’exercice de leur métier et à la dégradation de leur statut. Aujourd’hui, une grande partie de nos meilleurs étudiants évite de s’engager dans des masters de recherche, la féminisation atteint des proportions anormalement élevées et le détournement des cerveaux vers le privé ou vers l’étranger bat son plein. Certes, certaines disciplines s’en sortent mieux que d’autres, mais la tendance est là, globale et massive, l’université tunisienne inquiète, fait peur et ne séduit plus. A ce rythme et d’ici quelques années, seuls quelques passionnés suffisamment fous pour s’engager sans calculer, ou des personnes qui n’auraient pas pu trouver leur place ailleurs, continueront à vouloir exercer ce métier. Si rien n’est fait, nous glisserons subrepticement vers des universités sans universitaires et cette triste réalité, ceux qui ont appelé leurs collègues à participer à la réforme, ne sauraient la nier.

Or, rien, absolument rien du tout, aucune réforme ni aucun changement ne sera possible sans le retour, l’espoir et l’engagement massif des universitaires.

Six axes stratégiques d’intervention pourraient contribuer à l’avènement d’une nouvelle gouvernance universitaire et à la résolution ou du moins l’atténuation des méfaits de cette évolution vers des universités sans universitaires. A leur tour, ces axes devraient donner lieu à des initiatives et à des actions concrètes qui seraient encadrées par de nouveaux textes règlementaires tout en étant adaptées aux spécificités locales des différentes institutions :

  1. Revoir les statuts des différents intervenants afin de les remotiver, de prendre en compte les nouvelles exigences du métier et de redresser son attractivité.
  2. Impliquer et faire participer à tous les niveaux (démultiplier les instances, organes et occasions de concertation).
  3. Responsabiliser tout en donnant plus de marge de liberté et d’autonomie à tous et à tous les niveaux (ceci permettra de rapprocher la prise de décision des bénéficiaires et constituera une importante forme de gratification symbolique et morale).
  4. Former tous les intervenants (y compris les enseignants et les différents responsables), les accompagner et les coacher pour garder une cohérence globale.
  5. Promouvoir le leadership et le travail d’équipe à tous les niveaux.
  6. Investir pour améliorer les conditions de travail et de vie dans les établissements universitaires et sur les campus universitaires.

Voici à titre simplement indicatif, quelques exemples d’actions qui pourraient être menées à court terme (dans un horizon de trois ans) et qui découlent de ces axes stratégiques de la réforme:

  • Gestion des carrières: repenser les grades, les recrutements, les évaluations, les formations continues, les mobilités internes et externes, les primes et les compétences au niveau de l’enseignement supérieur. Il faudrait notamment et en toute urgence, définir un échéancier pour revoir la nomenclature des grades et prendre en compte les apports à la société et à l’institution dans les critères de passage de grade.
  • Augmenter substantiellement les primes allouées aux dirigeants tout en mettant en place des dispositifs de redevabilité et d’évaluation de ceux-ci. A titre indicatif, il n’est pas du tout normal que les recteurs, doyens, directeurs et chefs de départements touchent une prime qui va de 10 à 5 dinars par journée comme il est encore moins normal que ceux qui servent l’institution soient rémunérés comme ceux qui s’en servent.
  • Donner aux conseils scientifiques un rôle décisionnel sur les aspects purement académiques et un droit de regard sur certains aspects du management des établissements.
  • Institutionnaliser l’assemblée générale des enseignants et les conseils de département.
  • Mettre en place des conférences et des conseils transversaux au niveau de chaque université (exemple : conférence des chefs des départements d’une même université, conférence des directeurs des études, etc.)  et au niveau national (conférences nationales des directeurs et doyens d’établissements d’une même spécialité, conférence nationale des secrétaires généraux, etc.)
  • Lancer un programme de simplification des procédures administratives académiques et de mise à niveau des administrations universitaires (celles-ci sont sous-dimensionnées et complètement dépassées: De véritables 2 Cv pour tirer des semi-remorques !).
  • Mettre en place un programme national d’aménagement des espaces universitaires et d’amélioration des conditions de vie et de travail des universitaires (programme campus-jardin ; bureaux et infrastructure de qualité, etc.).
  • Lancer une réflexion nationale sur l’attractivité de la carrière d’enseignant chercheur de façon à éviter la fuite des meilleurs cerveaux vers l’étranger ou vers d’autres carrières. Améliorer l’attractivité des masters de recherche et de la carrière d’enseignant-chercheur  en amont par une meilleure information/encadrement des jeunes étudiants et en aval en donnant plus de place aux universitaires dans toutes les instances décisionnelles nationales.
  • Etc.

 

VII-                Deuxième constat et domaine d’actions prioritaires: des universités en manque d’intelligence

Le constat est clair et sans ambiguïtés : notre université vit une crise de performances et d’intelligence. Aussi paradoxal que cela puisse être, alors qu’elles sont supposées produire et transmettre la connaissance du monde, nos institutions universitaires ne connaissent ni leur environnement immédiat, ni leurs étudiants, ni leurs diplômés, ni leurs enseignants ni enfin leurs propres administrations. On y traite de numéros, de dossiers, de copies, d’étudiants et même d’enseignants anonymes. Aveugle ou aveuglée, la bureaucratie universitaire est à la traîne et est incapable d’être à l’écoute de son environnement interne et encore moins de celui-externe. Il s’ensuit, et à tous les niveaux, de faibles interactions et synergies et une véritable crise d’intelligence dans le double sens d’incapacité de s’adapter et d’apprendre de son environnement interne et externe et d’incapacité de créer et d’innover. Cela va des enseignants, aux départements, aux établissements, aux universités et jusqu’aux ministères concernés par le développement du capital humain en Tunisie: on ne se connait pas, on ne travaille pas ensemble et on navigue dans le brouillard pour ne pas dire le noir. Par ailleurs, et au-delà de l’explication bureaucratique, plusieurs acteurs dont de nombreux décideurs politiques et universitaires restent prisonniers d’une conception rigide et quasi idéologique de l’université. En bout de course, une panne de l’imagination universitaire, une incapacité de s’adapter et d’imaginer un autre avenir et surtout de faibles innovations institutionnelles, organisationnelles, académiques et pédagogiques condamnant notre enseignement supérieur à l’immobilisme ou alors au plagiat et au suivisme.

Cette crise de la performance et de l’intelligence a deux principales conséquences:

  • Les «échecs» de l’université aux différentes «épreuves» posées par la société et l’économie tunisienne (créer et diffuser les savoirs scientifiques, produire des compétences susceptibles d’infléchir les attentes des investisseurs/recruteurs et de créer des emplois pour les futurs diplômés, développer la société, etc.).
  • Des universités et des établissements universitaires qui fonctionnent comme des machines diplômantes, incapables d’écouter, de communiquer, de connaitre, de s’adapter et d’innover.

Or, rien, absolument rien du tout, aucune réforme ni aucun changement ne sera possible sans des organisations capables d’«intelligence» collective, des structures «apprenantes» et des institutions innovantes.

Six axes stratégiques d’intervention pourraient contribuer à l’avènement d’une nouvelle gouvernance universitaire et à faire face à la dérive d’une université en manque d’intelligence. A leur tour, ces axes devraient donner lieu à des initiatives et à des actions concrètes qui seraient encadrées par de nouveaux textes règlementaires tout en étant adaptées aux spécificités locales des différentes institutions:

  1. Former tous les intervenants à tous les niveaux : il est, par exemple, regrettable et étonnant que les futurs enseignants ne soient pas formés à leur métier, que les responsables élus soient livrés à eux-mêmes et ne reçoivent aucune initiation aux principes du management public ni aux rudiments du leadership ni à l’histoire de notre université.
  2. Informer et créer des réseaux: Mettre en place des systèmes d’information (internes et externes) et des bases de données sur tous les processus académiques ou administratifs ainsi que sur les « inputs » et les « outputs » de ces deux systèmes.
  3. Communiquer/expliquer toutes les décisions, apprendre et capitaliser de toutes les actions (surtout des échecs comme le furent certaines réformes. Cette communication suppose un effort de pédagogie envers tous les acteurs à commencer par les enseignants-chercheurs).
  4. Démultiplier les interactions et les coopérations en interne et en externe (avec les autres systèmes et ministères en charge de la formation du capital humain et entre les institutions). Il faudrait faire de l’université une « affaire de société » et faciliter l’échange de connaissances, expériences et moyens entre tous (benchmarking, questions transversales, etc.).
  5. Généraliser les évaluations (tous les responsables, toutes les structures, toutes les politiques sont systématiquement évaluées).
  6. Renforcer la mobilité, les capacités d’adaptation et les marges d’autonomie de tous les acteurs, à tous les niveaux.

Voici à titre simplement indicatif, quelques exemples d’actions qui pourraient être menées à court terme (dans un horizon de trois ans) et qui découlent de ces axes stratégiques de la réforme:

Au niveau des établissements d’enseignement supérieur :

  • Créer des organigrammes académiques et administratifs (il faudrait notamment remplacer le poste de directeur des études et des stages par une direction des relations avec l’environnement et de l’insertion professionnelle et une direction des études, de l’évaluation et de la qualité ; créer un poste de responsable de l’administration électronique, etc.).
  • Relancer les contrats programmes des établissements.
  • Former les responsables administratifs des stages pour en faire de véritables conseillers en emploi (un  programme pourrait être mis en place avec l’aide du ministère de l’emploi).
  • Organiser la formation continue des enseignants et de l’ensemble du personnel administratif.
  • Permettre aux établissements de gérer de façon autonome les ressources développées à partir des prestations fournies à leur environnement.
  • Créer une instance (conseil ?) stratégique d’orientation et d’évaluation pour chaque établissement. Cette instance se réunirait une à deux fois par an et à chaque fois que cela serait nécessaire. Elle serait composée notamment d’acteurs importants de l’environnement socio-économique et de représentants des anciens étudiants de l’établissement en question.
  • Encourager la création d’associations de promotion de l’innovation et de la qualité au niveau de chaque établissement
  • Lancer des modules facultatifs d’évaluation en ligne des enseignements (les universités pourraient être chargées du pilotage des systèmes d’évaluation).

Au niveau des universités :

  • Donner aux universités la mission d’être des centres de synergies, d’évaluations et de développement technologique plutôt que des centres de contrôle et de reproduction de nouvelles centralisations.
  • Revoir les découpages institutionnels des universités et demander à celles-ci un plan pour revoir les découpages institutionnels en leur sein et créer des synergies entre établissements.
  • Impliquer et responsabiliser les universités dans les questions de développement régional (chaque université devrait avoir une vision et projet pour sa région).
  • Lancer les observatoires universitaires et créer des observatoires dans chaque établissement.

Autres intervenants :

  • Encourager les sociétés savantes en les impliquant dans les évaluations et accréditations, en les associant aux commissions sectorielles et en les chargeant d’élaborer des observatoires et des « livres blancs » disciplinaires.
  • Définir les grands principes pour un fonctionnement harmonieux et équilibré des commissions sectorielles.
  • Etc.

 

VIII-              Troisième constat et domaine d’actions prioritaires: des universités en manque d’universalité

Par manque d’universalité nous entendons une véritable crise de vocation d’un enseignement supérieur dont les balises éthiques, morales voire idéologiques sont atrophiées. Le mondial s’étant substitué à l’universel, le particulier au général, notre université n’est plus au service de valeurs universelles. Au contraire, et dans les faits, elle aggrave les inégalités, «normalise» l’opportunisme et la corruption, limite les marges de liberté de nos jeunes et produit des frustrations et de l’aliénation avec tout ce que cela charrie comme sentiment d’impuissance, illusion de compétence et enfermement dans des grilles et des représentations théoriques inadaptées. Au lieu de servir par ses discours et ses pratiques des valeurs universelles, l’université sert de plus en plus des intérêts particuliers ou ceux supposés être associés au « bon fonctionnement du marché ». Le règne de la débrouillardise et de la ruse se substitue à celui de la rigueur et de l’intelligence. Les phénomènes de triche, corruption, plagiat, clientélisme, corporatisme, mandarinat, carriérisme, cours particuliers, etc. font légion. Beaucoup trop de bacheliers entrent à l’université avec quelques principes, illusions ou idéaux, ils en sortent souvent complètement désillusionnés, pervertis sans réelle soif de vie. Les diplômes passent avant les savoirs, la recherche sert moins à produire des connaissances scientifiques que des carrières universitaires et les moyens se substituent aux fins dans une forme de dérive voire de corruption généralisée et normalisée d’un système qui n’est plus au service de ce pour quoi il avait été créé. Très rapidement, le cercle vicieux ou la trappe de la mauvaise gouvernance a tendance à se refermer: plus les « bons » enseignants déserteront l’université, plus celle-ci subira la crise de vocation et sera captée par des carriéristes ou des opportunistes qui pensent à se servir avant de servir.

Or, rien, absolument rien du tout, aucune réforme ni aucun changement ne sera possible sans une vision et des politiques de l’université qui la positionnent comme étant au service de valeurs universelles et de l’intérêt commun. La révolution tant espérée ne touchera pas notre université tant que celle-ci ne saura pas transformer les valeurs de la modernité en des idéaux partagés qui fassent non seulement croire en un monde meilleur, mais espérer y prendre place et y contribuer. L’université devra réenchanter son époque et donner à tous ses acteurs (étudiants, enseignants et administratifs), matière à rêver afin d’éviter de s’écraser dans une réalité médiocre qui fait de la triche le plus court chemin pour grimper.

Six axes stratégiques d’intervention pourraient contribuer à l’avènement d’une nouvelle gouvernance universitaire et à faire face à la dérive d’une université en manque d’universalité. A leur tour, ces axes devraient donner lieu à des initiatives et à des actions concrètes qui seraient encadrées par de nouveaux textes règlementaires tout en étant adaptées aux spécificités locales des différentes institutions :

  1. Transparence à tous les niveaux, sur toutes les décisions et sur les critères de choix de tous les responsables.
  2. Redevabilité de tous et sur toutes les actions. Il s’agira notamment de clarifier les fonctions et les missions de tous les intervenants.
  3. Participation ouverte et élargie: l’université est une affaire de société et pas uniquement d’universitaires.
  4. Évaluations/accréditations réellement indépendantes et impliquant les partenaires  sociaux (société civile, société savante, etc.).
  5. Bien organiser des contre-pouvoirs réels et des mécanismes de redevabilité à chaque fois qu’on décentralise/responsabilise/donne du pouvoir.
  6. Sanctionner clairement et nettement toute dérive opportuniste.

Voici à titre simplement indicatif, quelques exemples d’actions qui pourraient être menées à court terme (dans un horizon de trois ans) et qui découlent de ces axes stratégiques de la réforme :

  • Revenir aux vrais principes du LMD et envisager la possibilité d’introduire (de façon facultative) un diplôme de bachelor (à BAC +4) pour les institutions qui le désirent. Avec l’application biaisée des 25% au baccalauréat, la réduction (pour des raisons de coûts) du LMD au remplacement du bac +4 et du bac + 6 par un bac + 3 et un bac + 5 (alors que l’un des objectifs du processus de Bologne était de rallonger la durée moyenne des études) a été un véritable crime commis contre la jeunesse de ce pays. Cette révision du LMD et l’éventuelle introduction d’un nouveau niveau de diplomation permettrait notamment:

–      De revenir au véritable esprit du LMD (avec une vraie mobilité inter et intra branches et institutions ; la pluri et l’interdisciplinarité ; la lisibilité des formations ; la professionnalisation sans sacrifier la formation aux humanités ; etc.) ;

–      De rectifier le tir en matière d’horizon académique des jeunes tunisiens ;

–      De donner plus de flexibilité au niveau des offres de formation ;

–      De jeter un pont vers le système éducatif anglo-saxon (aujourd’hui dominant) ;

–      de consacrer la première année de l’enseignement supérieur aux enseignements transversaux et à la construction d’un projet professionnel ;

–      De généraliser une expérience qui existe déjà (au niveau d’un seul établissement universitaire)!

  • Lancer des projets de co-diplomations entre des universités du Maghreb et des diplômes universitaires maghrébins.
  • Élaborer une loi cadre relative à la gouvernance et au fonctionnement démocratique des universités et des établissements d’Enseignement Supérieur (revoir les textes actuels relatifs aux élections qui consolident le clientélisme au détriment des bilans et des programmes; donner la possibilité aux conseils de retirer leur confiance des élus; mieux organiser le fonctionnement des contre-pouvoirs: conseil scientifique, conseil de département, assemblée générale des enseignants et conseil de l’université).
  • Revoir l’architecture globale du système, délimiter les zones de pouvoir, élaborer des organigrammes académiques et administratifs, des fiches de fonction, des manuels de procédures, etc.
  • Remplacer les conseils de discipline par des conseils de l’éthique et de la déontologie universitaire en leur donnant des prérogatives préventives et curatives élargies.
  • Revoir le texte régissant l’Instance nationale de l’évaluation, de l’assurance-qualité et de l’accréditation (décret 2012-1718) pour une véritable indépendance de celle-ci (indépendance notamment vis-à-vis des intérêts privés mais également personnels).
  • Revoir les conditions de passage au statut d’établissements publics à caractère scientifique et technologique.
  • Encourager l’élaboration de codes de conduite et de chartes éthiques pour tous les intervenants (étudiants, enseignants et administratifs)
  • Encourager les établissements universitaires à lancer des programmes « nouvelle chance » pour leurs étudiants diplômés et en situation de chômage longue durée ainsi que pour leurs « drop out ».
  • Etc.

 

IX-             Conclusion: synthèse et axes de développement d’une nouvelle gouvernance

S’il faut saluer l’engagement passionné d’un certain nombre d’universitaires qui permet à l’université tunisienne de garder – encore- la tête hors de l’eau, il nous semble que le projet actuel de sa réforme aura beaucoup de mal à lui apporter une nouvelle vision qui soit pleinement partagée, un nouveau souffle et une nouvelle gouvernance.

Par cette contribution nous avons essayé d’attirer l’attention des lecteurs sur le fait qu’il ne suffit pas de qualifier une démarche de participative pour qu’elle soit efficace (ou même démocratique) tout comme il ne suffit pas d’accumuler les propositions éparpillées et les slogans pour que ceux-ci débouchent sur un projet crédible, cohérent et performant.

Nous avons également voulu montrer que le préalable de tout projet de redressement et la priorité en matière de réforme se situe au niveau de l’action sur la gouvernance universitaire. Alors qu’elle est censée permettre de penser et de piloter le changement, celle-ci constitue une véritable trappe qu’il faudrait casser ou « révolutionner » avant d’espérer réussir d’autres actions à d’autres niveaux. Cette rupture d’avec l’ancienne gouvernance n’est pas qu’une question de changements de personnes ou de prises de positions syndicales. Elle passe par un programme cohérent et articulé permettant un réinvestissement, une réappropriation et un renouveau de l’implication des universitaires ; une reconstruction des valeurs notamment celle du savoir, du mérite et de l’intégrité et une production d’intelligence collective sur la base de synergies et de capacités d’écoute, d’adaptation et d’innovation.

Nous ne croyons pas que tout doit venir de l’autorité de tutelle, ni que tout soit planifiable. Par contre, nous pensons que le changement viendra «d’en haut» mais également et surtout «d’en bas». Dans cet ordre d’idées, il faudrait notamment détecter, encadrer et encourager les bonnes initiatives locales pour en faire des « virus académiques » susceptibles de se propager rapidement dans l’ensemble du corps universitaire. En plus de l’évaluation, cela sera l’une des principales missions des universités dont le projet de réforme se propose de faire des entités autonomes sans pour autant s’arrêter sur la question de leur vocation ni sur leur « raison d’être ».

 

Voici un tableau de synthèse des trois principaux maux de la gouvernance de notre université et des axes stratégiques sur lesquels il faudrait agir de façon prioritaire :



 

19/06/2015 | 16:59
33 min
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Commentaires (15) Commenter
réforme non, remise en question des fondamentaux oui
Istifaka
| 24-06-2015 09:06
Un article intéressant qui allie un style léger et taquin et un autre analytique et pédagogique. Il met le doigt sur tous les maux ou presque de l'enseignement supérieur tunisien sauf une omission de fond:c'est un système tout à fait en harmonie avec celui de la fonction publique. Il en partage la rigidité, le pouvoir discrétionnaire des agents bien placés, l'opportunisme et bien sûr la corruption. Une culture partagée qui a érodé méthodiquement les valeurs morales qui sous-tendent les propositions d'action du professeur Karim Ben Kahla. C'est difficile d'imaginer un îlot de bonne gouvernance viable dans le secteur de l'enseignement supérieur dans un océan d'administration publique encore fondée sur des paradigmes bureaucratiques désuets et une gouvernance guidée par des intérêts particuliers (individuels ou de groupes influents) Bonne chance pour ceux qui croient encore à une réforme possible au moment où l'on a besoin de tout remettre à plat, découvrir les fondements de l'ensemble, même s'ils ont une odeur nauséabonde et savoir quel est le bon angle d'attaque pour secouer les forces qui alimentent les dysfonctionnements du système.A cet égard la présence de femmes en majorité est à considérer comme un atout et non une anomalie!
Ben le parcours de notre universitaire n'est pas REFERENCE
DHEJ
| 23-06-2015 21:52
Ose-t-il?

Non il n'a pas osé car son parcours n'est pas une référence pour la REFORME UNIVERSITAIRE!
Misogyne??
Karin Ben kahla
| 21-06-2015 20:36
L'université tunisienne est aujourd'hui portée par les femmes. Et presque exclusivement par des femmes ( et je sais très bien de quoi je parle ). C'est une chance pour la Tunisie mais ...ce n'est PAS NORMAL. D'autant plus que les étudiants brillants ne veulent plus prendre le risque de s'engager dans la recherche....
La mondialisation des savoirs
Doctorant , enseignante
| 21-06-2015 17:44
Des besoins d'enseignants énormes , des postes 3 , 4 et 5 au niveau du pays et des docteurs ou doctorants avec des thèses de l'étranger en chômage ou dans des universités privées , par simple complexe de la part des anciens Prof !
L'éthique dans l'encadrement doctoral
Doctorante
| 21-06-2015 17:32
Beaucoup de doctorants(tes) souffrent de manque d'encadrement , les directeurs de thèse se lamentent des primes d'encadrement , ces pratiques n'existent qu'en Tunisie ou l'encadrement est libre et sans évaluation par un comité scientifique , le choix des doctorants et les bourses ne se font plus sur la base des compétences , les jeunes doctorants et docteurs qui se voient refusés dans les concours à cause du complexe de certains vieux universitaires qui veulent pas lacher le morceau alors qu'à l'étranger les jeunes réussissent et avancent dans la carrière , la réforme doit aussi se faire au niveau des Prof qui monopolisent l'enseignement supérieur pour servir leurs propres intérêts d'accumulation de richesse ...
Et si ce REFORMATEUR nous disait...
DHEJ
| 21-06-2015 14:49
Oui s'il nous disait tout de son parcourt du lycée au titre de PROF UNIVERSITAIRE???


Mais alors toute la vérité et rien que la vérité espérant qu'il n'a pas transgressé l'article 87 du code pénal!


orientation
karim ben kahla
| 21-06-2015 11:19
on ne peut pas demander à un système complètement désorienté de bien orienter ses étudiants/bacheliers... la question de l'orientation est liée au problème du "manque d'intelligence" de nos universités que je présente rapidement dans ce papier... comme indiqué dans mon article, une solution (parmi d'autres) serait de revenir au vrai esprit du LMD (remplacer progressivement les bac + 4 par Bac + 5 et non par bac + 3)...les solutions ne manquent pas...il faudrait un article à part sur l'orientation... vais essayer de le faire.merci
Quel culot !
universitaire
| 21-06-2015 10:51
Etudier le problème de la réforme, y reflechir, oui. En parler, oui. Mais certains aspects vous ont dépassés. Ainsi, cette phrase "Aujourd'hui, une grande partie de nos meilleurs étudiants évite de s'engager dans des masters de recherche, la féminisation atteint des proportions anormalement élevées" est on ne peut plus misogyne et dénuée de fondement. Monsieur, ce sont majoritairement les filles qui font des études supérieures, elles sont majoritairement plus studieuses et responsables dans notre pays. Ceci n'indique pas, comme vous le dites si mal, un problème de manque d'universitaire, mais bel et bien un problème sociétal. Je regrette que BN ait publié ce pavé académique, qui, bien que ouvertement subjectif et pontif, n'en demeure pas moins humiliant pour toutes ces jeunes filles qui en font plus que leur frères, et toutes ces femmes tunisiennes qui durement élèvent la Tunisie, au four et au moulin, entre menage, cuisine, devoirs des enfants et travail à l'exterieur. Votre aveuglement discrédite toute théorie que vous pourriez alors avancer.
L'essentiel est dit mais le primordial reste à signaler
Raouya K.
| 21-06-2015 09:45
Au Pr Karim Ben Kahla: Merci pour l'article. Analyse pertinente et synthèse optimiste. Cependant, je suis étonnée que vous n'évoquiez pas la source du problème et la cause de la plupart des doléances des universitaires : l'épineuse question de l'orientation des bacheliers. Elle trône en effet en première position du top 10 des maux de l'Université tunisienne.
des chercheurs qui cherchent...on en trouve...mais..
hakim
| 20-06-2015 17:21
Cher mr merci pour les efforts de reflexion et de schematisation synthetisation....je connais que l universite est pleine de chercheurs qui cherchent...mais les chercheurs qui trouvent on en recherche encore!!
Je vais vous preconiser juste deux remedes a prendre de bon matin a jeun:
1- chercher a construire des tetes bien faites avec habilite a penser rationnellement des le primaire...ca pour le cote pedagogique et scientifique...
2- si une institution universitaire n a pas d objectifs annuels de creation de valeur en terme de projets vendables sur le marche elle doit fermer c mieux...et chercher le bon systeme de gouvernance qui mene cette strategie..
Point a la ligne.
nb:je suis ingenieur si ceci pourrait interesser.