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Ce que raconte vraiment l’histoire du pourboire
03/07/2025 | 11:25
5 min
Ce que raconte vraiment l’histoire du pourboire

Le pourboire est un geste simple en apparence : un petit supplément laissé après un service, souvent en espèces, parfois via une application. Mais derrière cette habitude, il existe une histoire ancienne, des codes culturels complexes, des pratiques très variables selon les pays et même des enjeux sociaux et économiques importants. Pour bien comprendre ce geste universel mais ambivalent, il faut remonter à ses origines et suivre son évolution jusqu’à nos jours.

 

Le mot « pourboire » vient littéralement de l’expression « pour boire », c’est-à-dire de l’argent donné à quelqu’un pour qu’il puisse s’offrir une boisson en guise de remerciement. Ce terme est apparu en France au XVIIIe siècle, mais la pratique elle-même remonte à bien plus loin. Dans la Rome antique déjà, il était courant de gratifier un serviteur ou un esclave après un service. Plus tard, au Moyen Âge, les seigneurs et les nobles avaient l’habitude de donner une pièce ou un petit cadeau à leurs domestiques, palefreniers ou portiers. Il ne s’agissait pas d’un salaire, mais d’un geste de reconnaissance ponctuel. Cette habitude s’est peu à peu enracinée dans les rapports sociaux, en particulier dans les métiers de service.

 

En Angleterre, une autre explication populaire veut que le mot « tip », qui signifie pourboire en anglais, vienne de l’acronyme "To Insure Promptitude", autrement dit "pour garantir la rapidité du service". Cette expression était, selon certaines versions, inscrite sur une boîte placée dans les cafés ou auberges du XVIIe siècle. Les clients y déposaient quelques pièces en espérant un service plus rapide. Même si cette origine est contestée par les historiens, elle illustre bien l’idée sous-jacente du pourboire : donner un petit plus pour recevoir un meilleur traitement.

 

Avec le développement des hôtels, des cafés et des restaurants à partir du XIXe siècle, le pourboire s’est largement diffusé. Il devient une norme sociale dans certaines classes urbaines : on laisse quelques pièces à l’hôtelier, au portier, au serveur ou au coiffeur, non seulement pour le service reçu, mais aussi pour affirmer un certain statut social. Donner un pourboire, c’est aussi montrer qu’on peut se permettre ce supplément. Dans certaines professions, le pourboire finit même par faire partie intégrante du revenu. C’est le cas des serveurs, des garçons de café, des chauffeurs ou des guides touristiques. Dans ces métiers, la rémunération de base est parfois volontairement faible, car elle est supposée être complétée par les pourboires des clients.

 

Mais cette pratique n’a jamais été universelle. D’un pays à l’autre, les règles varient énormément, et ce qui est normal dans un endroit peut être mal vu ailleurs. Aux États-Unis, par exemple, le pourboire est devenu quasi obligatoire. Les salariés du secteur de la restauration sont souvent payés en dessous du salaire minimum, car le système repose sur la générosité des clients. Ne pas laisser de pourboire est considéré comme une offense, voire une humiliation. Il est courant de laisser entre 15 et 25 % du montant total de l’addition, et certains restaurants ajoutent même automatiquement ce montant à la facture, surtout pour les groupes.

 

En France, la situation est différente. Depuis 1985, le service est compris dans le prix affiché, ce qui signifie que le personnel est déjà rémunéré. Pourtant, laisser un petit pourboire – quelques pièces, ou 5 à 10 % – reste une habitude bien ancrée, en particulier dans les cafés ou chez les chauffeurs de taxi. Ce geste, bien que facultatif, est souvent perçu comme une marque de reconnaissance ou de politesse.

 

Dans d’autres pays européens comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne, le pourboire est aussi pratiqué, mais sans excès. Il est souvent rondé à l’euro supérieur ou accompagné d’un « gardez la monnaie ». Ce n’est ni obligatoire, ni indispensable, mais toujours apprécié. À l’inverse, dans des pays comme le Japon ou la Corée du Sud, le pourboire est mal vu. Le service y est considéré comme une partie naturelle du métier, accompli avec sérieux et dignité. Donner un supplément est parfois perçu comme une insulte ou comme une manière de « monnayer » un comportement qui devrait être sincère. Dans ces cultures, la qualité du service est censée être égale pour tous, quel que soit le client ou le montant de l’addition.

 

Dans les pays du monde arabe, d’Afrique ou d’Asie du Sud, le pourboire est très courant dans les lieux touristiques. Il est parfois même attendu, voire réclamé avec insistance. On parle alors de "bakhchich", un mot qui désigne aussi bien un pourboire que, parfois, une forme déguisée de corruption. Cette ambivalence du geste – entre gratitude et pression – reflète bien les tensions autour du pourboire : est-ce un don libre ou une obligation sociale ?

 

En effet, avec le temps, le pourboire a cessé d’être un geste spontané. Dans certains contextes, il devient un mécanisme intégré au fonctionnement économique du secteur du service. Des plateformes comme Uber Eats, Airbnb ou Booking proposent maintenant des options de pourboire numériques, parfois avant même que le service soit terminé. Les caisses électroniques dans les cafés affichent des montants prédéfinis : 10 %, 15 %, 20 %. Résultat : le client est mis sous pression pour payer plus, sans toujours comprendre ce qu’il rémunère. Le pourboire devient ainsi une sorte de taxe informelle sur la satisfaction, voire sur la bonne conscience.

 

Cela soulève des questions éthiques importantes. Est-il normal que la qualité du service dépende du bon vouloir du client ? Est-il équitable que certains travailleurs soient payés au bon vouloir du public, tandis que d’autres bénéficient d’un salaire fixe ? Pourquoi certaines professions reçoivent-elles des pourboires, et pas d’autres, tout aussi méritantes ? Certains syndicats réclament la fin du pourboire et son intégration directe dans le salaire. D’autres, au contraire, y voient une manière de valoriser l’effort et la personnalisation du service.

 

Le pourboire est donc bien plus qu’un petit supplément. Il est un révélateur des rapports sociaux, du lien entre client et employé, entre argent et reconnaissance, entre spontanéité et norme. Il peut exprimer la satisfaction, la générosité, mais aussi l’obligation, la pression ou même l’injustice.

 

Comprendre l’histoire du pourboire, c’est aussi interroger notre rapport à la rémunération, à la dignité du travail, et à la gratitude. Car derrière cette pièce laissée sur la table, il y a toujours un message – qu’il soit voulu ou non.

03/07/2025 | 11:25
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Commentaires
1/3i
le pourboire est le résultat d'un service
a posté le 03-07-2025 à 12:39
il ne doit pas être obligatoire. Juste une remerciement pour un service rendu au dessus du minimum demandé dans un établissement.

Il m'arrive de laisser 100 millimes; Pour bien montrer que je n'ai pas oublié, mais que le comportement du serveur était en dessous de toute correction.
surtout quand on doit réclamer la monnaie plusieurs fois; comme c'est souvent le cas.

Et si le serveur me répond, c'est pour le pourboire : je lui dis que ce n'est pas à lui de décider s'il mérite quelque chose. Il n'a fait que son travail.

Quant à payer avant, je n'ai pas à acheter un service qui doit être fait normalement !!